Les chroniques de Zieg : Bataille de Karak-Kadrin
Nous allions perdre, c'était inévitable. Jamais la fin ne m'avait semblé si proche et déjà j'appréhendais le contact glacé et métallique de l'épée dans ma chair. Et alors que nous peinions à contenir les assauts de plus en plus brutaux de cette vague monstrueuse qui déferlait sur nous, j'en venais à me demander quelle folie m'avait mené ici.
J'aurais pourtant dû savoir qu'accompagner Zieg dans sa croisade était un acte suicidaire. J'abhorrais naturellement les fanatiques, et c'était le pire d'entre eux. Ce bœuf Norse bardé d'acier, haut comme un troll, avait voué sa vie entière à l'Empereur et lui obéissait aveuglement. Commandant la prestigieuse compagnie du Grizzly de l'Empire, il avait acquis une notoriété telle, que certains lui vouaient déjà un culte. Zieg l'immortel, glaive salvateur du Reikland, Pourfendeur du Chaos ou Fléau des Orcs ; autant de titres pompeux et démesurés. Pourtant aucun d'eux n'était usurpé, car Zieg, bien plus qu'une une force indomptable, était un meneur homme comme il en existe peu.
Plongé au cœur du tumulte, au plus profond de la mêlée, ce géant au cou taurin pouvait vociférer les ordres avec une telle véhémence, que sa voix rauque et puissante venait couvrir le fracas des lames et les hurlements. Son cri déclenchait la clameur guerrière de ses hommes, les plongeant dans une transe meurtrière. Animés par un instinct purement animal et ayant éradiqué toute trace d'humanité en eux, les guerriers Grizzly scandaient en cœur leur litanie de bataille, semant la mort dans les rangs ennemis avec une inouïe sauvagerie. C'était là sa vraie force, il inspirait le courage et la folie chez les siens et la terreur chez l'ennemi. Même les hordes du chaos craignaient cet ours venu du nord.
Mais aujourd'hui, nos troupes se faisaient décimer et j'apprenais à mes dépends que le courage ou la folie avaient leurs limites et que la peur ne pouvait rien contre une marée de monstruosités. Nous livrions un combat désespéré au beau milieu d'une tempête de neige. Les nains de Karak Kadrin, ne pouvaient plus assurer la protection de nos flancs ; ils avaient étés balayés par l'assaut combinés des hommes-bêtes et des hordes skavens, condamnant les forces impériales à lutter sur plusieurs fronts. Le moral des soldats, déjà sérieusement entamé, avait fini par être anéanti, lorsque qu'un Démon Cornu était apparu au cœur de la bataille, émergeant de l'enfer dans un nuage de souffre empoisonné. Et malgré la hargne contagieuse des Grizzly de Norsca, qui, dans une fiévreuse danse de mort étaient parvenus à s'engouffrer dans les rangs ennemis telle une tornade d'acier, nous avions abandonné tout espoir. Zieg nous avait promis cette victoire. Mais Zieg nous avait mentis et je maudissais ce fou. Alors que je combattais pour ma vie, je ne pus en cet instant réprimer un rire dément, hystérique.
« Trop tard » pensais-je, alors que je me débattais dans le blizzard déchainé. Oui, il était trop tard pour ruminer, trop tard pour avoir des regrets.
Lorsque le monstre nordique avait pris sa folle décision, celle-ci était devenue irrévocable. Personne au palais n'avait pu lui faire entendre raison car Zieg était au moins aussi redoutable à la cour que sur les champs de bataille, son visage anguleux, couturé de cicatrices dissimulant un esprit des plus vifs. Ses yeux gris acier, nichés sous de larges arcades, décelaient la moindre faille, même au travers des voiles opaques que tissaient les langues les plus habiles. Son intelligence était si aiguë et sa répartie si mordante, que son verbe incisif s'abattait tel un couperet, laissant les politiciens et beaux parleurs pantois, désarçonnés. Ce jour là, sa sagacité avait eu raison de ses plus fervents détracteurs, et arguant qu'une fois les cols envahis par l'armée du chaos, nous ne pourrions stopper le flot entropique qui se déverserait alors sur l'Empire, il sut convaincre l'assemblée et justifia sa campagne insensée.
Je le maudissais pour ne pas avoir écouté les parasites de la cour, ces conseillers joufflus engraissés de gibiers, ou ces petits nobles mielleux et ricaneurs lovés dans la soie.
Autour de moi, la bataille faisait rage. La compagnie des Loups de Kislev venait de se disloquer, et ses féroces guerriers étaient désormais autant de fourmis fuyant le pied écrasant de la Horde. Quant à son chef, le cruel Baron ; il avait fini embroché sur la lance barbelée d'un chevalier du chaos, devenant l'Etendard morbide d'une armée ivre de sang. La situation était critique et j'étais désormais tiraillé entre la promesse que j'avais faite et l'urgente nécessité d'agir. Les Grizzly tenaient toujours bon dans la mêlée, plus féroces que jamais, mais ce n'était qu'une question de temps avant que les Berserkers Norse ne cessent leur danse et ne finissent en charpie. Il était donc grand temps pour moi, de tenter ma chance, même si pour cela il fallait que je brise mon serment.
Cela faisait longtemps que je n'avais usé des arts obscurs, c'était la le prix à payer pour gagner la confiance de l'Empereur et mon rôle de sorcier s'était borné à la défense et l'assistanat. J'en étais réduit à contrer la sorcellerie ennemie et minimiser son impact, ou bien apporter mon expertise lorsque la magie noire était à l'œuvre. Zieg, pensait que les maléfices et sortilèges pouvaient corrompre l'âme guerrière de ses hommes et instiller la peur dans leur cœur. Pour lui, même cantonné à un rôle purement défensif, la présence d'un Sorcier, fût-il parmi l'élite de l'Empire, était bien plus un mal qu'un atout. Non, le Norse ne m'aimait pas, et sans que sa haine à mon égard fût ostentatoire, son aversion pour les gens de mon espèce marquait en permanence son faciès d'un rictus de dégout. Il ne pouvait le réprimer, c'était ancré au plus profond de l'âme de son peuple.
La pression sur nos flancs s'exerçait de plus en plus fortement et la puanteur du chaos empestait l'air. La mort sous sa forme la plus bestiale et malveillante continuait d'étendre son ombre sur nous et je sentais monter en moi, les litanies impies de Morr que mon esprit avait scellé il y a longtemps. La terreur avait fait resurgir les arts oubliés qui étaient en sommeil, tapis dans l'ombre de mon âme. Le plan de Zieg avait échoué, et il ne pouvait s'assurer la victoire sans mon aide. Inconsciemment, je commençai alors à entonner un chant séculaire et levai mon bâton vers un ciel assombri par la tempêté. Mon corps s'était mis à trembler convulsivement, envahi par ces forces ancestrales qui peu à peu se libéraient. Cette énergie galvanisait mon être, et plus que jamais je me sentais engoncé dans une gangue de chair, étriqué dans une enveloppe prête à exploser. J'avais envie de hurler. Les veines sous mes tempes tambourinaient avec force tandis que mes yeux irradiaient d'une chaleur volcanique. Puis les convulsions se firent tremblement et je pouvais presque sentir les os de mon corps céder sous cette force incontrôlable. La douleur étant devenue insupportable, je ne pus retenir un hurlement qui retentit avec une telle violence qu'il en déchira le ciel, son écho résonnant dans la montagne.
Finalement, la souffrance finit par disparaître, laissant place à un étrange bien être. Entièrement consumé par une puissance qui n'avait rien de ce monde, j'étais investi des pouvoirs de destruction de Morr , devenant son instrument, son bras armé. C'est presque mécaniquement, que je pointai alors mon bâton vers la horde vociférante qui dévastait notre troupe. L'enfer de déchaina sur l'ennemi.
Sang, sueur, cris d'agonies et flammes dévorant autant les hommes que les bêtes.
Possédé par l'essence du Dieu de la Mort, j'abattais aveuglement son courroux, sans distinction aucune, ivre de puissance. Autour de moi, le champ de bataille n'était plus qu'un brasier sur lequel je régnais. J'étais tel un diable fou dansant dans un nuage de cendre et de neige, avide de chair brulée. Ma barbe et mes cheveux s'étaient embrasés, ne laissant de moi qu'une silhouette vaguement humaine, fantôme parmi les flammes.
C'est alors que je l'aperçu. Il avait bondi de la mêlée, tel un tigre enragé. Ses muscles d'acier étaient tendus jusqu'à l'extrême, sa longue chevelure ébouriffée, échappée de son casque fendu, lui conférait un aspect bestial. Il n'avait plus rien d'un homme, ni même d'un ours. La bave écumait de ses lèvres et son regard azur brillait d'une haine démente. Il me fixait, et malgré la force qui m'animait, je sentis mon ventre se vriller de peur. J'étais une proie, sa proie. Zieg avait du sentir le déferlement de puissance et son instinct meurtrier l'avait fait quitter la mêlée pour le mener à moi. Alors que la confrontation me paraissait inévitable, je me préparai à l'impact.
Puis il s'élança. Il fonça vers moi avec une inouïe célérité, brandissant sa hache, fendant en deux au passage un skaven venu entraver sa course. Je psalmodiai rapidement une incantation de flamme, bien déterminé, à le transformer lui aussi en torche. Mais alors que j'entonnais rapidement le sortilège dans une langue impie, il disparu soudainement de mon champ de vision. Paniqué, je secouai la tête, le cherchant du regard ; pour constater avec effroi qu'il s'était littéralement envolé au dessus de moi et abattait son énorme couperet. Il poussa un grognement inhumain et frappa. Dans le même moment un geyser de feu jaillissait de mon bâton et je détournais le regard.
Son coup avait fait mouche, et le mien aussi.
Sa hache s'était enfoncée au plus profond de la chair, et le démon cornu qui était sur le point de frapper dans mon dos, poussa un cri strident.
Zieg , resta un interminable moment accroché à son arme, alors qu'il était littéralement engouffré dans un manteau de feu. Il hurlait, non pas de douleur, mais de haine. J'étais paralysé, ne comprenant que trop tardivement l'horreur de la situation. Ce n'est pas moi qu'il était venu chercher, et j'avais pris sa vie au moment ou il sauvait la mienne.
Le géant du Nord et le Démon finirent par tomber ; couple improbable unis dans un linceul de flammes.
Foudroyé par cette vision, et ne pouvant plus contenir un tel bouillonement d'énergie dans ma frêle enveloppe, je sombrai et m'évanoui.
Lorsque mes yeux s'ouvrirent le jour se levait. L'aube faisait courir son manteau de lumière sur une mer carmin jonchée de cadavres, ses rayons se réfléchissant sur les lames et armures figées dans glace.
Nous étions une poignée à avoir survécu et nous errions, hagards, parmi les corps. Malgré le froid mordant, le sol gorgé de sang brûlait encore du feu de la bataille. La totalité des forces du chaos avait été détruite ; nous avions gagné. Je pensai à Zieg avec amertume, car sans lui rien n'aurait été possible. Sans son insistance, Sigmar sait qu'elle funeste sort aurait été réservé à l'Empire, si la horde du chaos, n'avait pas été stoppé dans les cols Karak-Kadrin. Pourtant, il était mort de mes propres mains et j'aurais à porter ce deuil jusqu'à mon trépas. Malgré mon serment, j'avais fait appel à ce savoir honnis, souillant mon âme d'une marque indélébile. Oh bien sur, je n'allais pas supporter ce fardeau bien longtemps car inquisiteurs et répurgateurs allaient se charger de moi, et auraient tôt fait d'effacer la corruption à coup de tisons brûlant et autres engins de torture. C'était la le destin réservés aux hommes comme Zieg ou moi-même ; le sacrifice pour la survie de tous. Nous étions tout deux des martyrs, mais alors que son nom serait à jamais porté aux nues, le mien au contraire serait traîné dans la boue des siècles durant. Je me mis assis et nichai ma tête dans mes mains maculées de sang séché, et pour la première fois de mon existence, j'explosai en sanglots.