"Il était une fois... Non... Non, décidément, je n'aime pas les histoires qui commencent comme cela. Il n'y a jamais de "fois", le passé n'existe pas. Les histoires n'ont pas de traces, n'impriment jamais totalement les pages des livres, elles restent en suspend, perdues entre deux rives. La véritable question n'est ni dans le présent, le passé ou l'avenir, elle se tient silencieuse entre deux songes. Les rêves n'ont pas besoin de mots, de tempos ou de clés. Celui qui voudra interpréter vos secrets de nuits n'est qu'un menteur. La vie ne peut se nourrir que de nos erreurs. Alors cette question quelle est-elle? Ce n'est pas moi qui la pose, mais vous. Ai-je une réponse? Tout le mystère est là.
Le sable blanc de la berge caressait la mer opaline. Le ciel courroucé d'orage il y a peu, retrouvait sa candeur et son bleu rieur. Des nuages dispersés par le vent tenaient encore conférence dans le silence du vent éteint. La vie reprenait sa route et les hommes réaffûtaient leurs barques. Durant les tempêtes la plage m'appartient.
C'était un matin d'hiver. Les cieux redevenus clairs offraient l'espoir d'un bon butin, les récifs amers n'étaient pas avares de cadavres de marins. Les bateaux échouées renflouaient les caisses du village isolé. Les morts allaient aux poissons, les objets dans les maisons. Ainsi chacun avait sa part et personne ne se plaignait de cette répartition. Seulement ce jour-là, rien ne se passa comme prévu. Il fallait bien qu'un jour un malotru survécut au naufrage. Et ce fut ce jour-là. L'homme était jeune et plutôt beau. Le front haut, les pommettes saillantes, il semblait de noble naissance. Le village fut en émoi. Que faire donc de ce gaillard-là? Etait-ce Dieu qui l'avait sauvé ou bien un diable malintentionné? Venu avec la tempête était-il un bon ou un mauvais présage?
Les avis ne cessèrent de se disputer, à la taverne dans l'ambiance enfumée. Les putains, par amour de la contradiction et revanche sur leurs tortionnaires d'amants de tapin, prirent fait et cause pour le gamin. Beaucoup auraient voulu le voir pendu, dépecer et vendu aux requins. Mais elle crièrent tant et tant, appelant tous les saints du firmament que les hommes se mirent en colère. Seulement toutes ensembles elles menacèrent de cesser toute activité et de se faire absoudre par le curé. Plus jamais, pour Dieu, comme pour Diable, elles n'accepteraient de forniquer. Les marins furent forcer de capituler. On fêta ça comme il se doit, le patron paya sa tournée et chacun courut sa chacune embrasser. Pendant ce temps, au village, dans le prieuré, toutes les femmes légitimes étaient allées prier. Elles veillaient tour à tour dans toute leur chrétienté, le jeune-homme miraculé...
Et le temps a passé. Le jeune-homme finit par se réveiller, remit de ses blessures il se remit à marcher. Chacun tenait, désormais, sa plus grande fierté, dans de multiples histoires où chacun était le héros qui avait su le sauver... Les hommes ne se souviennent que de ce qui les arrange, pour le plus grand bonheur de ces dames qui peuvent ainsi n'importe quoi leur faire avaler... Les putains comme les grenouilles de bénitier se crêpaient joyeusement le chignon chacune ayant leur fierté. Les hommes hurlaient de rire et se gardaient bien de les arrêter, contentant l'une et l'autre se disant que cela allait passer. Les femmes sont ainsi, toujours certaines d'avoir raison au grand bonheur de leurs maquignons qui ne se font pas prier pour les conforter dans leurs idées saugrenues. La paix est à ce prix...
Seulement notre jeune-homme finit par retrouver toutes ses facultés... Il n'était plus le malade adulé ou le pauvre agneau par les putains sauvé, mais simplement un homme avec ses défauts et ses qualités. Comment cela advint? Je ne saurais le dire. Je crois que ce fut le jour, où entiché, il eut la malencontreuse idée de vouloir se marier... Ce fut la révolution dans le village. Mais pourquoi elle? Pourquoi pas moi, ou ma fille? Comment ose-t-il nous faire cela, à nous qui l'avons tant veillé, à nous qui l'avons secouru? Pour, au village, de plaire continuer, le jeune-homme aurait du finir curé... Chacun prévalait de sa légitimité. Après tout, tel un objet il était tombé du navire échoué, ainsi chacun sur lui avait droit de propriété... Bien sur le père de la fiancée, ne cessait du choix du jeune-homme de se gargariser. Les querelles des femmes devinrent celles des hommes. Les putains ne furent pas consultées, à leur grand désespoir. Car comme chacun sait, si les filles de joies ont quelque pouvoir sur la cité, celui-ci s'arrête dès que la braguette est refermée.
Tant et si bien les choses s'envenimèrent, tant et si bien la vie tournait à l'envers, que monsieur le curé, descendant de son pontificat doré, décida d'agir. Il devait de se consacrer à contenter la majorité, imperméable aux pleurs de la jeune fiancée il décida que ce mariage par l'Eglise ne pouvait être consacré.
On consola le père de la jeune qui ne pourrait se marier à coups de claques dans le dos et de chopines bien arrosées. La mère empreinte de la sagesse bénie des missels conseilla à sa fille de se résoudre à l'oublier. Dieu met sur notre route des épreuves qu'il faut savoir surmonter... Les deux jeunes éplorés restèrent sans mots dire chacun de leur côté.
Un vieil habitué de la taverne ayant des envies urinaires souvent à contenter, était sorti sur le pas de la porte pour se soulager. Au loin il vit deux formes un cheval chevaucher. Ni une, ni deux, il courut prévenir l'assemblée. Chacun lâcha l'affaire à laquelle il était occupé. On s'arma et on prit les chevaux, la piste était fraîche et la lune dévoilée. Dieu était donc à leur côté, éclairant de sa magnificence le chemin des amants contrariés. Le cheval fut assez vite fatigué, le poids des deux enfants, pourtant léger, ne lui permit pas longtemps, les poursuivants de distancer. Un éclair, un bruit de tonnerre, avec l'odeur de poudre l'une des formes chuta du cheval emballé... Sous les vivas de la foule des hommes surexcités. Tels des chiens par l'odeur du sang aveuglés, d'un seul homme ils furent bientôt tous rapprochés, sans comprendre pourquoi l'une des silhouette pleurait agenouillée.
La jeune fille baignée de lune gisait sur le sol, dans son sang renversée. Le jeune-homme pleurait insensible au silence des hommes attroupés. "Tu l'as tuée!" hurla le père chagriné. "Il l'a tuée!" reprirent en choeur les voix des hommes avinés. Le jeune-homme fou de douleur devint bientôt fou de blessures, roué de coups il pouvait à peine bougé. Par-dessus la falaise son corps exsangue fut balancé. Ainsi tout était dans l'ordre rentré. La mer avait repris ce qu'un temps elle avait donné. Son cadavre sur la grève ne fut jamais ramené. Les hommes crurent alors qu'ils avaient bien fait...
La vie reprit son cours. Le père sut se consoler et dans l'alcool tout oublier; la mère dans les jupons de l'église sut se réfugier. Tout était rentré dans l'ordre. Et chacun ne put que s'en féliciter.
La question? Quelle question? Pour qu'il y ait question, il faut qu'il y ait réponse. Où voyez-vous ici une réponse? Si vraiment une réponse vous souhaitez trouver, parcourez les nuits de tempête la plage grêlée, alors peut-être saurez-vous voir ce que vous êtes venus chercher...
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