[Chonp]

Dans la bibliothèque poussiéreuse d'une masure décrépie à l'Est des plaines de Cania se trouve un vieux manuscrit à la couverture finement ouvragée.

Si d'aventure quelqu'un avait ouvert ce livre sobrement et humblement intitulé Arkatak, sa vie, son oeuvre, voici ce qu'il aurait pu y lire...

Entok Otak se reposait, le travail d'accouchement de veille l'ayant épuisée. Son mari Ehcir prit donc l'initiative de présenter à leurs amis leur fils récemment né.

Il mena ses convives dans le long couloir. Tous étaient très excités à l'idée de rencontrer le nouveau né, car de leur génération d'amis, les Otak étaient les premiers à perpétuer le cycle de la vie. Il faut dire aussi que les Otak ne cessaient depuis la veille de vanter leur fils prodigue. Et il n'avait qu'un jour à peine…

Ehcir, s'arrêta devant la porte, et pria ses invités de bien vouloir rester silencieux pour venir découvrir son fils. Puis il ouvrit délicatement la porte. Au milieu de la sombre pièce reposait un berceau, dans lequel dormait la progéniture adorée des Otak.

Les invités formèrent un cercle autour du berceau, et Echir rapprocha prudemment sa lampe à huile du couffin.

Tous les invités sursautèrent, tous reculèrent, et chacun émit des sons de surprise mélée à l'horreur.

"Mais qu'il est laid…lessivé… Regardez comme il dort bien…" bégaya Pilipop, un éni majestueux, en rougissant à vue d'œil.

Comme le voulait la coutume, les invités y allèrent de leur compliment. Mais aucun d'eux n'avaient l'habitude de mentir, et durent donc trouver du beau dans ce qu'ils n'auraient sans doute pas hésité à jeter dans leurs toilettes… A cette occasion furent entendus les commentaires les plus improbables qui furent jamais prononcés concernant un être vivant.

"Son troisième doigt du pied gauche a l'air solide…" ou autres "ça doit être pratique, de si larges narines, ça doit vraiment être pratique… pour un tas de choses "

Echir était aux anges… Ses amis semblaient adorer son fils, et lui faisaient remarquer, à juste titre, que son fils était exceptionnel.

Il se pencha et déposa un délicat baiser sur le front de son fils, puis murmura: "A demain, Arkatak Otak"

[Chonp]

En tournant la page de l'ouvrage, un nouveau chapitre apparaissait...

Les élèves étaient assis en tailleur, formant un cercle au milieu de la cour de l'école. Le maître Hiké énonçait les devoirs. Mais Arkatak n'écoutait pas. Il préférait lorgner sur le cahier de texte de son voisin. Il était tellement beau… Avec ces images des Nomigid, le dernier jeu à la mode dans toutes les cours de récréation. Et puis il y avait la belle couverture en cuir. Bien sûr il ne le volerait pas, car son père lui avait expliqué que voler n'était pas bien. Mais le petit énu jalousait son voisin. Le petit énu en voulait un pareil. Non. Il en voulait un mieux. Quitte à ce que ça soit un faux. Peu importait, il fallait qu'il "ait l'air", pas qu'il soit.

Douze ans à peine, et Arkatak jalousait déjà ses camarades. Briller à leurs yeux était primordial. Son ami le Crâ Kheleur brillait parce qu'il était beau, son ami iop Possum brillait par ses talents en EPS. Lui n'avait jamais récolté l'admiration de ses petits camarades. Tout juste lui accordait on assez d'attention pour se moquer de lui, à cause de sa barbe naissante. Mais son ami sadida Ktik en avait une bien plus fournie qui retenait plus l'attention.

Alors c'était décidé. Il brillerait par la possession des plus beaux objets. Pas besoin de leur trouver un intérêt, il fallait juste qu'ils attisent la convoitise des autres. Et il faut dire qu'il avait un certain talent pour dénicher des perles rares. Il l'avait prouvé maintes fois (C'était celui qui avait le plus de cartes Nomigid brillantes. Il en avait au moins deux par paquet qu'il ouvrait)

Son père l'emmena un jour avec lui aux champs, pour lui apprendre le maniement de la faux. Arkatak suivait les leçons de son père, mais considérait que faucher était vain. Il ne savait quoi faire de tous ces blés récoltés. Alors il préférait bailler aux corneilles tout en fauchant. Il n'entendit pas la bête s'approcher.

Il hurla. La bête était aussi grande que lui. Ou aussi petite. Toujours est il que pour lui elle était impressionnante. Il hurla. Son cœur s'emballa. La sueur perla. Les pétales d'un jaune vif donnaient au monstre un air presque réconfortant. Tant qu'on avait pas regardé ses yeux… D'une cruauté indicible, ils semblaient mettre à nu votre âme et la terrasser directement.

Soudain, son père surgit devant lui. Il lui tournait le dos, aussi ne put il voir de l'attaque que de multiples pièces qui s'éparpillèrent sur le sol. La bête répliqua, et après avoir émis d'étranges sons, libéra une ronce qui traînait à proximité pour qu'elle vienne frapper son père. Arkatak n'hésita pas. Il décida d'utiliser la même attaque que son paternel. Il sortit donc son porte Kama, scruta dedans, et s'empara des quelques pièces qui y traînaient.
"Maintenant j'aurai des arguments pour que papa augmente mon argent de poche" pensa-t-il
Il passa devant son père, et lança les pièces de toutes ses forces sur le monstre. Les pièces, une par une, allèrent mollement s'écraser tout autour du monstre. Ce qui ne manqua pas de surprendre son père. Et la bête, qui, abasourdie par l'attaque, ouvrit grand la bouche, et s'étouffa en avalant une pièce qui était partie plus en cloche.

"Eh bien, tu viens juste de terrasser ton premier tournesol sauvage. Bravo fiston! Rien de cassé?
- Nan nan ça va. Faudra juste que tu me dises comment tu fais pour lancer tes pièces aussi fort…"
Son père éclata d'un rire franc.
"Mais je ne lance pas mes pièces… Il s'agit d'une opération financière frauduleuse. En fait, tu tentes, sans autorisation de l'Autorité de Régulation des Fonds Spéculatoires Divins sur le Marché des Changes InterPlans à Taux Indexé Interbancaire, appelé aussi ARFSDMCITII pour simplifier, un transfert de fonds du coffre d'Enutrof lui même vers un compte fictif situé aux iles Krokodil. Pour que le transfert ait lieu vite, il suffit juste d'indiquer que ton compte fictif a un taux d'intérêt très élevé, et hop, c'est la fuite des capitaux à vitesse grand V. Et si tu déclares que ton ennemi est le propriétaire du compte, il se fait heurter par tous les sous en jeu dans ce transfert… Simple non?
- Euh, beugla Arkatak en essuyant la bave qui coulait…
- Bah t'inquiète, tu apprendras à le maîtriser… Allez rentrons.
- Mais papa, j'suis sûr d'avoir vu quelque chose au fond de la gorge de la bête avant qu'elle ne s'étouffe…"
Arkatak se dirigea prudemment vers la bête. Sait on jamais, elle pouvait feindre la mort. Arrivé à proximité, le jeune énu glissa craintivement la main dans la gorge de la créature. Il en ressortit un parchemin enroulé. Il le déroula, et lut.
"Appel du Dizuijouin (sous titré: appel de la Libération)? Qu'est ce que c'est ce truc?
- Eh bin mon gaillard, c'est une sacré chance que t'as eu, là… C'est un parchemin qui permet, une fois que tu maîtrises suffisamment l'incantation qui y est écrite, de te libérer de l'entrave de qui que ce soit. Très pratique. Et surtout très rare!"

Ce mot résonna dans les oreilles d'Arkatak. Rare… Il avait effectivement trouvé sa vocation. Il serait "dénicheur de choses rares". Mais avant de partir à la chasse aux merveilles, il lui faudrait un nom décent à ce nouveau métier et peut être un nom de scène… Il se mit en route vers sa maison. Chemin faisant, il pensait à toutes sortes de noms qui "en jetteraient" pour son métier et son pseudonyme.
"Jean Pierre Koffre le Trésorier? Nan… C'est nul, et en plus ça existe déjà.
Marvin le Merveillable? Pfff…
Robinson le Rareur? Nan, c'est un nom pour les bouftous ça"

Et soudain; l'illumination.

"Je serai… brédeur… Ah ouais… J'imagine déjà un riche type demander:"Je cherche un brédeur". Et j lui répondrai "Lahr Hacroft, prêt pour être ton brédeur". Ouais c'est cool ça. Et comme je bosserai pour des gens, on pourra même dire que je serai un brédeur sur gage…"

Ce soir là, en s'endormant, Arkatak souriait.

[Chonp]

Sa barbe avait poussé. Assez étonnamment, sa chevelure avait toujours été grise, ce qui lui donnait un air passablement vieux. Il avait fait ses premières rides très tôt, sans doute à force de froncer les sourcils quand il était énervé, ce qui lui arrivait fréquemment.

Ce jour là, Arkatak cheminait seul, en chantant. "I'm a poor lonesome cowboy…" (Note du narrateur: personne n'était là pour dire qu'il chantait. Un individu présent aurait qualifié son chant de "diarrhée vocale")
Il aimait bien la solitude. Ou plus exactement, il n'aimait pas trop les gens, ce qui le poussait à la solitude. Ils étaient souvent bien trop exigeants, mais surtout ne témoignaient pas un intérêt assez fort à ses exploits. Et puis les gens étaient bêtes, et ne comprenaient pas ses traits d'esprit. Lui considérait pourtant être un des grands penseurs de sa région. Et puis la solitude, ça a ses avantages. Ca permettait de pouvoir penser en paix. C'était d'ailleurs ce à quoi il s'attelait (ce qui lui prenait beaucoup de temps. Bien qu'il considérât être doué pour la réflexion, il n'en était rien. Il était plutôt lent d'esprit même. (Note de l'auteur: Mais assez prompt à la colère, alors nous n'allons pas en rajouter davantage )

Après vingt sept ans passés dans son patelin minable, Arkatak commençait à tourner en rond. D'abord parce qu'il ne rencontrait personne qui l'intéressait, ensuite parce que l'exercice de sa profession de "brédeur" était fortement entravé par l'inexistence de donjons, souterrains et autres lieux communément considérés comme lieux de cache de trésors. Il avait une fois ramené une cuiller en bois. Et c'est tout.

Notre fier énutrof décida donc de quitter le foyer familial (il était jeune pour un énu, aussi aurait-il pu compter y vivre jusqu'à ses 50 ans). Après avoir empaqueté ses affaires, il prit discrètement le "sentier de la perdition" comme on l'appelait dans la région ( juste parce que personne n'avait eu le courage d'aller voir où il menait). Arkatak jugea qu'il devait donc être périlleux, et qu'il pourrait tirer une certaine gloire de l'avoir emprunté. Il s'engagea d'un pas mou et peu sûr. Si la gloire l'attirait, il n'était cependant pas très courageux. A contre cœur, il fit un pas… puis deux… Et une ardeur qu'il ne se connaissait pas lui insuffla l'énergie pour continuer.
Après quelques jours de marche au milieu de la forêt, sans aucun événement impressionnant à relater, d'ailleurs sans aucun événement du tout, Arkatak arriva enfin dans une verte contrée vraisemblablement très peuplée, car il pouvait clairement distinguer des personnes qui couraient dans les champs. A ses côtés apparut une énie qui hurla au vent "Amakna, me voilà!"

Il était arrivé en Amakna… La gloire, les richesses et la reconnaissance l'attendaient.
Ivre de joie, il se laissa aller à un rire franc et gras.
Et lui aussi de scander: "Amakna, me voilà!"

[Chonp]

Assis au milieu d'une clairière, Arkatak pansait ses blessures. Ces derniers temps, il avait dépensé tous ses sous en pansements et autres cataplasmes. Il allait devoir se résigner à ne pas sauter sur tout ce qui bouge. La patience n'avait jamais été une de ses grandes qualités.

Après moult errements dans un coin peuplé de pas-si-charmants-que-ça ovins, Arkatak se sentait bien seul et épuisé. Son rêve commençait mal. La reconnaissance n'était pas si facile que ça à obtenir.

Il désespérait de voir autour de lui tant de personnes puissantes. Mais surtout il désespérait de voir toutes les richesses qu'on étalait sous ses yeux… et qui n'étaient pas siennes.

En se rendant en ville, il aperçut un écriteau:
" Grand casting pour la prochaine Bard' Academy!
Venez vous inscrire, et la réussite, les sous et le pouvoir sont à votre portée!"

Arkatak resta comme hypnotisé par l'affiche…

Citation :

la réussite, les sous et le pouvoir sont à votre portée

Que rêver de mieux? L'énu aux genoux cagneux courut s'inscrire aussi vite que le lui permettaient sa physionomie grossière.

Le jour arriva. Arkatak n'avait pas le trac, car il savait qu'il était l'élu. Une femme le lui avait dit. Et aux côtés de cette femme se trouvait un enfant qui tordait des cuillers rien qu'en les regardant. C'est dire si elle devait être puissante… "Tu es l'élu, Néo…" Bon, elle s'était trompé dans son prénom, mais les plus grands génies étaient tous tête en l'air.

Le fringant énu monta sur scène, et fit face à son jury. La musique commença. Et les choses s'enchaînèrent… Bon, il avait certes trébuché quatre fois, et avait oublié de chanter. Mais ça ne devait pas être grave, puisqu'il était l'élu… Le grand Miko Aglagla lui annonça aussi froidement qu'un glaçon: "Dégage, minus"
Arkatak sauta de joie, ce qui ne manqua pas de provoquer la consternation parmi les membres du jury. Miko réitéra son commentaire. Et Arkatak réalisa son erreur…

Il descendit, pantois, de la scène… Il s'apprêtait à aller à la taverne noyer son chagrin dans la bière, quand une singulière énue l'aborda.

"J't'ai trouvé plutôt marrant..
- Ouais, c'est ça, moque toi…
- Non vraiment…Et puis c'était courageux… Où vas tu maintenant?
- Me saouler…
- Puis je t'accompagner?"

Dépité, Arkatak accepta. A la taverne il se rendit compte qu'accepter sa présence avait été une bonne chose. Elle parla longuement. Elle semblait rudement expérimentée, en tout cas à ses yeux. C'est alors qu'elle l'invita à rejoindre sa famille, comme elle les appelait. Araktak, las de la solitude, accepta.

Il avait maintenant des camarades. La guilde Sacred était sa famille, et il trouvait souvent quelqu'un à qui parler. L'énue lui expliqua les rudiments de la vie en Amakna, et avec son aide Arkatak commença à progresser dans l'art du combat. Grand fut son émerveillement lorsqu'elle lui expliqua comment mener l'opération bancaire dont son père lui avait parlé dans sa jeunesse. Elle lui enseigna jusqu'à l'art de rendre tous ses ennemis maladroits.
Mais de jours en jours la famille perdait des membres… Arkatak, lui qui s'était tant donné pour cette guilde, se refusait à la quitter…

La tristesse semblait petit à petit à nouveau envahir son cœur…