Camlann - Ajonc : Siabras et Curmudgeons

 
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Leur haine est millénaire. Siabras et Curmudgeons, elfes renégats et créatures sauvages, se sont haïs lorsqu'ils habitaient au-delà du Voile, et ils ont ramené cette haine sur Hibernia lorsqu'ils y sont revenus. Le temps des raisons, des prétextes, des causes, est dépassé depuis longtemps. Ils se haïssent pour ce qu'ils sont, elfes rêvant de suprématie sur toutes les autres races, créatures semi-sauvages rebelles à toute autorité et à toute règle.

Quiconque se mêle de se conflit ne peut rester entièrement propre. Quiconque refuse de s'en occuper se rend coupable de courte vue, ce qui est une faute dangereuse en tout temps.

Seule la nécessité la plus impérative pouvait donc pousser Ajonc, faucheuse d'Hy Brasil, à entrer dans cette querelle. Mais cette nécessité existait, elle se résumait en un nom.

Cad Goddeau.

Le jour qui a entaché l'honneur des druides d'Hibernia.

Les arbres transformés en machines de guerre, asservis au désir meurtrier des hommes.

Les échos de cette bataille se font encore entendre des siècles plus tard. Les druides ont adopté un code strict pour éviter que la magie de la Nature ne soit ainsi détournée à nouveau. Mais cela n'efface pas les traces laissées par ce jour maudit : dans les antiques forêts d'Hibernia, le voyageur imprudent ou audacieux se trouvera face à des arbres corrompus, à la férocité à la mesure des tourments qu'ils endurent depuis leur réveil.

Seul un druide à l'âme la plus noire pourrait désirer un nouveau Cad Goddeau. Pourtant, des signes étranges s'accumulent. Deux rameaux de chêne et de saule s'unissent en une seule plante au chevet d'un druide. Dans un arbre de la forêt du Lough Gur, un très vieil ermite se réveille d'un sommeil centenaire.

Et Ajonc a pour mission de suivre une piste particulière, celle d'un druide qui pourrait déterminer la signification de ces événements.

Un seul problème.

Ce druide est prisonnier des Siabras de Moher depuis plusieurs mois.
Cap au Nord

Exilée d'Hy Brasil depuis peu, Ajonc était restée dans le sud d'Hibernia, dans les territoires où sa race,
les Celtes, sont majoritaires. Il lui était impossible d'échapper aux récits et aux rumeurs sur les
Siabras de la région. Le danger qu'ils posent pour les voyageurs près de l'estuaire du Shannon, leur
annexion des mines de Vrai-Argent près de Howth, les malheurs des colons d'Alainn Binn dans les marais de
Cullen,... Il ne manque aux deux peuples que la puissance nécessaire pour écraser l'autre, certainement
pas l'envie.

Ayant enfin trouvé un palefrenier qui accepte de louer un cheval pour aller aussi loin dans le nord, Ajonc
se met en route pour Tir Urphost, le village elfique au bord des falaises de Moher. La route est longue,

et fatiguante pour une jeune celte qui n'est pas vraiment une cavalière émérite. Une fois arrivée, elle
sait exactement par où commencer sa quête : les marchands sont souvent une source de renseignements
précieuse, et plus ouverts aux étrangers que le reste des villageois. Elle reste cependant prudente dans
ce qu'elle révèle de ses intentions, gardant en mémoire que certains elfes ne voient pas d'un si mauvais
oeil leurs cousins rebelles.

Le lieu de captivité du druide Harbin n'est apparemment pas un secret pour beaucoup au village ; il s'agit
d'un campement proche de la route du Connacht. Au petit jour, Ajonc s'approche du groupe de masures. Une
silhouette en robe se détache, seule, un peu à l'écart du camp. L'instinct guerrier d'Ajonc se réveille
soudain, et les crimes des Siabras contre son peuple, dont elle a entendu tant de récits, lui reviennent à
l'esprit. Lorsqu'elle commence son incantation meurtrière, la seule pensée qui lui vient est :
Eh bien, siabra, voyons si tu sais te battre.


Changement de tactique

Le siabra ne sait pas se battre, cela devient rapidement apparent. Son premier réflexe est sa première
erreur : il fait face à son attaquante, et commence à bafouiller une incantation, qui s'interrompt net
lorsqu'il encaisse pour la deuxième fois le sort meurtrier. Malheureusement pour Ajonc, son deuxième
réflexe est le bon : il tourne les talons et s'enfuit vers le village, tout en appelant au secours avec
une ardeur inentamée par ses blessures.

Très rapidement, Ajonc se trouve prise dans un tourbillons d'énergies elfiques, et n'a que la fuite pour
seul recours, poursuivie par les malédictions et les insultes. Epuisée par le véritable barrage d'énergie
magique qu'elle a subi et par sa course, elle fait ce qu'elle aurait dû faire dès le début. Au milieu des
terres désertées de Moher, au pied d'un vieux menhir, elle s'assied et elle réfléchit.

Pour elle, qui a grandi dans les bosquets des Sylvains, qui aspire à la symbiose parfaite avec la nature,
Cad Goddeau est l'horreur ultime. Elle est prête à beaucoup pour empêcher un tel sacrilège de se
reproduire. Par chance, son attaque irréfléchie n'a pas compromis sa mission, au contraire : elle a pu
tester les défenses du camp, et elle sait que l'approche directe n'aboutira pas, mais les siabras ne
savent rien d'elle, même la sentinelle qu'elle a attaqué n'a pas eu le temps de voir son visage d'assez
près pour la reconnaître.
Et elle forme un plan. A partir d'une vielle carte d'Hibernia héritée de sa grand-mère, elle détermine sa
prochaine destination, puis elle se remet en route pour Tir Urphost, en évitant soigneusement cette fois
le campement des siabras. Encore un loueur de chevaux à convaincre.
Une marchandise très rare

Quelques jours plus tard, les sentinelles qui entourent le camp siabra ont la surprise de voir une jeune
Celte au cheveux blonds en bataille s'avancer d'un pas assuré vers leur camp. Leur attention va d'abord à
la faux qu'elle tient à la main, puis au lourd paquet qu'elle porte sur son dos à l'aide d'une ficelle
passée en bandoulière. Ils ne sont pas particulièrement inquiets de cet apparition ; en surnombre et
alertés, ils se savent plus forts qu'une humaine isolée, fût-elle une guerrière adepte des voies d'une île
étrangère. Une rencontre avec un faucheur maître de son art aurait probablement refroidi leur confiance,
mais aucun n'est jamais venu dans cet endroit reculé. Ils préviennent donc leur chef, et laissent leur
visiteuse inattendue pénétrer dans le camp, mais ils ne manquent pas de la suivre de près. Ennemie ou non,
ils ont l'intention de lui rendre son départ plus difficile que son arrivée. Après tout, même s'ils
méprisent les Celtes, ils sont prêts à apprécier leurs femmes, surtout quand elles sont jeunes et plutôt
agréables à regarder. Les distractions sont rares dans ce recoin d'Hibernia.

Le chef de la bande surpasse visiblement ses congénères en un point au moins, son mépris pour les autres
races.
- Que viens-tu faire ici, Celte ? Parle, et sois éloquente, ou tu ne sortiras pas de ce camp vivante.
- J'ai là une marchandise qui devrait vous intéresser.
- Me prends-tu pour un imbécile ? J'ai entendu parler des suivants des Voies des Sylvains. La faux que tu
portes en est une preuve suffisante : tu es une guerrière, pas une marchande.
- Nul marchand de Tir Urphost ne te fournira ce que je te propose, ô chef des siabras, ni même ceux de
Mardagh ou de Basar. C'est le genre de choses que seule une guerrière est à même de t'apporter.
- Soit, montre cette fameuse marchandise, et prouve-moi que tu ne me fais pas perdre mon temps...
vite.


Pour toute réponse, Ajonc jette à terre le sac. La ficelle qui retient l'ouverture se défait, un objet de
la taille d'une grosse pierre roule aux pieds du chef siabra. Mais les pierres sont rarement couvertes de
sang séché. Le siabra a d'abord un mouvement de recul instinctif, puis il reconnaît ce dont il s'agit, et
un sourire cruel apparaît sur son visage.
- En effet, je dois reconnaître que cette marchandise m'intéresse... et c'est aussi une bonne preuve
de ton allégeance.
- On m'a dit que tu étais prêt à payer un bon prix pour cela.
- Est-ce vraiment l'argent qui t'intéresse, Celte ? Ne serait-ce pas plutôt... le druide Harbin ?


Le chef siabra est plus intelligent - ou mieux renseigné - que ne le supposait Ajonc. Mais cela n'a pas
vraiment d'importance, sa réponse est déjà prête.
- Tu es perspicace. L'argent m'intéresse, mais ceux qui m'ont envoyé se chargeront de me payer. Et eux
s'intéressent beaucoup au druide Harbin. Je suppose que si tu voulais le relâcher contre une rançon,
l'Ordre des Druides en serait déjà prévenu.
- Exact. Ce druide a défié notre autorité dans cette région, et je ne le relâcherai pas, que ce soit
contre un tribut d'or ou d'une autre marchandise, même la tienne.


Ajonc se garde bien d'exprimer son opinion à ce sujet ; elle se doute cependant que ce n'est pas pour une
question d'autorité bafouée que le druide est retenu par les siabras, mais parce que, malgré tout leur
mépris, ils savent que la magie réparatrice que les Celtes tirent de leur relation avec la Nature est dix
fois supérieure à tout ce dont ils sont capables. Avoir un druide sous la main est un atout important pour
un camp de brigands elfes. Elle a d'ailleurs préparé ses arguments en conséquence.

- Aussi ne suis-je pas chargée de négocier sa libération, mais simplement de m'assurer qu'il est en
bonne santé, et de lui apporter quelques plantes qui lui sont indispensables pour maintenir son lien avec
les forces naturelles. Sans elles, ses pouvoirs de druide dépériront, et lui ne durera guère plus
longtemps.
- L'Ordre des Druides s'est payé les services d'une guerrière pour cette simple mission ? Décidemment, ils
font preuve de bien de la sollicitude pour leurs membres... je garderai cela en mémoire quand je fixerai
le montant de sa rançon, si je devais le libérer un jour.


Ajonc ne réagit pas à cela. Si son plan se déroule bien, l'Ordre des Druides n'aura jamais à payer quoi
que ce soit pour la libération du druide Harbin. Heureusement, convaincu de sa vénalité, le siabra ne
s'interroge pas plus sur sa démarche. Il cherche surtout à cacher son intérêt pour la santé de "son"
druide sous le voile de la magnanimité.
- Enfin, je suppose que je peux bien faire cela pour toi, en paiement de ce que tu m'as apporté.
Montre-moi ces plantes.

Emballés dans un morceau d'étoffe apparaissent alors une branche de chêne, quelques brins de gui, et,
entourés d'une large feuille de vigne d'Hy Brasil, des graines noires de forme semblable à des pépins de
raisin. En bref, rien que de très inoffensif.
- Je vais les lui remettre tout de suite, et devant tes yeux. Ainsi, tu pourras assurer tes
commanditaires que tu as accompli ta mission.
- Je te remercie pour ta compréhension, noble chef.
Le prix à payer

Malgré toutes les difficultés qu'Ajonc avait anticipées, le reste de la mission fut une vraie partie de
chasse au veau forestier de Domnann. De manière inattendue, les siabras ne firent rien pour empêcher son
départ, après lui avoir rappelé qu'ils étaient prêts à payer un bon prix si elle leur rapportait plus de
sa "marchandise". Et après tout, pourquoi ne pas la laisser partir, s'ils étaient convaincu qu'elle allait
bientôt leur vendre son âme pour quelques pièces d'argent. Elle avait pu à peine échanger un regard avec
le malheureux druide Harbin, mais c'était tout ce qu'il lui fallait, puisqu'il avait pu voir que les
plantes qu'il recevait venaient d'une faucheuse, en provenance presque directe d'Hy Brasil. Il n'y avait
alors plus guère de doute quant à l'usage qu'il devait faire des graines qu'il avait reçu au milieu des
autres morceaux de plantes cueillis à la hâte.

Lors de la découverte d'Hy Brasil par les Hiberniens, de nombreux druides s'étaient intéressé aux
propriétés de ses plantes, et au type de magie pratiquée par les Sylvains. Parmi les merveilles les plus
remarquables, un prodige plutôt mineur avait attiré leur attention : les graines d'une vigne particulière,
qui pouvaient pousser autant qu'en un an en une seule nuit, si on les soumettait à un sort des plus
simples. Pendant quelques jours, on avait vu à Tir na Nog surgir des vignes dans les endroits les plus
farfelus, jusque dans la salle du trône de Brigit. C'est à cette occasion que le rapport d'enquête de la
garde s'était conclu sur ces mots mémorables : "Puisque nul autre que les membres du Conseil n'ont eu
accès à ladite salle dans la nuit incriminée, il faut croire que, contrairement aux apparences, au moins
l'un d'entre eux, voire plusieurs, sont dotés du sens de l'humour." Pendant quelques jours, le sujet de
conversation favori des habitants de la belle cité elfique avait été "à-votre-avis-qui-est-ce", et les
soupçons se portaient généralement vers le très honorable prophète lurikeen Lobais. Et puis la mode était
passée, mais les graines de vigne noire d'Hy Brasil avaient depuis leur place dans toutes les écoles
druidiques - niveau débutant.

Placées près des charnières de la porte de sa prison à la nuit tombée, les vignes avaient fait leur oeuvre
en quelques heures, silencieusement. Il ne restait au druide qu'à se glisser en dehors, et à s'éloigner du
camp en évitant les deux sentinelles, ce qu'il fit. Ajonc se tenait près de la route, hors de vue du camp,
prête à intervenir s'il était découvert. Sans perdre de temps en vaine conversation, ils coururent aussi
vite qu'ils purent vers la tour de garde la plus proche, Tur Garda, où ils arrivèrent avant l'aube, et
avant même que les siabras ne découvrent la disparition du prisonnier.

Harbin ne fit aucune difficulté pour révéler le peu qu'il savait à Ajonc : partager ses connaissances,
c'était partager son fardeau. Il expliqua ensuite à Ajonc que les rares personnes qui s'étaient mêlées de
cette affaire avaient toutes été confrontées à des événements funestes dont l'origine était visiblement la
magie des druides noirs.
C'est le chemin de Cad Goddeau, jeune celte. Nul ne peut le suivre et rester intact. Mais peut-être le
savez-vous déjà ? Ce n'est pas avec de l'or ou des belles paroles que vous avez acquis la confiance des
siabras !

Ajonc fut brièvement tentée de se confier au druide, mais elle avait déjà appris assez sur la méfiance et
sur les dangers du chemin de Cad Goddeau pour préférer se taire.

Cad Goddeau. C'était tout ce qui comptait. Les arbres d'Hy Brasil, ceux d'Hibernia, ceux des autres
contrées qu'elle visiterait si elle arrivait au bout de ce chemin, devaient être protégés.

Et puis, à force de penser à Cad Goddeau, elle arriverait peut-être à oublier le sang de ces curmudgeons,
leur cris, leur morts, et le trajet sans fin avec leurs têtes tranchées brinquebalant sur son dos.


C'est là une palpitante et trépidante aventure
Dans laquelle semble s'être lancée
Une vaillante faucheuse d'Hy Brasyl.
Prête à braver la mort et sa cruelle morsure,
C'est avec un plaisir non dissimulé,
Que l'on déroule (et déroulera encore) anxieux, de cette palpitante histoire le fil.


Bien difficile il est de prévoir à quels obstacles, dangers et maux,
Ajonc courageuse celte au tempérament de feu,
Devra faire face pour accomplir sa quête et atteindre Cad Goddeau.
Car, le vent, finalement, ne souffle t-il pas toujours où il veut ?



Yes < défunte barde, spectre dévoué >
 

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