[BG] Guilde Les Discordiens (Maimane)

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"Hum, ahem, Bien le bonjour messieurs dames, je me présente : Lyael, membre de la guilde des Discordiens sur le monde dédié à Maimane.

Bon laissez moi deux secondes pour m'asseoir, mon récit risque d'être un peu long hélas. Ceux qui baillent au font de la salle, vous feriez mieux d'aller vous coucher séance tenante, sinon vous n'y survivrez pas, je vous le certifie.

La voilà, bien assise et calée au fond du fauteuil, je vais vous tenir la cheville toute la nuit maintenant... Donc vous vous demandez ce que je viens faire ici, investissant la scène sous vos yeux hagards. Et bien je viens vous expliquer qui nous sommes et pourquoi parfois, vous pouvez nous croiser, hurlant des absurdités sans nom, faisant des choses que même le plus simple d'esprit ne ferait pas. Vous ne nous avez pas vu ? Grand bien vous fasse, mais si vous croisez une bande d'allumés déguisés en piou et attaquant des percepteurs, ou encore des abrutis qui jouent à la chenille, partez en courant : c'est nous.

Ne croyez pas que je viennes ici pour recruter qui que ce soit et trouver d'autres fous, non : les Discordiens restent entre amis. Je suis juste là pour vous narrer en qui nous croyons et ce qui fait qu'un grain de folie nous anime tous... Mais cessons ce bavardage et ouvrez vos oreilles, puisque vous avez daigner rester..."


Chapitre 1 : une ficelle de Lin

La ficelle de lin mouillée se balançait mollement sur sa branche au gré du vent. Fleur encore il y a quelques heures, elle avait été cueillie, puis elle avait changé de main pour être travaillée, étirée et prendre sa forme actuelle. Elle séchait ainsi au soleil, légèrement charriée par la brise.

Vous allez me dire : " qu’est ce que j’en ai à faire d’une ficelle de lin ? Qui va sûrement pendre à l’arc d’un de ces grmbl… de Crâ et qui servira à me faire encore plus mal quand je prendrais sa flèche dans le cul ". Détrompez-vous, cette pauvre et innocente ficelle est importante. Ce n’est pas tant la ficelle qu’il faut regarder, mais plutôt ce qu’il y a dedans. " Ben du lin, grosse noob ! " Me répondrez-vous… Vous êtes incorrigible hein ? Soyez patient ! En fait, je dis cela, mais ni vous ni moi n’aurions pu se douter qu’une entité divine - une toute petite - s’y soit glissée attendant patiemment son destin… Et s’emmerdant carrément au passage.

Et oui, l’être - de lumière, plaisanteront certains - s’ennuyait ferme. Elle cherchait des disciples, juste un pour le démarrage, mais n’y arrivait pas vraiment. Elle avait vu Sacrieur inspirer un homme et rouge de colère - si tant est qu’elle ai pu rougir - s’était frappée à un arbre en se demandant pourquoi elle n’y avait pas pensé plutôt. Une autre fois, un panda ivre était passé près d’elle, tout de suite elle avait saisi qu’une seconde divinité venait de décoller de la fange où elle restait engluée. L’entité enrageait… Elle aussi voulait participer au Panthéon, avoir la gloire, la beauté, le pouvoir, les tables de rekop et les gigolos… Tout l’apanage des grands.

Revenons un peu en arrière et laissons la ficelle de lin pendre à son arbre. Car avant d’atterrir là, la divinité - mais devrais-je réellement l’appeler ainsi pour le moment ? - avait déjà testé pas mal de créneaux divins. D’abord, elle avait souhaité réunir les deux filons précédemment exploités par Sacrieur et Pandawa… Voyons donc cela : l’une avait charmé un bûcheron, l’autre venait d’une île où la faune était bien particulière… Elle décida donc de devenir Déesse du Grand Bambou Rayonnant. Là, elle trouverait forcément un bûcheron a dragué, et en plus elle faisait exotique, tous les éléments de la gloire étaient forcément réunis ! Hélas, après des semaines d’attente, un bûcheron vint… Coupa le bambou… Et ce fut tout… Retour à zéro…

Après un temps indéfini de ronchonnages en tout genre - les Dieux aussi peuvent avoir leurs humeurs - elle remarqua que de nombreux Dofusiens appréciaient particulièrement la corne de bouftou… Un élément pourtant peu remarquable en soit – pensait-elle – M’enfin, si cela leurs faisait plaisir… Elle devint donc le Grand Esprit de la corne de bouftou, essayant d’inspirer les habitants d’Amakna en leur parlant à travers les objets tant convoitées. Malheureusement, les plus sains s’enfuyaient en hurlant lorsqu’ils entendaient une corne leur parler et leur demander de lui consacrer un culte... Certains répondirent à l'appel, mais des messieurs tout de blanc vêtus vinrent rapidement chercher ces pauvres erres... La divinité ne sut ce qui leur advint, même si nous, on s’en doute un peu quand même.

Ce dernier et épuisant échec fit hurler de rage l’entité. Déçue, elle s’en fut sautillante dans sa dernière corne de bouftou et se jeta dans un coin, désespérée. C’est peut être dans ces moments là que dieux comme dofusiens s’ouvrent le plus au monde, l’instant où il n’y a plus rien à dire, que tout semble avoir été fait et que tout a échoué. C’est dans le silence et la fraîcheur d’un champs de lin que l’entité ferma les yeux – enfin, ce qu’on peut assimiler à des yeux divins - prête à mourir, sûre d’avoir définitivement tout raté. C’est peut être là aussi qu’elle s’éveilla réellement au monde qui l’entourait…

En fait, elle se mit à écouter, sans jamais rien dire, ni faire quoi que ce soit… Et elle entendit la douleur du monde, le cri des batailles, l’échiquier céleste qui bougeait… Dont les pions étaient les habitants d’Amakna eux-mêmes. Intérieurement, elle se mit à " sourire ". Ce jeu, elle le connaissait, elle aurait même voulu y prendre part. Elle réalisa que les dofusiens, ces jouets des dieux, se masquaient la vérité constamment. Oh, ils savaient, au plus profond d’eux-mêmes, qu’ils n’étaient pas grand chose, mais il suffirait de si peu pour leur dessiller les yeux… Que se passerait-il dans ce cas ? Les dieux tomberaient tout simplement, ils seraient tous au même rang : celui de divinité mineure, aussi faiblards qu’elle, mendiant un peu de foi…

La solution était peut être là, finalement… Dans le renoncement au panthéon…

Retournons à notre arbre, la ficelle de lin n’y est plus… L’avons nous perdu ? Pas vraiment, un jeune homme vient de passer, il a donné quelques kamas à un paysan et a ramassé cinq ficelles dont la nôtre, celle qui nous importe réellement. Surprise – pour le plus grand bonheur de votre postérieur - ce n’est pas à un arc qu’elle est tendue. L’entité avait vu juste pour une fois : elle est là où elle voulait être… Elle vient d’investir une lyre et va pouvoir chanter. Oui chanter, et révéler ou plutôt simplement dire au monde ses quatre vérités, surtout celles concernant ses " confrères " d’en haut. Si ce n’est elle qui ira à eux, ce seront eux qui descendront à elle…
Chapitre 2 : La lyre de Schamel

Pipir Oom en avait vu passé des alcolos qui venaient empuantir ses toilettes. Il était chargé du gardiennage de ce lieu au combien utile et hautement sacré de la taverne de Sufokia. Peut être le seul lieu que chacun visite au moins une fois dans sa vie si ce n’est beaucoup plus, à moins d’être un clochard par vocation… Ou un Sadida qui pense faire pousser plus vite ses plantes grâce à son propre fluide. Mais là… ce n’était pas un de ces piliers de comptoir aviné à la face rougeaude qui squattait. Le vieux Pipir regardait d’un œil hagard le jeune barde faire des aller-retour incessants.

Le vieux soupira… " Ah les jeunes.. Le trac… " grommela-t-il… " Hé Schamel ! Cesse donc de tourner ! Ta vessie est vide depuis longtemps ! " Cria-t-il au musicien qui venait de nouveau d’investir les lieux.

" Clac " la porte se referma derrière Schamel dans un bruit sonore : " Je sais, je sais, Pipir. " Répondit une petite voix apeurée derrière la porte. " Mais je viens de recorder ma lyre et je sens un truc bizarre : j’ai peur de faire un vieux bide ce soir. "

La chaise du vieux grinça d’un ton fort peu aimable lorsque Pipir leva nonchalamment sa masse imposante : " Petit, ça fait cinquante fois que tu joues ici, je ne vois pas où est le problème, tu te saucissonnes le gros intestin pour rien, oui. "

" Je sais… " ajouta la petite voix : " mais là c’est différent, je ne sais pas pourquoi. "

Pipir toussa, se racla la gorge, signe d’une profonde réflexion intérieure, et décida de ne plus importuner le gamin. Le musicien n’était pas mauvais, ni très bon d’ailleurs… Il n’attirait pas les foules mais ne les repoussait pas non plus. Du coup, ses tarifs étaient abordables pour la maison. Au moins, les gens pouvaient dire qu’à la taverne, deux fois par semaine, il y avait une animation, même si généralement les rires et les chants des badauds couvraient les compositions du barde… Enfin, ca faisait toujours une musique de fond. " Va falloir penser un jour à trouver le moyen de mettre de la musique sur un parchemin pour qu’elle se joue magiquement toute seule" soupira Pipir "au moins ca lui évitera ses états d’âme et surtout d’envahir mes toilettes au jeunot, là. "

Enfin il était ressortit… Plus blanc qu’un linge, il se dirigeant lentement vers la scène comme un bouftou apprivoisé allant à l’abattoir. Pipir fronça les sourcils, il le suivit et bifurqua pour s’installer dans la salle : pour une fois, il voulait voir le récital. Le jeune ne tiendrait pas le coup. Abordant le barmaid qui était aussi le maître des lieux, il le regarda d’un air entendu pour lui signifier que ce serait sûrement le dernier contrat de Schamel ici : On n’importune pas sans raison le gardien d’un lieu sacré entre tous, nom de nom. Faisant à nouveau protester une chaise innocente, le vieux s’installa et se tourna vers la petite scène.

Schamel sortit des coulisses, penaud et maladroit, le dos voûté, les doigts crispés sur son instrument. Il alla se mettre sur un tabouret au centre de la scène, marchant presque sur la pointe des pieds. Comme d’habitude, aucun spectateur ne salua son arrivée ni ne stoppa sa conversation. Tout juste eut-il quelques regards de travers, quelques froncements de sourcils des habitués qui le trouvaient bien étrange ce soir.

Le jeune homme se racla la gorge et commença à chanter deux trois notes sans accompagnement. Il procédait toujours ainsi. Puis il se tut et laissa quelques instants de silence, avançant lentement – peut-être un peu trop – ses fines mains vers l’instrument… Il pinça la première corde et la musique envahit alors la salle…

Pipir poussa une exclamation, interloqué. Tous les habitués du lieu avaient cessé leur badinage désinvolte. Une musique douce et suave envahissait réellement la salle. Un frisson lui parcouru l’échine, c’était comme s’il avait pu toucher la mélodie de ses doigts gras, mais un profond respect l’en empêchait. La musique s’élançait doucement, elle était triste et pourtant rythmée. Elle sonnait juste, mais surtout elle sonnait vraie. Schamel sur la scène, semblait en transe, il chantait de sa voix haut perchée, mais on aurait dit qu’il n’était pas seul : la lyre l’accompagnait… Presque trop parfaitement.

Le vieux eut peur au début, il voulut se fermer à cette musique qui semblait lui murmurer "entend mon message "… Pourtant, il ne put que s’ouvrir à elle et ce fut une joie étrange, puis une profonde tristesse. Il revit les guerres du passé, les hommes qui mourraient, le sang versé et les statuts des Douze qui restaient là, impassibles au monde qui les entouraient. Il entendit avec effroi - et pourtant il en faut beaucoup pour effrayer un ancien pirate - les cris des démons, il fut le spectateur de leurs kabbales… Et toujours ces dieux glacés de pierre dont les représentations baignaient du sang des fidèles sacrifiés.

Il ne sut combien de temps passa ainsi. Dans sa folle jeunesse, Pipir se rappelait avoir fumer une pipe à herbe venue des Koalaks qui lui avait procuré un grand plaisir et avait modifié le cours du temps pendant quelques heures. Selon les dires de son fournisseur, il aurait s’agit de la pipe du Koulosse en personne, un dangereux monstre… Et bien même ce souvenir n’égalait pas ce qu’il venait de vivre. Il reprit lentement ses esprits, constatant que tout le monde était dans le même état, l’œil vitreux mais la mine plus que réjouit. Certains voyous réputés pour leur cruauté pleuraient, reniflants, la lèvre tremblante et basse comme des bambins. Quant à Schamel, il gisait à terre, inanimé.

Quelques mois plus tard… Pipir n’était plus le gardien des toilettes de la taverne de Sufokia. Il l’avait quitter pour suivre le barde. D’ailleurs tout le monde avait quitté la taverne, même son propriétaire. Schamel avait pris de l’assurance et jouait dorénavant tous les soirs devant un parterre de plus en plus nombreux. A chaque fois, l’histoire était différente, mais elle retraçait toujours une heure sombre du royaume d’Amakna. Les accents de vérité et la beauté des compositions du musicien tuait dans l’œuf tout scepticisme et abattait l’incrédulité des plus froids venus ici, intrigués par cette histoire d’un jeune barde et de sa lyre magique.

Au fil des jours, Pipir réalisa doucement que la lyre avait sa propre existence. Mais le comprit-il vraiment par lui-même ou était-ce la lyre qui le lui avait révélé ? Il ne le sut, toujours est-il que ses camarades de route étaient d’accord sur ce point : la lyre était vivante. Le vieux ne pouvait plus se passer de ces concerts nocturnes. Si, par malheur, Schamel ne pouvait jouer, il se sentait abattu jusqu’à la prochaine représentation, ses compagnons de même.

Un soir d’ailleurs, le jeune barde ne vint pas. Déçu, Pipir alla se coucher sans espoir de trouver le sommeil. L’anxiété le repris lorsque Schamel ne se présenta pas le soir suivant. Certains pleuraient en silence, d’autres se rongeaient les ongles au sang. Le vieux préféra tracer des cercles dans le sable toute la nuit. Le troisième soir, la petite foule se présenta pour le récital. La peur se lisait sur les visages, la fébrilité gagnait les rangs. Ne tenant plus, Pipir prit sur lui. Il se leva et rejoignit la tente de Schamel en trois enjambées retentissantes. Il pouvait sentir dans son dos les regards de craintes ou de réprobation de ses compères. Sans hésiter, par peur de ne pouvoir tenter à nouveau ce geste s’il ne le faisait pas maintenant, il écarta la toile brutalement…

Une jeune fille en sortit. Elle le regardait d’un air doux et radieux. Ses cheveux vert-pâle flottaient dans une brise pourtant absente. Pipir avait l’impression de se diluer dans le regard vert d’eau de la damoiselle. Elle était plus que jolie, elle était radieusement belle. Elle serrait délicatement une lyre entre ses mains.

" Ce soir je jouerais pour vous, en personne " C’était plus qu’une voix qui venait de murmurer ces mots, presque une mélodie à elle seule. Tous l’avaient entendu et s’étaient relevés frissonnant.

Pipir fit quelques pas en arrière, Schamel précédait la Dame, mais cela, l’ancêtre ne l’avait qu’aperçu. Il vit la belle s’asseoir à la place que Schamel occupait habituellement lors de ses récitals. Elle s’installa avec grâce dans un silence presque palpable, il la vit préparer son instrument… Et la musique fût… Même le barde ne pouvait égaler le talent de la Dame, ce fut pire ou mieux que tout. Le vieux voyait la musique danser et prendre vie sous ses yeux. Il fut réellement, cette fois ci, le témoin des batailles, le spectateur de l’histoire. Il fut là, devant l’arrogance de ce monde et de ses dieux.

L’ancien n’aurait su dire combien de temps dura le récital, mais lorsque la Dame se retira, l’aube pointait. Il s’en fut rejoindre sa couche, l’âme triste pour le monde et pourtant serein tout à la fois. Un autre côté de lui-même se sentait heureux et libre… Une divinité venait de chanter pour lui toute la nuit… Sa déesse, la Dame.
Chapitre 3 : L'ambassade Bontarienne



Bourdonnante et virevoltante, madame moskito se posa assoiffée sur un bout de chair. Elle était contente, autant qu’un moskito et son neurone puissent l’être. Dans cette plaine : que des kanigrous dont le cuir dur et les poils emmêlés lui empêchaient l’accès à la précieuse sève rouge qui consistait son repas. L’absence de viande tendre et la chaleur environnante avait contribué à sa soif, lui otant toute prudence. A force de chercher frénétiquement, elle avait fini par trouver un truc vaguement rose mais fort apétissant. Réajustant sa prise, elle frotta son dard d’excitation et le planta vigoureusement, perçant la peau dofusienne et … Malheureusement ou heureusement au choix, elle n’eut pas le temps de souffrir lors de son écrasement. La seconde d’après, elle était au paradis des moskitos, si tant est qu’il existe car aucuns théologiens en Amakna n’a pu le prouver et n’y a d’ailleurs réellement réfléchi.

Mais laissons là feu madame Moskito qui m’a permis d’introduire cette histoire. Peut-être me direz-vous que ce passage était bien inutile et vous aurez raison : mais j’aime aussi conter les choses insignifiantes, pour votre plus grand déplaisir. Cependant, concentrons-nous plutôt sur le "bout" de chair rose qui n’est autre qu’une main bien dofusienne tenant les rennes d’une dragodinde. Remontons un peu plus haut maintenant et considérons l’ensemble. Maître Corigide - le propriétaire de la main - poussa un juron. Cela faisait des heures qu’ils erraient dans les plaines de Cania et la tête de la caravane ne semblait pas encore décidée à poser le campement du soir. Corigide, diplomate de son état, avait rejoins la petite troupe de ces illuminés, accompagné de sa suite. A Bonta, on lui avait signifié de se présenter en tant qu’émissaire curieux et bienveillant de la cité. Officieusement, il devait faire son rapport sur cette secte grossissante et nomade.

Corigide était peu habitué de ce type de mission. La diplomatie Bontarienne consistait généralement à aller présenter ses hommages aux Brakmariens, si possible avec un gourdin, de préférence avec une grosse épée. Mais là, on lui avait demandé de se joindre amicalement à la troupe en prétextant les protéger, d’observer sans rien dire, puis de revenir faire son rapport. A vrai dire, à l’énoncé de sa mission, il avait eu mal à la tête… Etre observateur, courtois et ne fracasser aucun crâne… L’émissaire Iop se sentait presque puni, mit au coin comme un enfant. Ce n’était pas sa faute si tous ses hommes étaient morts dans la précédente mission : il ne leur avait pas demander de fuir devant ce groupe de Firefoux lorsqu’ils étaient en reconnaissance sur le territoire de Pandala… Quelle bande de faibles, la mort avait été un juste prix, à la réflexion.

Heureusement pour lui, Maître Corigide était assisté dans sa mission par Dame Busay, une jeune Féca de haut lignage qui s’était chargée de la partie verbiage pour se présenter à la troupe. A la grande surprise du Iop qui s’attendait à devoir sortir l’épée, la joyeuse bande de nomade avait accepté. Ce soir, ils allaient voir celle qu’on appelait la Dame, la si mystérieuse et auto proclamée nouvelle divinité.

"Psi, mon cher, les voilà qui établissent le camp." Fronçant les sourcils, Corigide se tourna prestement vers la voix douce qui venait de l’interpeller: "Dame Fay-Ka Busay, je respecte sincèrent votre haut lignage et j’apprécierais qu’en retour vous en fassiez autant." Puis il se retourna, et pressa sa monture. A peine entendit-il le froid "Bien, Monseigneur Corigide" de dame Busay. Ah, les femmes… Une nuit à leur montrer votre brokle et elles se croient permis de vous appeler par votre petit nom, comme mOman.

Psi Corigide aida la troupe à installer le camp, donnant des ordres militaires ça et là à des soldats qui n’en étaient pas et relevaient encore moins de son commandement. Il eut droit à quelques regards froids, et surtout beaucoup de sourires. La petite troupe comprenait environs deux cents personnes. La nuit précédente, quelques manants étaient venus les rejoindre. Corigide était impressionné par tant de ferveur aveugle pour tout autre chose qu’un combat. Il se disait que cet être devait être très exceptionnel pour susciter tant de passion. Les gens avaient l’air très soudés, l’entraide et la bonne humeur était de mise. Parfois, un badaud chantait une ritournelle fort jolie mais aux paroles controversées et choquantes sur l’iniquité des Douzes.

Une petite heure plus tard, le camp était installé. Maître Corigide était dans sa tente, pressant ses gens pour que sa parure soit prète. Ce soir, la Dame donnait un récital, il allait enfin la voir et comprendrait peut être cet engouement étrange autour d’elle. Mais il devait être le plus élégant qui soit pour se présenter. En effet, car Corigide avait dans l’idée de dépasser ses ordres pour une fois. Et oui, il souhaitait prendre une initiative qui lui vaudrait peut être l’estime de ses supérieurs : il ne doutait pas que son brokle charmerait aussi facilement l’auto proclamée "Déesse de la vérité" qu’il n’avait eu d’effet sur Dame Busay. Peut-être pourrait-il ainsi percer le secret de cette foi encore faible mais grossissante qui faisait circuler des idées sédicieuses sur les Dieux et leurs fidèles. Des idées qui, à Bonta même, trouvaient un certain écho et provoquaient déjà des débats et des heurts entre les personnes d’un même foyer. Quant à Fay-Ka, elle comprendrait bien sûr que la diplomatie au service de Bonta nécessitait tous les sacrifices.

Il sortit accompagné de sa suite et rejoignit Dame Busay qu’il salua rapidement. Celle-ci avait choisi un vêtement très simple, "pour les mettre en confiance" avait-elle dit. Mais Corigide n’était pas de cet avis. Il préférait honorer ces gens de sa présence en se montrant dans ses plus beaux atours. Froufrous et franfreluches dépassaient donc de partout. Ignorant les nombreux sourires des personnes sans goûts qui l’entouraient à présent, Maître Corigide fendit la foule, précédé par Dame Busay, pour aller se planter devant le hérault de la Dame : le jeune abbé Schamel. Exécutant une révérence des plus complexes, il présenta ses respects au jeune homme ne comprenant pas trop ce que celui-ci souhaitait faire avec sa main tendue vers lui ainsi. Après quelques palabres de présentation dont il laissa l’entreprise à Dame Busay, il se plaça au fond, les bras croisés près d’une charrette. Il ne souhaitait pas comme les badauds s’asseoir à même le sol, la Dame devait le voir immédiatement dans son habit de lumière.

Le silence se fit lorsque la Dame entra. Quoique habitué à voir de belles femmes, Psi fut surpris de trouver dans une paysanne tant de beauté. Les rumeurs ne s’étaient pas trompées, la donzelle était furieusement jolie et Corigide en frissonna même. La belle se mit à jouer. Sa musique avait un charme étonnant, le talent de la Dame la rendait presque animée. La musique était bien écrit et les paroles se tenaient.

Pourtant, Psi avait un goût désagréable dans la bouche. Ce qu’il entendait était le récit d’un ancien cataclysme : lorsque le démon Raul Bak envoyé par Djaul avait fait souffrir le monde, rendant fou les plus sains d’esprit et que les Dieux étaient demeurés lointains, impassibles, sans réponses aux prières incessantes de leurs fidèles. Plus la chanson avançait, plus le Iop se sentait mal à l’aise. Il ne pouvait nier les vérités énoncées par la Dame. Les faits étaient là et même lui en avait vaguement entendu parler un jour malgré une assiduité à l’école toute relative. Mais il ne pouvait cautionner cette remise en cause des dieux et de sa société. La musique semblait vouloir le toucher plus encore à ce propos, comme si elle détenait sa propre vie.

Maître Corigide tenta de se détacher de la mélodie enivrante. Mettre son cerveau hors d’état de réfléchir n’était habituellement pas très difficile pour lui et pourtant ici, le questionnement ne cessait de lui emplir la tête. Sa cause était-elle juste ? Pourquoi se battre au nom de dieux qui ne reconnaissaient pas grands choses de leurs fidèles ? Oui, la Dame avait raison, mais à la fin, il ne pouvait l’accepter. Psi regarda autour de lui et constata que la grande majorité des personnes qui l’entouraient étaient en transe, Dame Busay comprise. Peut être pour la première fois de sa vie, Corigide eût peur : que pouvait-il faire contre de la musique et des paroles ? L’épée ne lui serait d’aucun secours. La musique le pressait de s’ouvrir à lui et le Iop en avait des maux de tête presque atroces maintenant. Il finit par s’enfuir, se bouchant les oreilles et se réfugia dans sa tente pour le restant de la soirée.

La fête continua sans lui jusqu’à l’aube presque. Corigide était resté longtemps éveillé, craignant une attaque sur sa tente. Finalement, ce fut dame Busay qui entra le voir le lendemain. La noble semblait fatiguée mais arborait un sourire radieux.

"Psi, je suis sincèrement désolée mais je ne peux retourner à Bonta. La Dame m’a convaincue, je resterai auprès d’Elle". C’est sur ces mots que Dame Busay le quitta. Corigide s’empressa de refaire son paquetage seul et parti sans mot dire pour Bonta. De l’ambassade initiale qui l’avait accompagné, la moitié à peine de ses membres repartait avec lui.

Sur la route, Psi Corigide comprit pourquoi on l’avait désigné pour cette mission, seul un être tel que lui à la rigueur toute militaire avait pu résister à l’attrait de ce serpent venimeux qu’était la Dame. Certains disaient que Psi Corigide était plus que fermé, voir franchement con, pourtant son manque d’ouverture au monde l’avait bien servi. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à ces paroles et se disait sans cesse qu’elles n’étaient pourtant que vérité… Maître Corigide fit donc ce qu’il savait le mieux faire : il arrêta de penser et s’en fut à Bonta prévenir le haut conseil du danger qui les menaçait tous.
Chapitre 4 : La malédiction

Le temps n’était pas au rendez-vous sur la forêt de Cania. Seule la triste mélodie de la pluie faisant bruire les feuilles se faisait entendre. Les quelques suivants de la Dame qui restaient encore s’étaient réfugiés dans leurs tentes. Pelotonnés les uns aux autres, ils attendaient en silence la clémence du ciel. Ils patientaient surtout pour voir Discordia, ainsi nommait-on leur déesse dans les grandes villes. On racontait qu’à Brakmar même on l’appelait "la Grande Fouteuse de Merde ", mais les Brakmariens sont connus pour leur aspect rustre et peu amène.

Eclairé d’une bougie, le pupitre de voyage humide, Schamel soupirait devant un parchemin blanc lui-même mouillé. En ce jour solennel, une autre caravane allait partir. Bientôt, il se retrouverait seul avec Discordia. Les derniers suivants de la Dame avaient demandé à la voir avant de s’en aller, pour lui témoigner encore fois leur amour malgré tout.

Les minutes passèrent, interminables, puis Schamel prit sa plume et se décida à écrire. Il devait tout consigner, et surtout ce qui s’était passé ces derniers mois. L’abbé était encore jeune. Pourtant, il avait l’impression d’avoir vécu pendant quarante ans alors que deux années à peine s’étaient écoulées depuis ce jour béni entre tous où il avait fait recorder sa lyre et entendu la voix de la Déesse. Il esquissa un sourire en se remémorant ses récitals, puis ceux de la Dame elle-même. Des moments de pur bonheur, des instants où il s’était réellement senti libéré de sa condition et heureux de suivre la divinité, prêchant mais surtout, chantant sa parole. Puis son visage s’assombrit lorsque ses pensées vagabondes se rapprochèrent de ce soir tant hait qu’il devait pourtant raconter.

… C’était à la fin de l’été. Les jours étaient encore beaux mais déjà, les soirs fraîchissaient. Ce n’était pas désagréable et ce soir, la Dame se produirait dehors à nouveau. Bientôt, il faudrait envisager de monter le chapiteau qu’ils avaient récupérer pour ses récitals, mais ils pouvaient encore s’en passer.

Comme à son habitude, elle se présenta et commença à jouer. Schamel en était toujours très ému, le cœur ouvert, les yeux au bord des larmes. Il ne s’en lassait pas. Et pourtant, ce soir, Elle était préoccupée. Il lui semblait même qu’elle avait hésité avant de se ressaisir.

L’abbé était heureux de voir tant de monde assemblé. La communauté dépassait le millier de personnes venant de tous horizons. Des habitants des deux villes ennemies de Brakmar et Bonta les avaient rejoins. Schamel savait même de source sûre que des petits cultes existaient déjà dans les grandes villes.

Embrassant la foule du regard avant de se laisser aller dans la communion musicale avec la Dame, Schamel se tourna vers elle, près à s’ouvrir au songe qu’elle allait lui offrir. Il poussa un hoquet d’étonnement. Ce fut un cri presque unanime dans la foule qui les paralysa tous. La Dame était debout et avait cessé de jouer, douze halos l’entouraient et l’embrassaient comme autant de serres menaçantes qui se refermaient sur Elle. Schamel vit avec horreur son doux visage surpris et effrayé avant qu’il ne disparaisse… Ce fut la consternation puis la panique : la Dame venait d’être enlevée sous leurs yeux et aucun d’entre eux n’avait rien pu faire, figés par la terreur…

Schamel posa sa plume, la main tremblante. Il essuya la sueur qui perlait à son front et décida que cette tâche pourrait être remise à plus tard. L’abbé n’avait pas le courage de reprendre là son récit, car là commençait la fin du culte voué à la Dame, Celle qui chantait la Vérité. Il soupira indécis pourtant et décida finalement de reprendre l’écriture… Mieux valait en finir vite après tout…

… La Dame était revenue. Trois jours après sa disparition, alors que tout le monde se lamentait ne sachant que faire, elle était réapparue à l’endroit même où on l’avait enlevé. Elle n’apporta aucune réponse à ses disciples sur ce qui s’était passé, elle, si prévenante et volubile habituellement. Durant trois jours, elle s’enferma dans sa tente, confiant à Schamel qu’elle combattait une mystérieuse malédiction. Lui-même n’en su guère plus, sinon que les Douze avaient décidé de punir la Divinité mineure pour son insolence et son - je cite - "foutage de merde généralisé " selon les propres dires d’un de ses juges.

Au bout de trois jours, elle demanda à ses fidèles de préparer le récital du soir comme à l’accoutumé. Cette nouvelle fut un moment de joie pour l’abbé et tous les autres, peut-être en dirait-elle plus ce soir là. Le soir venu, lorsqu’elle sortit, elle alla s’installer sereinement sur la scène, prenant sa lyre en main. Au moment de parler, Douze murmures se firent entendre :

" Pour chaque vérité dites, une ineptie sortira de ta bouche… "

La Déesse s’adressa alors à ses fidèles : " Je vais vous chanter ce qui s’est passé l’autre soir, ensuite nous irons forniquer comme des wabbits en rut ! " Un vent froid passa dans l’assemblée, le malaise s’installait. Les disciples cillèrent mais ne relevèrent pas ce qu’ils venaient d’entendre, Discordia elle-même semblait troublée, elle préféra commencer le récital, s’asseyant tremblante au centre de la salle.

A peine eut-elle pincer la première corde que les douze voix résonnèrent aussitôt : " Ton chant de Vérité sera chant de dissonance, que l’Accord devienne le Désaccord, quelque en soit l’instrument. "

La stridence du son qui sortit de la lyre en fit hurler certains, un grincement de dents n’aurait fait pire. Quelques-uns à une autre époque auraient pu apprécier cette musique, on les voit souvent aujourd’hui arborant des habits noirs, des cheveux longs qu’ils agitent frénétiquement, la main levée, le pouce et l’auriculaire tendus – Peut-être est-ce la nouvelle génération de Discordiens qui sait… - Mais à cette époque, la nouvelle mélodie de la Dame ne fit que réduire à néant quelques tympans fragiles et marqua les esprits dans l’horreur.

Discordia cessa son jeu dès qu’elle le put. Levant le visage au ciel, elle allait s’exprimer, le visage déformé par la rage.

Ce fut la dernière fois que les voix se firent entendre, plus prégnantes que jamais : "Orgueilleuse tu es, orgueilleuse tu resteras, ta poitrine reflétera ton ego surdimensionné. "

L’assistance resta bouche bée. Certains jeunes hommes se mirent à saigner du nez. Quant aux femmes, elle furent stupéfaites. Quelques rires fusèrent dans l’assistance devant l’air grotesque de la déesse. La poitrine de la Dame venait de prendre des proportions tout simplement étonnantes et peu naturelles. De déesse de la Vérité, elle venait certainement de passer déesse de l’Opulence. La lyre tomba au sol, Discordia ne pourrait plus en jouer : sa poitrine dépassant trop largement l’arrondi que ses bras lui permettaient pour saisir correctement l’instrument…

C’en était assez, l’abbé Schamel en avait suffisamment écrit pour ce soir. Demain, il conterait comment le culte avait continué autour de la Dame tant bien que mal. La communauté était morte peu à peu car il est difficile de suivre les enseignements d’une déesse disant une fois sur deux une absurdité. Tous s’étaient divisés au final sur le dogme à suivre, sur ce qu’il fallait faire ou pas pour aider la Dame qui pourtant tentait de leur donner des pistes en vain. Peu à peu, on commença à l’extérieur à rire de cette pseudo divinité dont les disciples semblaient agir de façon aussi absurde que leur déesse. Puis, les croyants partirent un à un, désertant celle qui leur avait tant apporté. Parfois - souvent même - ils partaient à regret, mais tous finirent par la quitter mis à part Schamel.

Le religieux posa sa plume et se leva. Se dirigeant vers le fond de la tente, il souleva le voile qui lui masquait la chambre. Sur un coussin, une lyre délicatement posée semblait prête à s’offrir à ses doigts. Schamel le savait, il n‘en jouerait plus : les sons qu’elle sortait étaient plus que désagréables. Discordia était finalement retourner dans sa lyre faute de foi pour la rendre puissante. Le barde mourrait avec elle, mais il voulait tout écrire. Lorsque son récit serait achevé, il lui resterait quelques kamas pour faire enchanter les parchemins consignant le dogme de Discordia auprès d’un maître Xelor afin que le temps ne les affectent pas trop. Il laisserait au monde ces quelques lignes qui raconteraient son aventure et préserverait le culte voué à Discordia. Puis il partirait avec elle, libre et seul, un mauvais barde et sa lyre désaccordée… Peut-être un jour, des aventuriers curieux et ouverts liraient ses parchemins et chercheraient à nouveau la Dame…
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