L'Heure des Heros était venu puis repartit et Gwen ne tenait plus en place. Cela faisait maintenant des semaines que le Grand Destructeur était tombé et que l'Avant Garde d'Ebon avait pris ses quartiers d'hiver à l'Oeil du Nord.
Mais aux confints du monde nordique l'hiver semblait éternel et elle savait bien que si tout danger immédiat pour la Tyrie avait été écarté, il restait bien des antres dans le monde où se terraient toutes sortes de créatures malfaisantes et parmi toutes ces menaces la plus grande était celle constituée par le règne de la Sorcière Murakai.
Cette dernière avait élu domicile dans les catacombes de l'ancienne Cathédrale aujourd'hui en ruine, en plein coeur du territoire Charr, et la rumeur affirmait qu'elle y gouvernait un peuple croissant en tant que déesse-reine.
Gwen, femme aux semelles de vent, avait décidé d'agir et elle se mit à rechercher quelques courageux alliés. Son choix s'arrêta sur un groupe d'hommes en provenance de Kaineng, car ces temps-ci il lui coûtait d'être en compagnie de tyriens qui se montraient toujours protecteurs et paternels envers elle, sous prétexte qu'ils l'avaient connu enfant, quand elle gambadait gaiement dans les vertes prairies de sa chère Ascalon, la tête couronnée de fleurs. Se remettre en mémoire ces temps heureux était pour la jeune femme un supplice, et elle préférait qu'on voit simplement en elle un officier de l'Avant Garde.
Les canthiens acceptèrent volontiers de participer au projet et la petite troupe se mit vite en route et fut bientôt en vue de l'incendie perpétuel qu'était devenu la Cathédrale. Ils pénétrèrent donc à l'intérieur à la recherche de la terrible Murakai.
Mais bien vite ils se rendirent compte qu'ils avaient sous-estimer le pouvoir de la Reine-Déesse car une véritable armée de Djinn , des esprits du feu, leur tendit une embuscade dès leur arrivé. Acculé, le petit groupe fit courageusement front et les canthiens chargèrent en hurlant "pour l'Empereur !", Gwen se jetant à leur suite et criant "Ascalon!".
Mais bientôt ils furent décimés et Gwen seule en réchappa, car les Djinns l'avaient capturé pour en faire un sacrifice à leur déesse, qui n'acceptait que les jeunes femmes en offrande.
La cellule de Gwen était sèche et suffocante, à l'opposé de toutes les geôles qu'avait connu la jeune femme. Elle sentait pourtant l'air froid de la Mort s'avancer et en colère plutôt qu'apeurée elle avait cherché en vain une issue.
Voyant sa fin proche elle mit un genou en terre pour invoquer sa déesse Lyssa, non pas pour lui demander de la secourir mais pour la supplier de lui accorder une mort digne.
C'est alors que de derrière la porte une voix caverneuse et ronronnante se fit entendre:
-La petite souris aurait-elle enfin trouvé un trou à sa convenance ? Mais qu'y fait-elle ? Elle prie ? Quelle absurdité en vérité, car sache qu'il n'y a pas de Dieux pour les Charr...
Phrase aussitôt reprise par un choeur de voix toutes aussi rauques: "Pas de Dieux pour les Charr !"
Gwen sentit monter en elle une peur panique, hérité de son enfance, mais ne la montra pas. Elle questionna le visiteur dont elle avait reconnu la race, malgré qu'il ne soit encore qu'une silhouette plus noire encore que l'obscurité environnante:
-Que veux tu, Charr ?
-A toi, rien de particulier, petite souris. Mais peut-être que toi en revanche tu voudrais sortir d'ici ? Je peux t'y aider...En souvenir du bon vieux temps.
Et la forme noire s'avança sous la lumière d'une torche et Gwen reconnu alors Pyre Fiertir, grand capitaine de la rébellion Charr.
-Bien que nous soyons dans une cathédrale l'endroit est mal choisi pour prier, petite souris.
-Il n'y a pas d'endroit bien choisi pour prier, capitaine: Pas de Dieux pour les Charr. dit Sear Francrégent, ami et lieutenant de Pyre.
-Pas de Dieux pour les Charr, psalmodièrent vingt voix.
La troupe avançait avec précaution dans les couloirs sombres, à la recherche de la sortie. Au bout d'un moment, Gwen se sentit obligé de demander:
-Et murakai ? Ne va t-on pas tenter de la détruire ?
Mais en vérité Gwen ne souhaitait qu'un chose: sortir. Car elle n'avait aucune envie de rencontrer à nouveau les Djinn.
A cette question les Charr partirent à rire à gorge déployée et Pyre lui répondit:
-Nous lui avons fait une visite de courtoisie et l'avons cloué à la porte de la salle du trône à coup de flèches.
Nouveau rires des Charr.
-Elle est morte ? demanda Gwen incrédule.
-Si elle ne l'est pas, le poison s'en chargera sous-peu.
Eclats de rire et applaudissements.
-Pourquoi être venu ici ? voulu savoir la jeune fille.
-La sorcière-déesse devait apprendre sa leçon, répondit évasivement Pyre.
-Quelle leçon ?
-Pas de dieux pour les Charr ! lui répondirent en choeur tout les soldats.
-Voilà qui est bien parler mes frères, s'écria Pyre. Mais allons-y, mes poilus: Il me tarde de sentir le vent sur ma fourrure.
Et ils se remirent en route, toujours riant et exultant.
Gwen était en proie à un curieux sentiment. Pyre et ses hommes s'étaient montré très courtois envers elle et même sympathiques. Elle devait au moins reconnaître l'attitude courageuse des Charr, sans parler de leur efficacité. La jeune fille se dit soudain que, peu être, seuls les Chaman étaient responsables de la destruction d'Ascalon et de ses souffrances passées.
C'est ruminant ses pensées que Gwen revit la lumière du jour et déjà Pyre plaçait ses hommes en rang puis lui dit:
-La petite souris devra mieux choisir les trous qu'elle explore à l'avenir, adieu.
Ils se mirent en route et Gwen restait là à les regarder s'éloigner.
Alors elle s'élança vers eux en leur criant d'attendre. Apres une dernière hésitation, elle dit d'une voix timide:
-Merci pour m'avoir...sauvé la vie, Pyre.
Puis elle pris entre ses fragiles mains l'énorme tête du rodeur et lui embrassa le museau, sous les rires hilares des autres Charr.
Pyre restait interdit, ne sachant que dire. Gwen, voyant son embarras, lui tira sur sa barbiche d'un air malicieux et dit:
-Adieu les poilus, à une prochaine fois peu-être.
Et elle s'éloigna en courant pour regagner le monde des hommes, non sans s'être retourné pour saluer une dernière fois ses sauveurs.
Pyre resta un moment à regarder la fine silhouette disparaître dans l'horizon et il se dit que, si il y avait eu des dieux pour les Charr, il leur aurait demandé de veiller sur la jeune fille.
Mais bientôt les rires et les moqueries de ses hommes le rappelèrent à ses fonctions de capitaine.
-Pyre a apprivoisé une bien belle souris !
-Je dirais plutôt que la souris à dompter le Charr !
-Silence, vous autres ! hurla Pyre Fiertir. En route, on rentre au camp, au pas de course ! Et si j'en vois un traîner à l'arrière, il devra rapiécer d'un ou deux trous son cuir miteux quand on sera arrivé...
Et la troupe Charr se mit en marche.