Une marchandise très rare
Quelques jours plus tard, les sentinelles qui entourent le camp siabra ont la surprise de voir une jeune
Celte au cheveux blonds en bataille s'avancer d'un pas assuré vers leur camp. Leur attention va d'abord à
la faux qu'elle tient à la main, puis au lourd paquet qu'elle porte sur son dos à l'aide d'une ficelle
passée en bandoulière. Ils ne sont pas particulièrement inquiets de cet apparition ; en surnombre et
alertés, ils se savent plus forts qu'une humaine isolée, fût-elle une guerrière adepte des voies d'une île
étrangère. Une rencontre avec un faucheur maître de son art aurait probablement refroidi leur confiance,
mais aucun n'est jamais venu dans cet endroit reculé. Ils préviennent donc leur chef, et laissent leur
visiteuse inattendue pénétrer dans le camp, mais ils ne manquent pas de la suivre de près. Ennemie ou non,
ils ont l'intention de lui rendre son départ plus difficile que son arrivée. Après tout, même s'ils
méprisent les Celtes, ils sont prêts à apprécier leurs femmes, surtout quand elles sont jeunes et plutôt
agréables à regarder. Les distractions sont rares dans ce recoin d'Hibernia.
Le chef de la bande surpasse visiblement ses congénères en un point au moins, son mépris pour les autres
races.
- Que viens-tu faire ici, Celte ? Parle, et sois éloquente, ou tu ne sortiras pas de ce camp vivante.
- J'ai là une marchandise qui devrait vous intéresser.
- Me prends-tu pour un imbécile ? J'ai entendu parler des suivants des Voies des Sylvains. La faux que tu
portes en est une preuve suffisante : tu es une guerrière, pas une marchande.
- Nul marchand de Tir Urphost ne te fournira ce que je te propose, ô chef des siabras, ni même ceux de
Mardagh ou de Basar. C'est le genre de choses que seule une guerrière est à même de t'apporter.
- Soit, montre cette fameuse marchandise, et prouve-moi que tu ne me fais pas perdre mon temps...
vite.
Pour toute réponse, Ajonc jette à terre le sac. La ficelle qui retient l'ouverture se défait, un objet de
la taille d'une grosse pierre roule aux pieds du chef siabra. Mais les pierres sont rarement couvertes de
sang séché. Le siabra a d'abord un mouvement de recul instinctif, puis il reconnaît ce dont il s'agit, et
un sourire cruel apparaît sur son visage.
- En effet, je dois reconnaître que cette marchandise m'intéresse... et c'est aussi une bonne preuve
de ton allégeance.
- On m'a dit que tu étais prêt à payer un bon prix pour cela.
- Est-ce vraiment l'argent qui t'intéresse, Celte ? Ne serait-ce pas plutôt... le druide Harbin ?
Le chef siabra est plus intelligent - ou mieux renseigné - que ne le supposait Ajonc. Mais cela n'a pas
vraiment d'importance, sa réponse est déjà prête.
- Tu es perspicace. L'argent m'intéresse, mais ceux qui m'ont envoyé se chargeront de me payer. Et eux
s'intéressent beaucoup au druide Harbin. Je suppose que si tu voulais le relâcher contre une rançon,
l'Ordre des Druides en serait déjà prévenu.
- Exact. Ce druide a défié notre autorité dans cette région, et je ne le relâcherai pas, que ce soit
contre un tribut d'or ou d'une autre marchandise, même la tienne.
Ajonc se garde bien d'exprimer son opinion à ce sujet ; elle se doute cependant que ce n'est pas pour une
question d'autorité bafouée que le druide est retenu par les siabras, mais parce que, malgré tout leur
mépris, ils savent que la magie réparatrice que les Celtes tirent de leur relation avec la Nature est dix
fois supérieure à tout ce dont ils sont capables. Avoir un druide sous la main est un atout important pour
un camp de brigands elfes. Elle a d'ailleurs préparé ses arguments en conséquence.
- Aussi ne suis-je pas chargée de négocier sa libération, mais simplement de m'assurer qu'il est en
bonne santé, et de lui apporter quelques plantes qui lui sont indispensables pour maintenir son lien avec
les forces naturelles. Sans elles, ses pouvoirs de druide dépériront, et lui ne durera guère plus
longtemps.
- L'Ordre des Druides s'est payé les services d'une guerrière pour cette simple mission ? Décidemment, ils
font preuve de bien de la sollicitude pour leurs membres... je garderai cela en mémoire quand je fixerai
le montant de sa rançon, si je devais le libérer un jour.
Ajonc ne réagit pas à cela. Si son plan se déroule bien, l'Ordre des Druides n'aura jamais à payer quoi
que ce soit pour la libération du druide Harbin. Heureusement, convaincu de sa vénalité, le siabra ne
s'interroge pas plus sur sa démarche. Il cherche surtout à cacher son intérêt pour la santé de "son"
druide sous le voile de la magnanimité.
- Enfin, je suppose que je peux bien faire cela pour toi, en paiement de ce que tu m'as apporté.
Montre-moi ces plantes.
Emballés dans un morceau d'étoffe apparaissent alors une branche de chêne, quelques brins de gui, et,
entourés d'une large feuille de vigne d'Hy Brasil, des graines noires de forme semblable à des pépins de
raisin. En bref, rien que de très inoffensif.
- Je vais les lui remettre tout de suite, et devant tes yeux. Ainsi, tu pourras assurer tes
commanditaires que tu as accompli ta mission.
- Je te remercie pour ta compréhension, noble chef.
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