[Conseil des Ombres] [bg] Une leçon pour Hagazussa

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Les gobelets valsaient les uns contre les autres. Depuis que les nouvelles recrues affluaient de la Vallée des Épreuves, la taverne de la Croisée ne désemplissait pas. Trolls et orcs se côtoyaient sans broncher. Quelques morts-vivants se traînaient même dans les coins, l’œil torve et le rictus mauvais.

Une trolle parlait à un jeune orc nommé Mutok. Elle s’exprimait avec difficulté dans la langue de la Horde. Mais le chasseur l’écoutait tranquillement. De temps en temps, il ponctuait son récit de quelques syllabes marmonnées, pour indiquer qu’il suivait. La chamane s’en contentait et continuait : « L’elfe être pris dans le piège. Alors la tribu de papa de Hagazussa prendre le temps. Hé ! hé ! Nous avoir torturé l’elfe. Avoir fait le mojo sur lui ! Nous avoir beaucoup ri. Elfe pas rire, lui, hé ! hé ! » Mutok se marrait pour lui faire plaisir. Elle avait l’air content.

Elle allait reprendre son récit, quand une main se posa sur son épaule. « Tu ferais peut-être bien de la fermer et d’écouter ce que j’ai à te dire. » Hagazussa se redressa, fière et vexée, mais elle ne répondit pas. La silhouette de son interlocuteur paraissait sans équivoque : le type n’était pas commode. Le jeune troll se tut et elle se mit à écouter, à son tour. Mutok souriait en coin, en écoutant le récit :

« Ca fait des années de ça. Une bande d’elfes s’était aventurée sur les terres de la Horde. Je sais pas trop où ils allaient. Mais ça n’a pas vraiment d’importance. Sont tous morts maintenant. C’était pas une époque de paix et de beaux discours comme aujourd’hui. Des soldats orcs les ont trouvés. Ils les ont tous zigouillés. Fin de l’histoire.

« Enfin pour eux. Parce que le chef de ces soldats-là, il s’appelait Nâsh. C’était un bon guerrier. C’était pas un sauvage comme quand les orcs ont débarqué de Draenor. C’était un type qui avait appris avec les chamans ! Et Nâsh, pendant que ses gars, ils s’amusaient avec les corps, il a entendu quelque chose. Un cri ! En cherchant bien, il a trouvé un bébé elfe dans les cadavres. Mais celui-là n’était pas mort, oh non !

« Les autres voulaient rigoler avec le bébé, évidemment. Mais Nâsh n’était pas d’accord. Certains racontent qu’il avait une petite touche du truc dont Thrall parle tout le temps : la compassion. Que c’est pour ça qu’il n’a pas voulu tuer le bébé. Ni pour le manger ni pour le plaisir. Ouais. Du coup, il a dû ficher le camp, parce que ses gars risquaient de s’emballer et de se retourner contre lui. Il a laissé tout ce qu’il avait derrière lui et il est parti dans le maquis, le braillard sous le bras.

« Pendant des jours, il a essayé de s’en occuper. Mais le bout de chair bleue, il en voulait pas des racines et des baies. Ca voulait du lait. Du lait de femelle elfe… mais à moins d’en tordre une jusqu’à ce que ça coule, Nâsh ne voyait pas trop comment en trouver. Pourtant, ça pressait : le bébé commençait à mourir. Il avait tout balancé pour le sauver et il mourrait !

« C’est là que l’histoire devient intéressante. Je crois bien, moi, que cet orc-là, il devait l’avoir la compassion. Parce qu’il a sorti son doigt de ses fesses, remis le bébé sous son bras et l’est parti tout droit vers la ville des elfes ! Je sais pas trop ce qu’il avait dans l’ crâne mais là, c’est sûr, il en avait dans le pantalon.

« Il a marché et marché, puis à la fin il est arrivé chez les bleus. Il était épuisé. Il savait bien qu’il ne reviendrait jamais en arrière. Il était chaman, faut pas l’oublier. Alors il a fait des trucs de chamans et un oiseau l’est venu. Il s’est posé sur son épaule et Nâsh lui a tout raconté. Quand il a eu fini, il a envoyé l’oiseau trouver ses potes chamans, pour qu’ils sachent. Puis il a continué.

« Les elfes sont pas trop courageux. Quand ils ont vu un orc arriver seul devant leur face, ils ont tout de suite tiré. Nâsh, il s’est écrasé sur le sol. Allongé sur le dos. La poitrine criblée de flèches. Et le bébé qui pleurait dans le creux de son bras. Ca devait être un drôle de spectacle. Enfin, drôle, dans le sens bizarre. Un peu comme la compassion.

« Le chef de ce groupe d’elfes-là, c’était un prêtre. Son nom, c’était Arkelion. Un de ceux qui danse et chante pour leur déesse la lune, à ce qui s’ dit. Il a pris le bébé et lui a donné un nom. C’était une femelle. Paraît que son nom à elle, ça voudrait dire « pleurnicheuse ». Ca m’étonne pas. C’est tous des lavettes. Quoi que, celle-là, peut-être moins que les autres. Mais ça, c’est une autre histoire.

« Arkelion n’était pas une truffe comme ses archers. Il avait compris toute l’histoire. Du coup, il ordonna à ses types d’embarquer le corps de l’orc. Comme c’était un chaman, ils le transportèrent vers les taurens. Arrivé sur les terres de la Horde, ils sont vite tombés nez-à-nez avec une bande de poilus. Mais ceux-là, ils attendent toujours avant de tirer. D’ailleurs, ils n’ont pas tiré du tout.

« Les taurens n’étaient que deux. Y en avait un avec une seule corne, qui avait l’air un peu nerveux. Et l’autre, Arkelion l’a appelé Morgorch. Son vrai nom dans la langue de la Horde, c’est Noirfreux. Donc l’autre mot, ça doit vouloir dire « corbeau noir » ; un truc du genre. Mais c’est pas trop important. Ce qui compte, c’est que Noirfreux et son pote Unikorn, ils avaient reçu la visite d’un oiseau. Ils connaissaient toute l’histoire, eux aussi.

« Ensemble, les elfes et les taurens sont allés chez les orcs. Ils ont rendu le corps de Nâsh à son père. Puis les elfes sont repartis. Arkelion, à ce qu’on dit, a élevé le bébé. C’est devenu une guerrière. Paraît qu’elle aussi, elle a attrapé la compassion. Mais rien n’est moins sûr. Les elfes sont des lâches et des traîtres. »

Hagazussa éclata de rire. Ses tresses s’agitaient derrière sa tête, comme les tentacules d’une pieuvre. « Hé ! hé ! Moi avoir eu la peur. Moi avoir cru que l’histoire être pour dire que nous pas devoir torturer les elfes. Hé ! hé ! »

La silhouette écarta un peu son manteau et ôta son capuchon. La tête dégagée, l’orc arborait un visage fier mais ciselé par les ans. Ses yeux mauves brillaient d’une flamme à la fois féroce et triste. Il regardait la trolle avec dureté. « Tu n’as rien compris, femelle. La moralité de mon histoire c’est que, quand quelqu’un te menace pas, tu peux éventuellement le tuer si c’est un gnome, mais c’est pas utile de le torturer dans le reste des cas. Faut utiliser ta tête avant de frapper avec ton poing. Ca aurait évité beaucoup de malheur si les elfes l’avaient fait avant de tirer avec leurs arcs. Ca aurait aussi évité pas mal de problèmes si les soldats n’avaient pas massacré un convoi de civils. »

La chamane réfléchit un moment. « Sûrement le père du chaman de ton histoire, plus jamais avoir tué les elfes après tout ça. »

Le vieil orc rigola. « Je m’appelle Ghâsh. C’est moi le père de Nâsh et j’en tue, des elfes. Mais pas pour n’importe quelle raison : s’ils menacent la Horde, je n’hésite pas. Mais s’ils ne font pas de mal, je leur fiche la paix. Tant qu’ils me la fichent aussi. » Il donna une claque dans le dos de Mutok, qui s’était presque endormi sur le bar. « Viens, mon gars. Allons chasser un peu. » Il jeta un regard à Hagazussa. « Amène-toi aussi, j’ai d’autres histoires pour toi. » Elle haussa les épaules et ramassa son sac à ju-ju.

Tous les trois, ils quittèrent la taverne. En voyant les nouveaux aventuriers qui se pressaient dans les rues de la Croisée, Ghâsh remarqua : « On va tous finir par l’attraper la compassion. » Ils se mirent en route. « C’est la faute à Thrall. »
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