Almira quitta Midway dans les quelques jours suivant la mort de sa mère.
Même si elle avait eu le temps de calmer les ardeurs et les attentes insensées de la gamine qu'elle était encore 2 ou 3 ans auparavant, et même si les circonstances lui gâchait tout enthousiasme de quitter enfin ce trou et de voir enfin le monde, il n'en demeurait pas moins en elle un vif et très présent sentiment de délivrance quand elle vit s'éloigner Midway dans la poussière levée par le trot de son cheval.
Durant les deux années qui suivirent, elle varia les occupations et les endroits.
Dans un premier temps partie à Mumford où elle trouva un atelier où travailler et parfaire ses techniques, elle ne tarda pas à ressentir le besoin de se mettre sur la route à nouveau.
Elle passa du temps à Embry, South Burb et sans oublier la crasseuse Oilville.
Après son départ initial de Midway, elle fut prise d'une envie constante de bouger, de partir.
Immanquablement au deuxième matin qu'elle voyait se lever sur une nouvelle ville, à peine installée, avec un nouveau boulot, elle ressentait au fond d'elle cet irrépressible envie de partir.
Elle le ressentait moins comme un appel au voyage que comme un malaise par rapport à l'endroit où elle se trouvait.
Au bout de ces deux ans de ce qu'on peut appeler une errance, elle se surprit à regarder une carte de la région du plateau et à faire l'inventaire mentalement de ses haltes successives après son départ de Midway.
La lassitude à cet instant, dans cette station paumée à l'entrée de coppermine atteint son paroxysme.
Elle se sentait comme un poison rouge devant les horizons limités de son bocal minuscule : ce sentiment oppressant que lui imposait la certitude qu'aussi loin qu'elle pourrait aller dans ce monde borné par les zones irradiées, elle ne sentirait jamais chez elle. Elle ne trouverait jamais l'endroit où elle pourrait se poser et oublier, tourner la page.
Mais... il restait un point inexploré : Elle n'avait jamais osé aller à Boneclaw. L'image que les petites gens colportait des CHOTA l'avait toujours effrayée. Elle les voyait comme d'instables et imprévisibles anarchistes, sauvages au point de porter des armures et habits les laissant à moitié nus... dignes d'hommes préhistoriques...
Mais ce jour là, dans cette détresse claustrophobe, au sein de ce monde étriqué dont les limites lui pressait sur la poitrine et l'empêchait de respirer, elle trouva la ressource pour surmonter l'image qu'elle avait de cette ... ville.
La curiosité l'avait emportée.
Elle quitta Coppermine comme elle quittait d'ordinaire ses étapes plus ou moins longues :
sans un adieu, sans jamais prévenir personne.
Elle pouvait être installée depuis 2 jours ou 4 mois, elle partait comme ça, sur une nouvelle crise d'angoisse, sur un coup de tête insensé dont savait qu'il n'allait la mener nulle part... à nouveau.
Elle portait en elle la peur de retrouver ses démons dès qu'elle serait installée dans son nouveau refuge.
Lorsqu'elle arrivait à un nouvel endroit, il y avait cependant toujours une lueur d'espoir.
La découverte d'une ville, d'un patelin, de quelques maisons ou d'une station service délabrée pouvait lui faire espérer pendant quelques instant que cet endroit serait le bon.
Elle allait quelque fois jusqu'à se coucher en y croyant.
Mais le soleil se levant sur son eldorado avait à chaque fois le même effet : ses rayons délavait l'or des murs et laissait apparaître l'insupportable vérité :
Cet endroit était comme les autres. il ne conviendrait pas. il ne lui offrirait la paix qu'elle cherchait désespérément.
C'est en pensant à tout cela qu'elle chevaucha donc vers Boneclaw.
Elle arriva par le nord, sur le côté ouest du pont dominant la ville.
Quand elle découvrit ce gros campement qu'était Boneclaw, sa première réaction fut d'être immédiatement déçue.
Cette ville était resté depuis son enfance comme un interdit tabou dans son imaginaire.
L'excitation de transgresser cet interdit datant des jours où sa mère lui racontait encore des histoires à son chevet le soir, avait éveillée en elle des espoirs encore plus fous que d'ordinaire lorsqu'elle se dirigeait vers une nouvelle destination.
Elle ne pouvait être que déçue.
Les milliers de tentes tapissant le canyon titanesque qu'elle imaginait dans son enfance et inconsciemment encore hier n'étaient qu'en fait quelques baraques bricolées au fond d'un trou à rat.
Les feux brûlants nuits et jours, entretenus par de fiers guerriers et servant à faire cuire des dizaines de gibiers et mets moyenâgeux n'étaient que quelques feux de camps épars et ternes.
La ville dont elle s'était promis qu'elle lui offrirait contes sauvages et source illimitée de découvertes n'était qu'en fait un minuscule nid de poule dont on faisait le tour en un coup d'oeil depuis ce pont le surplombant.
Ce qu'elle avait tenu pour être son dernier recours n'était qu'une ultime et désespérante déception.
Ecoeurée, elle failli faire immédiatement demi-tour.
Mais un homme l'ayant aperçu depuis son poste de garde sur le pont se dirigeait déjà vers elle.
Amère, elle tira la bride de son cheval et alla à sa rencontre.
Elle passerait au moins la nuit ici... se dit-elle.
__________________
Leela Laughton

|