[BG] Lycane

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« Nous qui avons agi et pensé,

Qui avons pensé et agi,

Devons aller au hasard et nous disperser,

Comme du lait répandu sur une pierre. »
W.B. Yeats




Lycane Tristecoeur




Qu’est-ce que le début d’une histoire ?

Une première impression volée à la brume, un moment esquissé au fusain ?

La mienne s’ouvre sur une barque colorée d’azur et d’or, qui s’éloigne du rivage. La barque funéraire de ma femme.

Le deuil crée d’intimes et vénéneuses concrétions, savez-vous. Oui, elles se lovent dans l’âme. Elles s'attachent aux os. Font des cartilages. Tordent et retordent. Et y restent. Si on les oublie, si elles sont sur le point de dépérir, leurs épines s’agitent. Un spasme et tous les souvenirs reviennent. La peine coule à nouveau, les nourrit. Elles peuvent continuer, rassérénées, enkystées, leur lent travail de vigie dans l’usure du temps qui passe.

O Loec, O Lileath, si le malheur n’était qu’un coup du sort. Si à la fin tous se relevaient et ramassaient oripeaux et accessoires. Mais non. Accourez cataractes de douleur et de larmes, pleurez chênes ancestraux, cachez-vous biches et loups. Chasseurs ou chassés. Ma femme, ô ma femme, tu me manques tant. Je ne vis qu’en me remémorant.

Non ce n’est pas ce que vous croyez. Elle n’est pas tombée sous le couteau d’une ombre de Naggaroth. Non, elle est partie parce qu’elle ne se reconnaissait plus dans cette vie. Ou que la vie ne la méritait pas. Elle était la pureté. Et la fragilité. C’est la malveillance du monde qui l’a flétrie. C’est l’hypothèse de la fin. La vie est un difficile défi gris. Pour ma femme elle l’était plus que pour toute autre. En elle criait muette l’insupportable mélancolie de prédire Ulthuan baignée de sang et de souillures.

Elle ne voulait pas de cet avenir. Elle ne voulait pas de ce monde. Les eaux noires l’entouraient de plus en plus vers la fin.

Ma femme perdait jusqu’à l’intérêt pour la palpitation de la vie dans les collines, le murmure des choses et les jeux de lumière dans les futaies. Le regard des dieux ne l’atteignait plus. Ni les herbes couchées près des cairns de pierre. Ni la bonté des chimères. Ni la chaleur de mon amour. Elle est partie un jour de grand vent. Les cygnes s’étaient prudemment envolés au matin, leur spectacle dans l’aube peinte de rose et de pourpre renvoyait à une beauté naïve et brute qu’elle ne voyait plus.

J'ose croire d'une doucereuse souffrance, lente et amicale. Le rien était préférable à tout cela, et c'est ce qu'elle a choisi. Elle l’a enrobée dans du papier ruban, nouée avec une jeune pousse pliée et battue par l’air pur de Chrace. Elle m'a légué cette absence en cadeau. Et les concrétions.

Je la porte en moi chaque jour. Nous sommes heureux comme ça. Les épines, vous voyez.

Depuis, je n’aime que la compagnie des choses mortes.

Quand je ne vis pas en ermite dans les contreforts des montagnes Annulii, quand je ne chasse pas, je m’intéresse au murmure des antiquités. Je suis mémorialiste et numismate. J’aime la couverture corrodée des vieux livres et des vélins cassants, comme j’aime le mystère des pièces de monnaies martelées et frappées de mille hasards. Ces vieux objets qui chantent encore un peu des échos du passé. Je compare leur peine à la mienne. Elles me sortent de ma propre histoire. Et j’écoute la leur. Donnant donnant. Nous nous comprenons.

J’ai fait parfois des voyages dans les forteresses naines et même en Altdorf. J’y ai découvert avec étonnement parfois un remède à ma langueur dans ces âmes jeunes, énergiques et si enfantines que sont les hommes. J’ai connu des personnes remarquables. Fortes de conversations colorées et riches. Des amitiés aussi. Et des promenades d’insomniaque à contempler les tumultes de la rivière Reik. J’essaie de ne plus trop me lier, la mort prématurée de ces vies courtes m’a trop laissé de cette poussière blanche empoisonnée qui s’immisce partout, se dépose sur les choses et les rend sans goût. Il me faut alors vivre loin de tout. Soumettre et dresser la sauvagerie d’un lion m’apaise. Un lion a une sécheresse d’âme, mais son appétit de sang et de vie m’irrigue. Et lui, il oublie.

Les Arches Noires sont là, la guerre est maintenant partout. Elle se prolonge des champs de bataille aux luttes dans l’ombre pour rechercher savoir et artefacts. Ma peine a trouvé le terreau que mon âme désertée attendait secrètement. Je tiendrai mon rang. Que pousse le grand arbre de la vengeance.

J’ai bientôt mille ans. Je suis une hache et de longs cheveux blancs. Je suis la peine et la furie du lion qui m’accompagne. Je suis ma femme quand elle riait aux éclats. Et quand elle pleurait sans raison. Je suis l'enfant que nous n'avons pas eu. Je suis l'abîme quand j’ai fermé ses paupières.

Aujourd’hui je me bats pour ma femme et pourtant elle ne reviendra jamais.

L'obscurité descend sur le monde.

Il fait déjà presque nuit.

Puisse Asuryan nous pardonner tous.



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Guilde Loge Onarius
http://spellborn.onarius.net/forum
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