Quarante âmes

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Quarante âmes
Le récit d'une bataille








Les baraquements des hyrkaniens s'adossaient à la tour en ruines.

La nuit était noire et froide, et pour couronner le tout une brume s'était levée en provenance de la passe qui commandait le cirque rocheux.

Les hyrkaniens avaient bien choisi leur emplacement. Aucune attaque ne pouvait venir de l'intérieur du cirque, une rivière coulait des montagnes par l'arrière, et leurs éclaireurs étaient postés avec des provisions de flèches et de rochers en haut du goulet d'étranglement face à la vallée en contrebas.

Les cris de rapaces résonnaient. S'il y avait eu un cimmérien parmi le détachement, il aurait vite reconnu les sons pour ce qu'ils étaient. Des codes rapides, imitant les animaux et délivrant un message de nombre ou de position. Mais le vernis de civilisation était bien plus présent chez les hyrkaniens, et ces tactiques barbares leur étaient inconnues. Tout au plus savaient-ils que ces hommes-bêtes sanguinaires du Nordheim menaient leurs combats comme des ours enragés auquel on aurait mis le feu à la fourrure, en chaos et sans logique. Alors que sous leurs harnois, leurs armes d'hast et leurs soieries, les hyrkaniens maîtrisaient l'art de la guerre.

Deux êtres qui ressemblaient à des démons montaient à mains nues la falaise, avec une aisance déconcertante. Pourtant il n'y avait aucune prise et le seul escalier de cordes des vigies hyrkaniennes avait été remonté à la nuit, avec la dernière provision de viande et d'eau avant le lendemain.

Ils étaient presque au sommet. en un bond incroyable ils se matérialisèrent devant les sentinelles, l'une eut la gorge tranchée et inonda son adversaire d'un jet de sang bouillonant, l'autre, de dos, vit incrédule une lame jaillir d'entre sa poitrine alors que la vie le quittait. Les deux cimmériens enlevèrent leur coiffe de peau qui leur avait donné cet aspect si terrifiant et hululèrent dans la nuit. Puis ils se postèrent en hauteur, près des arcs doubles et des paniers de rochers de leurs victimes.

***
Le contraste fut saisissant. Et terrifiant.

Alors que la passe était plongée dans le silence, soudain, tout ne fut plus que cris inhumains, hurlés par des gorges barbares. La bande hirsute chargeait en faisant le plus de bruit possible, certains frappant leurs deux haches tout en se jettant avec un rictus animal vers la palissade des hyrkaniens.

Une telle sauvagerie réveilla tout le campement, mais elle eut aussi un effet direct sur le moral des hommes de l'est du lac Vilayet. A peine réveillés pour la plupart, ils attrapaient une lance ou un bouclier, mais ce capharnaüm bestial et sauvage glaçait le sang de ces soldats de métier. Et personne ne comprenait pourquoi l'alerte n'avait pas été donnée.

Car combattre en rangs des hommes civilisés était bien plus normal que d'affronter ces berzerks, qui, disait-on, continuaient à se battre même mortellement blessés, en riant, peinturlurés de masques de guerre et de sang, tels d'anciens dieux du mal.

Les premiers de la horde avaient atteint la palissade, certains l'escaladaient alors que d'autres se postaient des deux côtés de la porte de rondins renforcée, et en attaquaient les jointures par le dessous. Le premier des assaillant bondit dans le camp en hurlant. Il lança une hache courte qui alla fendre en sifflant le crâne du premier soldat alentours, laissant sa masse devenue molle s'effondrer dans le large feu devant lui. Avec la rapidité d'une panthère, sa deuxième hachette se ficha dans la cuisse d'un capitaine cuirassé de fer, le laissant pantelant,les mains désespérément serrées autour de sa jambe. Il avait assez connu d'escarmouches et de batailles pour savoir déjà qu'il allait se vider de son sang. Le coup de son adversaire avait été port entre le haut du muscle et la hanche, aussi précis que celui d'un chirurgien.

La porte céda.

Dans un vacarme de haches, de lances, de boucliers, assaillants à demi-nus et hyrkaniens désordonnés s'affrontèrent. D'un chaos de coups bas, de membres coupés, n'émergeait rien d'autre que la peur et la sauvagerie. Eclairée seulement par les feux de camp, la scène semblait une peinture primitive d'un artiste fou, la pénombre démultipliant les craintes et rendant impossible un commandement quelconque ou une bonne appréciation du nombre d'ennemis.

Les barbares bougeaient sans cesse, indomptés, déchaînés, leur visages maquillés ou recouverts d'une peau tannée les transformant en des auxiliaires des enfers. Une volée d'arcs hyrkaniens commença cependant à faucher quelques-uns de ces démons. Comme à un signal soudain, comme un animal multiple, doté d'autant de membres mortels que de barbares debout, ils refluèrent d'un coup. Sans hésitation.

Le commandant hyrkanien pensa que la crainte des arcs légendaires de sa race et la résistance à la palissade avait brisé l'ardeur de ces chiens alcooliques en furie. Il ordonna le regroupement, et que la moitié des soldats poursuive et extermine les assaillants qui battaient en retraite dans la passe.

***
Pendant ce temps, un second groupe était entré aussi dans cette même passe quelques minutes auparavant. Mais au lieu de foncer vers le fortin et la tour, ils étaient restés dans les ombres, avaient contournée la bataille et atteignaient maintenant l'arrière du camp. L'un deux resta debout sur un monticule, dans l'obscurité totale, et entonna un chant sinistre.

D'abord rauque il montait parfois dans les aigus, et s'y mêlaient des mots mystérieux alors qu'il exécutait comme une danse lente avec ses bras. Son dos était recouvert d'une peau d'ours, donc le haut de la mâchoire lui faisait un couvre-chef. La nuit se couvrit d'encore plus de noirceur, comme si une encre était venue effacer les dernières zones de demi-clarté.

Dès que les poursuivants, dans la nuit noire, furent entrés suffisamment dans la passe à la poursuite des barbares en déroute, un déluge de rocs venant des hauteurs les faucha impitoyablement. Les pierres, rendues mortelles par leur chute, écrasèrent têtes, membres, armes. D'autres pierres d'éboulis, qui avaient été maintenues en un dispositif spécial par les hyrkaniens, dévalaient maintenant la pente, parachevant le massacre.

Les barbares attendirent que les dernières pierres fussent tombées, et firent volte-face, décapitant et achevant les blessés hyrkaniens en bondissant sur les rochers.

De l'autre côté de la bataille, deux soldats hyrkaniens furent saignés, laissés hurlants, bien en vue, dans le cercle de lumière de leur feu de garde. Dès que leurs compagnons s'approchèrent pour leur porter secours, les archers tapis dans l'ombre les décimèrent avec la dextérité de ceux qui ont peu de flèches pour nourrir leur clan.

Le shaman continuait sa danse, et faisait naître fumées et sons un peu partout, déconcertant les hyrkaniens restant autour de la tour et de leur chef hébété. Le chaos était total. Les bruits les plus monstrueux fusaient, laissant croire à des animaux géants traversant les ténèbres. Les gestes du shaman semblaient littéralement lancer ces bruits comme des boules. C'était maléfice que tout cela.

Le groupe à l'arrière du camp avançait maintenant dans la nuit, certains étaient en demi-course et s'étaient coiffés des casques hyrkaniens. Ils étaient dans le camp, esquivant, avançant comme des soldats, parmi eux, poignardant de leur coutelas puis glissant l'instant d'après de le dos d'un autre ou derrière une tente à laquelle ils mettaient le feu.

Les hyrkaniens ne savaient plus qui était qui.

De la passe, les maudits assaillants en meute revenaient, et de l'arrière des bouchers invisibles étaient parmi eux, tuant et mutilant, semblant préférer créer de la confusion en laissant des blessés hurlant de douleur et de peur plutôt que des morts silencieux. Les flèches volaient depuis la palissade qui était maintenant aux mains de ces sauvages, sans que personne dans le tumulte et la rapidité de l'attaque n'eut la présence d'esprit de faire remonter des gardes là-haut.

Ceux des hyrkaniens qui étaient encore debout, désorganisés, désorientés, n'ayant qu'une vision parcellaire de ce qui se passait, terrifiés par les cris et les fumées, n'avaient plus aucune chance. Même les plus âgés d'entre-eux n'avaient jamais eu dans le sang civilisé qui coulait dans leurs veines, la ressource ou la vitalité sauvage de se battre comme des panthères en furie, sans ordres, sans logique claire, sans un capitaine qui les mettait en rangs.

***
Le Clan d'Onarius avait lancé tous ses guerriers dans la bataille, en un terrifiant quitte ou double. Ils n'avaient pas eu le choix.

Et le shaman avait lu la veille leur victoire sanglante dans les entrailles d'une bête sacrifiée, levant vers la lune son museau hystérique dans les derniers soubresaut de l'agonie.


Avant l'aube, plus aucun des quarante hyrkaniens ne respirait.
Comme indiqué sur ton précédent post de présentation: très bon.

J'aime beaucoup le style, c'est riche et recherché sans pour autant être lourd à lire.
Les personnages sont violents, fourbes et cruels, bref j'adore (oui oui j'ai eu quelques problèmes mentaux dans ma jeunesse ).

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