"Une soudaine saute de vent lui fournit l'occasion qu'elle attendait. Le balancement des branches masquait ses mouvements, et dans un enchaînement rapide et fluide de gestes, elle lança le sort et tira la flèche. L'animal se dressa sur ses pattes arrières puis s'abattit dans un buisson.
Laurila bondit vers les broussailles. Il fallait être rapide car la proie ne resterait pas groggy longtemps. Mais lorsqu'elle écarta les branches, elle resta un instant pétrifiée de stupeur. Pas de créature mystérieuse ! Mais un tout jeune sadida qui essayait gauchement de se remettre sur ses jambes. Retrouvant ses réflexes de chasseresse, elle lui attrapa le poignet au moment où il allait détaler. Mais elle manqua de le lâcher lorsqu'une ronce lui cingla le bras. Elle empoigna alors le petit à bras le corps, pour l'empêcher de se débattre et de lancer un nouveau sort. L'odeur rance de sa toison emmêlée était abominable. Bon sang, depuis combien de temps cet enfant était-il livré à lui-même ?
Le gamin se contorsionnait désespérément pour lui échapper. Laurila se trouva un moment désemparée. S'il s'était agit d'un animal, elle lui aurait déjà lié les pattes, ou l'aurait fourré dans un sac de cuir. Mais elle ne pouvait pas faire subir ce traitement à un enfant, et elle ne savait trop quoi faire d'autre. En désespoir de cause, elle tenta de le calmer en lui parlant doucement et en lui caressant le dos. Au bout d'un moment, le petit cessa de se débattre mais il tremblait maintenant de tous ses membres. Il est mort de peur, pensa-t-elle, qu'est-ce que je peux faire ? Pour Laurila, l'expérience en matières d'enfants se limitaient aux gamins qui s'attroupaient, les yeux écarquillés, devant les peaux qu'elle ramenait de ses chasses et qu'elle devait protéger des jeunes mains fouineuses et souvent malpropres. Elle resta un moment indécise, puis, des brumes lointaines de sa petite enfance remonta un souvenir au trois quart oublié: la chanson du petit boufton gris que lui chantait sa mère lorsqu'elle avait du mal à s'endormir. Elle se mit à bercer le petit sadida en chantonnant la comptine. Le petit corps se détendit enfin, et soudain, l'enfant jeta les bras autour de son cou, enfouit son visage dans sa gorge et se mit à pleurer à gros sanglot.
Il fallut un long moment avant qu'il ne se calme enfin et consente à lâcher Laurila. Elle put alors l'examiner à loisir. C'était un très jeune garçon, à peine plus qu'un bébé. Et pourtant il devait y avoir un moment qu'il était seul car il était d'une saleté repoussante. Sa peau, constellée de griffures et de croûtes disparaissait sous la crasse. Sa chevelure, et la toison, encore courte, qui lui couvrait déjà le visage étaient toutes emmêlées et collées par la saleté. Un décrassage en règle s'imposait.
A bien y réfléchir, Laurila ne se sentait plus très propre non plus, l'odeur nauséabonde du petit corps malpropre semblant maintenant imprégner tous ses vêtements.
«- Crâ ! dit-elle à haute voix, je pue autant qu'un bouftou ! »
L'enfant tressaillit au son de sa voix, mais ne chercha pas à s'enfuir.
«- Bon, on va trouver un ruisseau et se décrasser tous les deux. D'accord ? »
Il la regardait, mais rien ne semblait prouver qu'il avait compris. Poussant un soupir, et sans lâcher le poignet du petit, elle se releva, ramassa ses affaires éparses et remis son sac à l'épaule. Ce mouvement éveilla la douleur dans son bras gauche. S'examinant, elle constata que la ronce lui avait laissé une belle estafilade. Ce n'était rien à côté de ce que lui aurait fait un adulte, mais il fallait la soigner.
«- Comment est-ce que tu as fait ça ? Tu es bien trop petit, non ? »
Les grands yeux noirs la regardaient toujours mais aucune réponse. Cet enfant était-il muet ? Haussant les épaules avec résignation, Laurila l'entraîna à la recherche un cours d'eau."
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