[Zisha]

1. L'Infant et l'illusion

Par ce matin d'automne glacé, alors que les paysans moulaient à grand peine leur grain, avec des mains gercées, une jeune fille courait. D'un âge approchant les douze ans, elle avait de longs cheveux roux, magnifiques et une peau pâle quoique légèrement assombrie par une constante exposition au soleil. Elle portait des loques d'une couleur douteuse, usées jusqu'à la corde, et recouvrait ses frêles épaules d'une couverture de laine. Un craquement quasiment imperceptible se fit entendre, et Zaphie releva la tête, dévoilant ces yeux si verts qui lui avaient valu une constant rejet vis à vis du clan. Depuis toujours, elle avait été considérée comme une simple d'esprit ou une sorcière par les membres de sa tribu.
Soudain, une silhouette apparut à l'orée de la forêt. Il s'agissait d'une vieille femme à l'air froid et dur, et donc le bas du visage était recouvert d'un voile. Elle fit mine d'ignorer la petite et passa devant elle sans bruit.
Les lèvres engourdies de Zaphie se desserrèrent pour laisser sortir un nuage blanc.

-Est-ce que vous êtes un fantôme ?

La douce voix de la gamine avait un léger accent inconnu de ces contrées, et pour la première fois, l'inconnue la regarda.

-Quel est ton nom ?

-Maman m'appelle Zaphie. Mais des fois, les enfants de mon village me nomment "le monstre". Et vous, vous êtes un fantôme. Car vous êtes invisible. Mais moi, je vous vois.

L'inconnue fronça les sourcils, et s'accroupit pour se mettre à la hauteur du visage de Zaphie.

-Comment se fait-il qu'une disciple de Sram représentant un potentiel aussi important n'aie pas été recensée ? demanda t-elle à mi-voix, parlant plus pour elle que pour l'enfant.
Allez, viens avec moi. Je t'emmène au Temple.

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-Qu'il en soit fait selon vos désirs, Maître Sram, dit la femme d'une voix froide mais humble. Moi, Hëlla, prendrai sous ma responsabilité cette nouvelle disciple. Elle sera élevée selon les rites Srams et vaincra... ou mourra.

La main d'Hëlla plongea dans sa poche, en sortit quelques pièces qu'elle déposa sur le sol du temple froid et vide, avant de repartir vers la sortie d'un pas empreint de dignité.

-Alors ? demanda tranquillement Zaphie dès qu'elle aperçut son nouveau Maître.

-Je me pose une question... dit Hëlla d'un ton traînant.
Son doigt ganté caressa la joue de Zaphie qui resta impassible, le regard fixe.

-Tu as peur du noir ?

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2. Jeux noirs

Zaphie se tenait immobile, accroupie dans une pièce sombre et silencieuse. Ses doigts effilés caressèrent le manche des dagues accrochées à sa ceinture. Ces dagues, offertes par son Maître au début de son initiation. La disciple avait réclamé un arc mais pour Hëlla, la question ne se posait même pas.
Les premiers jours dans le noir avaient été bien difficiles, tout de même. On avait lâché des animaux agressifs dans le bâtiment où elle avait été enfermée. Dans le noir le plus complet. Les ayant d'abord tués dans un réflexe de défense, Zaphie comprenait à présent qu'il s'agissait de sa seule source de nourriture.
Elle s'était de plus en plus accoutumée à la viande et ressentait aujourd'hui une faim physique, mais surtout mentale à l'idée du combat qui allait s'en suivre. Quel animal allait-elle accueillir aujourd'hui ? Combien de temps allait tenir sa proie, en sentant Zaphie jouer avec elle ?
Des pas légers mais plus qu'audibles se firent entendre dans le salon. L'animal marchait sur le tapis de laine dans le but de faire le moins de bruit possible. Son pas était étrangement lourd par rapport à d'habitude...
Sans provoquer un seul soufflement d'air autour d'elle, la jeune fille se glissa dans l'encadrement de la porte. Au son irrégulier de la marche de la bête, Zaphie comprenait son hésitation. Elle se mordit la lèvre, réprimant un sourire cruel, mais un autre son inhabituel installa le doute en elle l'espace d'un instant : le bruit d'une corde qui se tendait...
Un humain.
Avec un arc.
Zaphie plongea dans une roulade sur le côté et une flèche siffla à ses oreilles. L'homme, persuadé à présent qu'il n'y avait rien à cet endroit qui dégageait une tension si particulière, s'empressa d'aller chercher sa flèche.
Un autre sifflement. Un cri. Une chute. L'homme aux mollets blessés s'écroula sur le sol.
Zaphie se releva, s'approcha de lui.

-J'ai encore faim, dit-elle.

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3. Mort brillante

Le soir même, Hëlla était rentrée pour la première fois dans le bâtiment pour la féliciter, et lui annoncer que sa formation touchait à sa fin.

-Zaphie, si tu veux sortir, tu dois prêter allégeance à Sram. Pour toujours. Quel qu'en soit le prix.

-Jamais je ne trahirai Celui qui m'a aidée. Puisse-je lui être utile et rester efficace.

De la pointe de la dague préalablement plongé dans un liquide, Hëlla lui traça le signe de Sram sur l'avant bras. Une vive douleur se fit ressentir.

-Cette cicatrice restera à jamais gravée sur ton bras... et dans ton coeur, j'espère. Maintenant que tu as mis les vêtements propres à ta classe, nous pouvons sortir.

On enroula un pan de tissu autour des yeux de Zaphie, heureuse, et elle put sortir en compagnie d'Hëlla. Après avoir fait quelques dizaines de mètres, elle reçut un coup dans le dos et tomba à genoux sur le sol.

-Qu'est-ce que...

-Quel qu'en soit le prix.

Soudain, la main d'Hëlla arracha le pan de tissu et les yeux de Zaphie s'éteignirent à jamais dans un océan de lumière.