« Une narration est une entité d’une délicatesse infinie mêlée à une complexité sous-jacente incroyable. Tellement de fils narratifs composant le tissu, le corps du récit, tous jouant les uns avec les autres, tous ces personnages dont les destinées se rejoignent inéluctablement à la coda dans un dénouement glorieux… »
L’Erudit posa délicatement sa plume sur le support en bois sculpté de son bureau en chêne massif et regarda par la fenêtre, par delà les murs d’enceinte de l’Académie de Camelot.
Il n’avait cessé de repenser à ce qu’il avait appris lors de cette réunion quelques heures plus tôt : Quel avait été le véritable dénouement lors de la destruction de Dun Dagda ? Quels avaient réellement été les enjeux de cette bataille titanesque ?
Un coup discret à sa porte le ramena à la réalité, c’était Azim :
_Salam, vous désiriez me voir ?
L’Erudit examina brièvement le Sicaire qui se tenait devant lui. De taille moyenne, sa carrure profondément athlétique ainsi que son regard alerte laissait penser à un chasseur toujours aux aguets, si commun à la plupart des furtifs des différents royaumes. Mais là où beaucoup avaient péri par manque de vigilance, Azim avait survécu, tant par ses capacités que par son intelligence.
L’Erudit accueillit le Sarrasin avec chaleur :
_Entre donc, Sicaire, je t’ai fait demander pour que nous puissions discuter, seul à seul.
Azim fronça les sourcils tout en refermant la porte derrière lui, l’air méfiant :
_Parler de choses auxquelles le Conseil du Général Azariel ne sont pas censés avoir droit, n’est-ce pas ?
L’Erudit leva vers le Sicaire des yeux espiègles :
_Allons allons, tu devrais savoir que la politique a depuis bien longtemps pris le pas sur les valeurs qui ont pu être les nôtres, je ne pense pas apprendre cela à quelqu’un comme toi ?
Azim resta silencieux, observant de plus près le vieil Avalonien qu’il avait devant lui. Qu’en dire ? Il possédait certes l’apparence d’un vieil homme, mais son instinct disait au Sicaire qu’il n’en était rien… Ce regard… Azim commençait à se sentir mal à l’aise :
_Mais qui êtes vous donc ?
Devant lui, l’Erudit sourit :
_Qui je suis importe peu à l’heure qu’il est, ami Sicaire. Souviens-toi de moi comme d’un vieil homme qui adore les histoires. D’ailleurs, tu as une histoire à me raconter, Azim. Celle que tu n’as pas révélée au Conseil mais que tu vas me donner maintenant.
Azim recula d’un pas. Instinctivement, sa main s’était rapproché de sa dague :
_Doutez vous de ma loyauté envers Albion, vieil homme ?
_Bien sûr que non mon ami, bien sûr que non. Néanmoins, je suis convaincu que tu as gardé quelque chose pour toi, et je veux l’entendre maintenant… Tu connais ce Nosroth Delving, n’est-ce pas ? Tu le connais même bien.
_Je devrais vous tuer sur place…
_Allons allons, pas de ça entre nous mon ami. Comme toi, je cherche la vérité dans ce qui c’est passé, pas le plus gros profit que je pourrai en retirer. J’ai besoin de comprendre, vois-tu ? Je dois le trouver, moi aussi, peut-être le chercherons nous ensemble, qui sait ?
Azim ne put réprimer sa surprise en entendant ces mots. Il prit finalement sa décision et raconta l’histoire des temps passés, alors qu’il combattait l’Ordre de Loki en Emain Macha. Il raconta comment il avait combattu ce Viking pendant si longtemps pour finalement arriver à un match nul, les deux adversaires à bout de force, chacun un sourire aux lèvres… Il aurait pu se regarder dans un miroir ce jour-ci…
Il raconta comment, ivre de terreur, il avait assisté à la destruction du reliquaire de Dun Dagda, submergé par les morts, et comment il avait reconnu ce viking, Nosroth, disparaître peu de temps avant l’anéantissement du donjon.
Pendant qu’il parlait, l’Erudit esquissa un sourire. Il ne s’était pas trompé, l’histoire valait vraiment la peine d’être contée…
Au commencement était la lumière… ou était-ce à la fin ?
Toute histoire possède un début, et une fin, lui avait-on dit un jour.
« Le passé nous rattrape toujours »
…
Le passé…
La pluie… la tempête…
Le feu… douleur !
La mort de son ennemi de toujours, celui par qui tout avait commencé, et par qui tout avait fini...
Le chaos…
Ils allaient mourir, lui et son ami, mais… Quelque chose c’était produit… Etaient-ils vraiment morts ?
L’intérieur du donjon, la lumière… Ils avaient sauté dans la lumière alors que les premières pierres tombaient avec fracas…
Après la lumière vint l’obscurité.
Etait-il mort ?
Lentement, il ouvrit les yeux et regarda ses mains brûlées et encore fumantes, il ressentait vaguement une certaine douleur, il devait donc être encore en vie…
Et puis tout d’un coup, tout lui revint en mémoire, si bien que le premier son de sa nouvelle existence fut un hurlement, et quiconque se serait trouvé non loin, il aurait pu entendre ce nom hurlé avec toute la rage et la douleur d’un être meurtri :
-ZEKINTHA ! ! ! !
C’est alors que la douleur finit par le terrasser et il s’effondra, non sans jeter un regard inquisiteur quant aux environs, et ce qu’il vit lui fit pousser un grognement de dépit avant de s’évanouir de nouveau.
Non, il n’était pas mort. Mais il se trouvait néanmoins en Enfer… Il avait reconnu, au loin, le long couloir aux colonnes impies et aux inscriptions blasphématoires sculptées à même la roche millénaire. Devant lui se dressait le couloir menant à Légion le dévoreur d’âmes.
Il se trouvait au fin fond des Abysses.
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