Signes avant-coureurs
L’aube ne s’était pas encore levée. Toute la Nature profitait de ses derniers instants de sommeil et de silence respectueux. La jeune Koada Dal se leva et s’habilla, suivie de son compagnon. Ils avaient enfilé de simples vêtements de cuir, avec une pèlerine sur les épaules.
Ils descendirent sans un bruit les marches de l’auberge du Port de Qeynos : l’aubergiste ronflait sur sa large chaise, son registre et sa plume à la main, un papier glissé à l’intérieur contenant les instructions nécessaires.
Ils se rendirent dans les écuries afin d’emmener leurs montures à bord. Calmes, elles se laissèrent conduire dans les cales sans broncher. Quelques heures après, l’embarcation quittait le quai…
Cybil vint s’accouder au garde fou. Le soleil venait de se lever, et ses premiers rayons lui caressaient délicieusement le visage. Des lueurs roses se dessinaient sur les contours des collines et les nuages se cerclaient d’orange. La douce brise marine soufflait les mèches de son front, elle avait le cœur serré. Curieux mélange entre l’impatience et la crainte : elle se demandait si Aemeth était encore en vie par exemple… Elle n’avait pas eut de réponses à ses lettres depuis quelques temps. Elle redoutait aussi de rencontrer à nouveau cet homme dont elle ne savait rien. Ses longs cheveux noirs et son visage immaculé la faisaient frissonner d’effroi.
Des mains vinrent encercler tendrement sa taille. Sans quitter l’horizon des yeux, elle esquissa un sourire et bascula sa tête en arrière, l’appuyant sur son épaule.
« Le Capitaine m’a confirmé que si le temps restait aussi dégagé comme cela, nous n’en aurions que pour trois jours.
_ Excellente nouvelle. »
Il ne pouvait s’empêcher de regarder le dos de ses mains agrippées à la rambarde, recouverts de tatouages tribaux.
Le lendemain, le ciel était couvert mais le vent soufflait grandement.
« C’est le calme avant la tempête ! » riait un marin. L’elfe regardait les tissus de sa pèlerine s’affoler dans le souffle de l’air et les voiles se gonfler à bloc, se demandant où se trouvait le calme dans cette agitation céleste.
Elle ne comprit la différence que le soir, quand en effet, la tempête s’amena. Elle ne fût d’abord que de petits éclairs à l’horizon, s’échappant de gigantesques masses gris charbon. Le vent soufflait si fort que les marins hurlaient pour se faire entendre. Tous s’agitaient, l’un d’eux leur conseilla e se mettre à l’abri.
Les souvenirs du premier naufrage lui revinrent en mémoire. Celui qui avait causé, le croyait elle, la plus grande partie de son amnésie. Elle alla se placer à la proue du bateau, se cramponnant à la barrière. Ayerown lui hurlait de revenir, mais elle fit mine de ne rien entendre : elle voulait sa revanche, elle voulait affronter cet ennemi qui lui avait volé sa mémoire pour qu’il la lui rende.
La houle des vagues fut de plus en plus prononcée et le bruit de l’écume se fracassant contre la coque couvrait presque le tonnerre de la tempête.
Le bateau fut soulevé comme porté par une force surnaturelle, et retomba du haut de la vague telle une vulgaire bouteille vide. Le choc fit tomber tous les passagers qui s’empressaient de reprendre leur position, se préparant au pire. Cybil plissait les yeux vers cette puissance qui semblait la narguer :
« Non seulement je t’ai volé ta mémoire, mais en plus je vais t’empêcher de la retrouver un jour ! »
Et aussitôt, un mur d’eau s’éclatait sur le pont, balayant tout ce qu’il contenait.
Les barils roulaient dangereusement de babord à tribord, renversant les matelots imprudents. L’elfe avait failli lâcher prise mais elle se cramponnait de plus belle. Son manteau en lin semblait lui peser sur les épaules, ses cheveux trempés lui cachaient la vue, et le souffle violent lui glaçait la peau.
Elle fixait la prochaine vague qui s’avançait à une vitesse vertigineuse vers eux : cette fois ci, elle ne sera pas surprise, elle pourra anticiper la violence. Mais tout à coup, des cris détournèrent son attention. Quand elle tourna son visage, elle vit une immense poutre se diriger vers elle.
« Attention au mat ! »
Mais il était trop tard. La poutre la frappa en plein ventre et l’envoya voler sur le pont, pliée en deux. Elle roula jusqu’au au bord et se sentie projetée contre le garde fou. La vague vint soulever le navire et elle aurait basculé par-dessus bord si une main ne l’avait pas agrippée à temps. La sienne glissait le long de son poignet, puis on la souleva pour la remonter. Ayerown la tenait, le regard emplit d’inquiétude, un autre marin la hissait.
Il l’enlaça de toutes ses forces en hurlant des mots qu’elle n’entendit même pas. Mais une autre vague s’affala sur les lattes de parquet du bateau, aussi on les attira vers le centre du navire, et un jeune matelot les guida vers une cabine, où on leur pria se s’attacher. Ayerown lançait un regard réprobateur à l’elfe, qui n’y fit même pas attention.
Elle était bouleversée : non pas parce qu’elle avait failli perdre la vie, mais parce qu’elle venait de comprendre que ce n’était pas le naufrage qui avait entraîné leur amnésie. C’était une tierce personne.
L’orage cessa petit à petit que le navire s’éloignait. Les marins reprenaient leurs tâches comme si de rien n’était. La nuit était maintenant tombée, Ayerown et Cybil dîner à la poupe du bateau, assis sur des caisses en bois.
« Tu me parais préoccupée, Cybil ?
_ Mmh…
_ Dis moi ce qu’il y a… »
Elle paressait pensive, répondant à peine. Il passa sa main sous son menton, l’obligeant à le regarder en face.
Elle esquissa un sourire.
« J’ai retrouvé une partie de ma mémoire. » Dit elle fièrement. Perplexe, il lui demanda de s’expliquer.
« Quand je suis arrivée à Qeynos, tu te souviens ?
_ Oui.
_ Je pensais que c’était le naufrage qui m’avait fait perdre la mémoire.
_ Aemeth aussi…
_ Oui, je sais. Et c’est normal.
_ Que veux tu dire ?
_ Le fait que nous soyons frères et sœurs n’imposent pas nos souvenirs et nos trous de mémoire à être similaires, n’est ce pas ? Alors pourquoi est ce le cas ? Je dirais que c’est volontaire.
_ Pardon ?
_ Ce n’est pas un accident.
_ Pourquoi auriez vous choisi d’oublier ?
_ Nous n’avons rien choisi du tout.
_ Mais alors… qui ?
_ C’est ce que nous sommes partis chercher. »
Cette nuit là, la Koada Dal eut le sommeil agité. Dans son rêve, un torrent avait débordé et inondait la ville de ses souvenirs. Un gigantesque mur d’eau la poursuivait dans les rues en riant, les gouttelettes se projetant sur son corps comme des projectiles. Elle grimpait sur le toit de l’écurie qu’elle pensait à ses parents. Mais les vagues ne cessaient jamais de courir vers elle, et semblait même s’intensifier. Elle ressauta à terre et courut à toute allure. Sa petite robe l’empêchait de faire de grandes enjambées : c’était celle qu’elle portait le jour où ses parents s’étaient entretués. Elle voulut la remonter de ses mains pour courir plus vite mais lorsqu’elle baissa ses yeux sur elle, le jupon était couvert de sang. Ce choc la fit trébucher contre une pierre : elle tomba en avant, le visage dans les braises de la forge de l’armurier.
Cybil se réveilla en sursaut, son visage la brûlant. Ses mains effleuraient ses joues, sentant la chaleur s’en dégageant. Elle serrait les dents pour ne pas crier de douleur. Ayerown ouvrit les yeux et aperçut les tatouages de Cybil rougeoyant et incandescents. Il s’empressa d’allumer la lumière pour se rendre compte que Ca recommençait.
« Mon amour… !
_ M…Mon… Mon visage ! Mon visage me brûle !! »
Elle ne pu se retenir plus longtemps, et hurla. Elle hurla sa douleur, qui raisonnait dans tout le bateau. D’abord l’épaule puis tout le corps avait vu ses tatouages passer du noir au rouge lumineux. Ceux du cou se prolongeaient, creusaient la peau en feu en forme d’arabesques, de courbes et de contrecourbes.
Tout son visage se recouvrait de lignes.
Le capitaine fit soudainement irruption dans la chambre, suivit de deux hommes armés. Ils restèrent pétrifiés sur le pas de la porte à la regarder se crisper et se tortionner de douleur.
« Par Tunare… » finit il par marmonner entre ses dents. Il leva son sabre, prêt à la tuer. Ayerown, tourna la tête et dégaina son épée accrochée à la tête du lit.
« Arrêtez !, hurla t’il.
_ Poussez vous !
_ Que faites vous ? Vous êtes fou !
_ Dégage de là !, criait le capitaine, oubliant toute politesse.
_ Je ne bougerai pas d’ici !
_ Vous ne voyez pas qu’elle est possédée ? Si j’avais vu ces tatouages avant, je ne l’aurais jamais acceptée ! Les femmes portent malheur à bord !
_ Vous ne comprenez rien !
_ Je m’en fiche de comprendre ! C’est mon navire, je ne veux pas de … ça à bord !» grogna t’il en désignant Cybil.
Il s’avança, Ayerown se mit en travers, le menaçant de sa lame.
« Demain nous débarquerons à la première escale, mais ne la tuez pas. »
Le capitaine grimaça, furieux, puis il jeta un coup d’œil à l’elfe : elle s’était calmée, et ne criait plus. Ses tatouages étaient redevenus entièrement noirs, et elle semblait dormir profondément.
« D’accord. » Et il sortit.
A l’aube du lendemain, on frappa à la porte de leur cabine. Ils débarquèrent leurs chevaux et quittèrent le port. L’elfe n’avait pas lâché un mot de la matinée. Elle avait relevé la capuche de son manteau et serré la boucle à son cou de façon à ce qu’on ne voit pas sa peau.
Ayerown savait à quoi elle pensait, mais il jugea inutile d’en parler :
Il ne restait que la paume de ses mains, avant que tout son corps entier ne soit recouvert.
La nuit, ils s’arrêtèrent dans une auberge au bord du chemin. La tenancière leur apporta à boire pendant qu’un palefrenier installait les chevaux à l’écurie. Elle ne pu masquer sa curiosité plus longtemps :
« Pourquoi caches tu ton visage, petite ? »
Elle ne leva même pas les yeux. Le tissu lui tombait sur le nez, ombrageant la totalité de sa figure. Comme elle n’obtenait pas de réponse, elle haussa les épaules et retourna au comptoir.
Elle murmura à un habitué assis près d’elle :
« Z’ont pas l’air nets, ceux là ! »
Elle regarda par-dessus son épaule avec lui.
« Une lépreuse ?
_ Ou la peste ?
_ Voir les deux ! »
Le vieil homme se leva et se dirigea vers leur table.
« Qu’est ce z’avez à cacher, vous ? »
Ayerown leva des yeux furieux vers lui, et un je ne sais quoi ne le fit pas insister. Il bougonnât quelque chose et retourna au bar.
Les clients ne purent s’empêcher d’épier à leur tour les nouveaux venus et se mirent à chuchoter des mots à leur sujet. Ils s’écartaient, laissant des tables vides autour d’eux.
« Ignore les…
_ Je sais. »
Elle sirotait son verre, les yeux baissés. Puis l’étrange événement se produisit : un homme qui avait un peu trop bu tituba vers eux, chope débordante en main :
« Alors, poupée, on est timide, hein ? »
Il bavait sa bière, la mousse dégoulinait entre les trous de ses dents manquantes. Elle choisit de l’ignorer, détournant son visage.
« Ben alors, réponds quoi ! »
Il avança sa main vers la capuche, elle se dressa aussitôt, lui faisant face.
Elle le fixait, froidement.
« Gloups… je… »
Il sembla apercevoir quelque chose qui l’effraya : « Nom…de…. ». Il recula et trébucha sur un tabouret, s’affalant sur un autre homme.
Un lourd silence pesa dans l’auberge, tous les regards étaient fixés sur l’elfe.
« Que se passe t’il ici, enfin ! »
L’aubergiste s’avança vers Cybil.
« Retirez votre capuche, où sortez d’ici ! »
Elle soupira.
« Viens, allons nous en… implora Ayerown.
_ Non. »
Lentement, elle souleva sa capuche et la posa délicatement sur ses épaules. La tenancière poussa un cri d’effroi : Non seulement son visage était recouvert de tatouages, mais ses yeux aussi : les iris se teintaient de violet et la pupille avait une forme d’hélice, des traits noirs s’en échappaient.
« Elle est maudite… Tuons là ! »
Des hommes s’armèrent, poussant des grognements sauvages.
Cybil ne bougea pas d’un pouce.
« Tranchez lui la tête ! Crevez lui les yeux ! »
Ils s’avançaient vers elle, elle répondit d’une voix, calme, posée, froide.
« Je ne ferais pas ça si j’étais vous.
_ Euh… Pourquoi ? » hasarda l’un deux.
Ayerown avait déjà son épée entre les mains.
_ Parce que je suis la fille de Cid. »
Autre silence. Les hommes étaient pétrifiés, on entendit même quelqu’un déglutir au fond de la salle. Elle laissa quelques pièces sur la table, et monta dans sa chambre.
Ayerown la suivit, perplexe. L’auberge reprit son activité, essayant d’oublier ce petit incident.
« Qui est Cid ? demanda Ayerown une fois en haut.
_ Aucune idée. » fit Cybil, s’affalant sur le lit.
Ils repartirent aux premières heures. Cybil semblait toujours ailleurs, son esprit n’était plus ici. On aurait dit qu’elle se parlait toute seule, ou que ses yeux exposaient ses expectations à l’horizon, qui l’écoutait, figé.
Ayerown se sentait perdu. Il ne comprenait plus rien, il ne la comprenait plus. L’avait il déjà comprise ?
Ils marchèrent ainsi pendant cinq jours. Le silence n’avait cessé de les entourer. Le sixième jour, Ayerown éleva la voix :
« De quoi te souviens tu ?
_ De choses diverses qui ne coïncident pas.
_ Avec quoi ?
_ Avec qui plutôt.
_ Que veux tu dire ? »
Cybil ne lâchait pas la route des yeux.
« Chaque fois qu’un souvenir ressurgissait Aemeth avait le même.
_ Au même moment ?
_ A peu de choses près, oui.
_ Mais certains ne coïncident pas ?
_ Eh non. »
Autre silence.
« Lesquels ? hasarda t’il.
_ Celui sur la mort de mes parents, par exemple.
_ Tu ne les as pas tués.
_ Je n’en suis plus si sûre. »
Son visage se ferma, Ayerown comprenait de moins en moins.
« Comment t’es venu le nom de Cid ? »
Elle tourna la tête vers la gauche : une grille en métal rouillée encerclait ce qui semblait être un cimetière.
« Arrêtons nous. »
Elle mit pied à terre et attacha la bride de son cheval à une branche d’un arbre qui semblait être là depuis des siècles, comme tous ces morts.
Il la suivit dans les allées boueuses, elle cherchait quelque chose du regard et s’orientait comme si elle connaissait déjà les lieux.
L’endroit semblait désert, à l’exception près d’un homme tout en blanc, debout près d’une tombe : celle vers laquelle elle se dirigeait, précisément.
Dessus, Ayerown pu lire :
« Alea et Sullivan Tiwele, qu’ils reposent en paix. »
Le Koada Dal regarda Cybil qui remuait ses lèvres à voix basse, lisant l’épitaphe :
« Tant qu’à vivre dans la monstruosité, autant aller au bout de l’horreur : toucher le fond est moins effrayant…
_ … Que de rester à la surface de l’abject. »
C’était l’homme encapuchonné de blanc qui avait parlé, et qui continuait, sur un ton cynique :
« Nothomb. Quelle coïncidence que de voir une de ses phrases se retrouver sur cette pierre, n’est ce pas ? »
Cybil ne bougea pas.
« Laissez moi, Cid. »
Il ria, ses dents d’un blanc éclatant étincelèrent sous le soleil déjà haut.
« Toujours aussi mignonne, cette petite.
_ Qui êtes vous ? » demanda Ayerown, suspicieux.
Cid choisit de l’ignorer.
« Je savais que tu reviendrais. »
Elle le foudroya du regard, il lui prit violemment les mains et fit tomber sa capuche sur ses épaules.
« Lâchez moi !
_ Lâchez la !
_ Comme tu es jolie ! Tu n’as pas changé. »
Il regroupa ses poignets dans une main et passa l’autre, libre, sur son visage.
« A l’exception de ceci, évidemment. »
Ayerown sortit son épée de son fourreau.
« Je vous ai demandé de la lâcher !
_ Ayerown, laisse.
_ Oui, Ayerown ! ria t’il. Vous n’êtes pas concerné. »
Il lâcha ses poignets et l’entoura de son bras, l’emmenant plus loin. Elle le suivit, sans se débattre, le visage baissé. Ayerown crispa sa main sur la garde de son arme et leur tourna le dos, furieux.
« C’est de votre faute.
_ Tu crois ?
_ Oui. »
Elle s’était assise sur une barrière, face aux forêts. Il s’était mis à côté, face aux prairies.
« Qui êtes vous ?
_ Cid.
_ Mais encore… ?
_ Je suis ton père adoptif.
_ Je m’en souviens.
_ Tu es toujours amoureuse de moi ? ricana t’il.
_ Non, lâcha t’elle, froidement.
_ De lui alors !
_ … Où est Aemeth ?
_ A la maison.
_ Est-ce que…
_ Laisse moi te regarder. » la coupa t’il. Il tourna son visage vers le sien. Elle le fixait en silence tandis qu’il parcourait de ses yeux les courbes des lignes noires.
« Elles sont jolies sur toi, on dirait presque que tu les a toujours eues.
_ Que sont elles ?
_ C’est un sceau.
_ C’est vous qui m’avez fait ça ?
_ Oui.
_ Pourquoi ?!
_ C’est douloureux ?
_ Pardon ?
_ Le sceau…
_ Ah…, fit elle en baissant la tête. Oui, très. »
Il esquissa un sourire.
« Aemeth aussi a souffert, mai cela s’est développé beaucoup plus vite chez lui, remarqua t’il après avoir observé la paume de ses mains.
_ Il a des marques, lui aussi ?
_ Bien entendu.
_ Les mains aussi ?
_ Partout. »
Cid les conduisit dans sa demeure. La grosse femme les accueilli, grimaçante, comme toujours.
« Tu te souviens de Cenah ?
_ Oui. »
Ayerown lui laissa les chevaux à contre cœur. Il entra aussi dans le manoir à contre cœur.
« Où est Aemeth ?, demanda Cybil.
_ Nous allons souper dans dix minutes. Je vous attends en bas. »
Ils restèrent tous les deux dans la chambre immaculée. Ayerown prit les deux mains de Cybil :
« J’ai un mauvais pressentiment. »
Elle hocha simplement de la tête, et ils descendirent à table.
« Alors comment cela se passe t’il à Qeynos ? Tu t’y plais ?
_ Oui. J’ai repris les arts de la guérison que vous m’aviez enseigné, au sein de l’Alliance des Seigneurs.
_ Ah oui, j’en ai entendu parler. Et vous… Ayerown ?
_ Je suis paladin, fit il froidement.
_ Que Tunare vous bénisse. » fit le prêtre, amusé.
Le Koada Dal ne touchait pas à son assiette. Il se sentait mal à l’aise.
« Cenah s’ennuyait sans tes bêtises, Cybil.
_ Mais vous avez Aemeth…
_ Il a toujours été plus sage que toi.
_ Je veux le voir.
_ Rien ne presse mon enfant…, dit il d’une voix lancinante. Rien ne presse. »
On leur apporta le dessert. Cid ne cessait de contourner les questions, aussi n’apprirent t’ils rien de nouveau. Ils passèrent ensuite dans le salon.
Le prêtre parlait, volubile, de Tunare, du village ou de la chasse. Cybil semblait retournée en enfance et l’écoutait, les yeux brillants.
Ayerown s’excusa et fit mine de retourner dans sa chambre. Il traversa un long couloir au bout duquel se dressaient deux grandes portes. Assailli par la curiosité, il entrouvrit l’une d’elle et se glissa discrètement à l’intérieur.
La pièce était baignée dans l’ombre et n’était meublé que d’un immense lit. Celui-ci contenait une masse inerte, soulevée par un souffle imperceptible. Il s’approcha et le reconnu : Aemeth dormait profondément. Ses cheveux blancs étaient attachés dans une queue de cheval, dégageant son visage recouvert de tatouages tribaux, du même genre que ceux de Cybil.
Il s’assit à son chevet, sans un bruit. Il lui prit la main et regarda à l’intérieur : sa paume était complètement tatouée, elle aussi.
Il murmura des mots, le secouait légèrement pour qu’il se réveille mais rien n’y faisait.
Des pas lourds raisonnèrent dans le couloir. Ayerown se figea, lorsque les deux battants grinçants de la porte s’ouvrirent d’un coup sec :
« Que faites vous ici ?! »
« Cid, finit par dire Cybil. J’aimerai vous poser une question, et j’aimerai que vous y répondiez pour une fois.
_ Je t’écoute ?
_ Est-ce moi qui ai tué mes parents ?
_ A quoi cela t’avancerait il de le savoir ?
_ Cid, répondez, je vous en prie.
Il soupira de compassion.
_ Tu te tortures tout le temps. Tu t’es toujours torturée.
_ Cid !
_ Bon d’accord. C’est de ma faute si tes parents sont morts…
_ Vous mentez…
_ J’étais l’amant de ta mère et ton père a finit par l’apprendre.
_ C’est faux…
_ Tu n’y es pour rien. Il était violent avec elle.
_ J’ai un souvenir très net de ce soir là. Ma mère parlait… de ne pas nous abandonner aux mains d’un certain Jasrah. Papa hurlait qu’elle ne devait pas parler de ces choses là. Il avait finit par la menacer. Je suis descendue et j’ai attrapé la lance à double lame accrochée au mur. J’ai tué papa quand il s’apprêtait à frapper maman, le poing levé. Maman a voulu m’étrangler, alors je l’ai tuée aussi. »
Cid la dévisageait, prit de court. Silencieux, il se mit à remuer sa cuillère dans sa tasse de thé.
« Je n’ai pas pu l’inventer. D’où ça vient ?
_ Aucune idée.
_ S’il vous plait ! Je vous ai demandé de me répondre, pour une fois !
_ Tu n’auras qu’à demander à Aemeth.
_ Je lui ai déjà demandé par correspondance. Il ne se souvient pas de cette version là, mais de toute façon, il n’était pas présent.
_ J’espérais que tu ne t’en souviennes jamais…
_ Pourquoi ?
_ Cela t’a terriblement marquée. Tu as tellement souffert…
_ C’est pour cela que vous avez sellé ma mémoire avec ces marques ?
_ Oui. »
Lorsqu’elle remonta dans sa chambre, elle était persuadée qu’il lui mentait. Elle ne savait toujours pas qui était ce Jasrah, et doutait grandement de la compassion de Cid.
En entrant le lit était vide, cela la surprit quelque peu. Elle se remémora le thé dans le salon et en conclu qu’Ayerown avait été fâché par leur attitude, à Cid et elle.
Elle se coucha et garda les yeux ouverts pour l’attendre : peut être était il sorti prendre l’air. Le lit n’était même pas défait, aucune de ses affaires n’avaient été touchées. Au bout d’une heure, elle s’endormit malgré elle.
Cid attendit qu’elle ne fut plus à portée de vue et fila dans le bureau. Il jura à voix basses : « Comment est ce possible… Comment a-t-elle fait… Cela ne devait pas se passer ainsi ! ». Il s’assit dans son fauteuil, s’appuyant sur ses coudes, anxieux.
« De toute façon, sa transformation sera bientôt faite. Tout ira bien. Oui, je le sais, tout ira bien. »
Il regarda ensuite par la fenêtre. La lune était rousse, presque pleine. Aucun nuage n’ombrageait le ciel et les étoiles brillaient de toute leur force.
« Ma petite princesse. J’espère que tu me pardonneras un jour. »
Une silhouette noire était sur le pas de la porte. C’était une femme, assez forte. Il la reconnut.
« Oh, Cenah, c’est vous. Vous m’avez fait peur.
Elle se taisait.
« J’ai vu cette porte, je me suis dit que ce devait être la chambre d’Aemeth…
La femme restait sur le pas de la porte sans un mot.
« Et euh… j’ai voulu le voir…
Silence pesant.
« … parce que je l’ai connu… un peu… »
Il finit par se lever.
« Bon ben je vais le laisser dormir… Il a l’air d’avoir sommeil…
Il voulut partir.
_ Où allez vous comme ça ?
_ Ben… dans ma chambre… ?
_ Non, suivez moi. »
Elle referma la porte derrière elle à double tour. Ils reprirent le couloir et puis elle ouvrit une petite porte sur le côté qui donnait sur un escalier étroit en colimaçon. Elle l’invita à la précéder, elle claqua la porte derrière elle. Il remarqua qu’elle n’avait pas de poignée, de l’intérieur. Il n’avait d’autre choix que de descendre. Au bout de nombreuses marches en pierre, de souffle éreinté dans l’ambiance humide de l’endroit, ils débouchèrent sur un sombre couloir. Il ne se doutait pas qu’un aussi beau manoir puisse contenir des pièces et des passages aussi sordides qui lui rappelaient des éléments des châteaux humains. Elle décrocha une torche au mur et lui tendit, l’invitant d’un geste de son double menton de continuer. Il marcha donc le long du couloir, qui lui semblait ne jamais se terminer.
Des rats étaient surpris par la lumière et couinaient, s’échappant à toute allure. Des toiles d’araignées commençaient à lui chatouiller le visage. Il se demanda depuis combien de temps ce couloir n’avait pas été emprunté.
Finalement, ils atterrirent sur une petite pièce contenant une table, une chaise, et c’est tout. Elle s’assit. Il s’appuya contre un mur.
« Pourquoi m’avez-vous emmenez ici ?
_ Connaissez vous Ejipaine ?
_ Eji... hein ?
_ Mmh, je vois. J’imagine que le nom de Naïlo ne vous dit rien non plus ?
_ Euh, non, désolé. »
La lueur de la torche éclairait son visage gonflé. Des yeux globuleux et verts le fixaient avec une certaine perversité, qui lui fit détourner le regard.
« Je vais vous raconter une histoire dans ce cas. Vous allez être attentif, je ne répète jamais les choses deux fois. Ne posez aucune question aussi, je déteste être interrompue.
_ Euh d’accord, mais pourquoi m’avez-vous emmené ici pour me dire cela ?
_ Ils existent dans l’univers des plans parallèles. Les savants affirment que cela est impossible, mais les sages connaissent très bien leurs existences. Chaque fois que nous faisons des choix, ils influent sur notre monde. Aussi, chaque fois que des possibilités différentes s’offrent à nous, notre monde se divise et continue de vivre avec le choix opposé de celui emprunté.
_ Quoi ?!
_ Il existe une infinité de mondes parallèles, ils sont innombrables. Certains se ressemblent énormément, ceux issus de choix bénins, par exemple. D’autres sont totalement différents, car ils résultent de choix capital pour leurs civilisations et leur avenir.
_ Vous voulez dire qu’à chaque fois qu’une alternative s’offre à moi, un parallèle se crée pour que la possibilité que je n’ai pas choisie soit tout de même choisie par un autre moi dans ce monde ? »
Elle le foudroya du regard.
« Ah oui… pardon. Continuez.
_ Ejipaine est l’un de ces plans. Il ressemble en tout point à notre monde, à peu de choses près. Là bas, une reine Antonia Bayle dirige les contrées de Qeynos et les Freeportiens s’inclinent devant un Overlord. La différence, c’est que là bas, ce passage n’existe pas. Vous y êtes peut être, mais Cybil et Aemeth n’y sont pas. Moi non plus, d’ailleurs.
« Il est, en temps normal, impossible de passer d’un plan parallèle à un autre. C’est bien trop dangereux, et on ignore ce que cela pourrait causer, dans les deux mondes. Imaginez que vous rencontriez votre clone… Je n’avais jamais entendu parler de quelqu’un qui en était capable avant Naïlo. Et même lorsque je l’ai vu, j’ai eut du mal à y croire…
« Naïlo est un érudit âgé de plusieurs milliers d’années. C’est peut être le plus grand mage de tout les temps. Il a voué sa vie entière à l’apprentissage de la magie, et il sait la manier mieux que quiconque. Mais lorsqu’on acquiert un si grand pouvoir, il devient difficile de le contrôler et de le garder pour soit. Il se mit au départ au service de la Reine. Il était mage dans ses factions et décimaient d’un simple geste les armées adverses. Très vite, il grimpa dans les grades, et lorsqu’il n’y avait pas de guerres, il devenait espion pour sa majesté, tuant des gens secrètement.
« La soif de sang et ses envies de meurtres étaient chez lui insatiables. Il se mit à tuer quiconque le gênait, pour un oui ou pour un non. Il avait prit auprès de la reine une place très importante, aussi, quand elle apprit ses actes, elle ne pu se résigner à l’enfermer. Elle le congédia simplement de ses fonctions et le pria de s’exiler hors de ses terres.
« Naïlo n’apprécia guère ce geste. Il mit sur pied le projet de la renverser pour prendre le pouvoir. Ainsi il pourrait assouvir toutes les soifs qui l’assaillent sans que personne ne l’en empêche. Mais il faillit.
_ Pourquoi ?
_ …
_ Hum… Pardon.
_ Quelqu’un dans l’entourage de la Reine possédait une arme qu’il ne soupçonnait pas. Antonia Bayle l’enferma dans une prison naturelle magique. Il n’y avait aucun moyen de sortir. Et il n’en sortit jamais. Du moins, il ne dépassa jamais les frontières de l’endroit. Il réussit à ouvrir un portail vers un monde parallèle, avec l’arme qu’il avait eut le temps de dérober avec lui. Elle est unique. Dans tous les plans, il n’existe qu’elle.
Il s’agit de l’Orbe de l’Annihilation.
Naïlo est en ce moment dans ce monde, et il projette de renverser la Reine, pour se venger et prendre enfin le pouvoir qu’il désire.
_ Quoi ?!
_ Cela fait des années. Le problème, c’est qu’il n’avait pas encore trouvé le moyen d’utiliser l’orbe. Il s’agit d’une pierre sombre contenant une essence maléfique. Si un mortel touche cette pierre, son âme devient corrompue et il ne peut plus jamais retrouver ses esprits. Il appartiendra au Démon qui l’habite.
« Naïlo a récupéré l’orbe en deux parties. Lorsque il avait tenté de la voler, son ancien propriétaire avait préféré la briser pour ne pas qu’il l’utilise. Elle ne peut être réunie que par deux êtres qui offriraient leur vitalité à la soudure magique de la pierre. Et une fois reconstituée… »
La femme soupira, le visage emprunt d’inquiétude.
« Pourquoi me racontez vous tout cela ?, demanda Ayerown.
_ Parce que vous pourrez peut être l’en empêcher.
_ Moi ? Mais comment ?
_ En tuant Cybil. »
Elle se réveilla aux premières lueurs du soleil. Lorsqu’elle reconnut l’endroit, elle bondit en avant, vérifiant que rien n’avait changé, comme la dernière fois. Elle se rappela la veille, et tous ses souvenirs étaient intacts. Ses souvenirs qu’elle pensait être vrais, son enfance retrouvée. Tout cela était bien dans son esprit. Elle se souvint de la discussion avec Cid, puis regarda ses mains : ses paumes étaient encore vierges de toutes traces. Elle soupira de soulagement. Elle tourna ensuite la tête vers le second oreiller, l’emplacement était toujours vide.
Elle posa ses pieds nus par terre, la mort de ses parents lui revint comme un choc : elle revit ses genoux nus contre la pierre froide, les espionnant se hurler dessus. Elle ferma les yeux, pour chasser ces souvenirs. Quels autres souvenirs étaient ainsi erronés ? Cid lui avait totalement effacé la mémoire pour la re-remplir d’autres mensonges. Pour son bien… ? Elle n’y croyait pas.
Elle descendit les escaliers du manoir en silence. Dans la salle à manger, un petit déjeuner encore chaud semblait l’attendre. Elle n’y toucha pas et entrait dans la cuisine, vide. Elle passa dans la salon puis dans le bureau : il n’y avait personne. Elle arrêta tout mouvement un instant pour écouter si quelqu’un était dans les environs, mais il n’y avait aucun bruit, mis à part le piaillement des oiseaux qui s’éveillaient à l’extérieur.
Elle prit place sur le fauteuil du bureau. Elle regarda devant elle : il était vide. Il y avait une bougie dans un coin, une plume et un encrier. Il n’y avait aucune rayure sur le vernis du meuble, comme s’il n’avait jamais servi. Elle ouvrit un tiroir : rien dedans. Puis celui d’en dessous et tous les autres : néant. A quoi cela lui servait il ? Elle se leva et regarda dans les bibliothèques : des traités de magie, des contes et légendes divers. Rien qui ne puisse la renseigner sur son étrange père. Elle s’apprêtait à quitter la pièce quand un détail lui attira l’attention. Dans une corbeille en osier tressé blanche, une feuille demeurait orpheline. Elle s’approcha et la ramassa.
La Koada Dal s’assura à nouveau qu’elle était bien seule et défroissa le document pour mieux le lire.
« Cid,
Merci de vos informations. Dès qu’elle sera prête nous pourrons enfin commencer. Restez discret surtout.
Je voulais vous mettre au courant également de mes doutes au sujet de Cenah. A notre dernière rencontre, je n’ai pu m’empêcher de déceler une hypocrisie dans son comportement, aussi j’aimerai que vous vous penchiez sur son cas. Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer. Vous avez compris ?
Dans peu de temps vous serez libre de retourner à vos occupations avec vos dieux. En attendant, continuez de suivre nos instructions. Et surtout, pas d’erreur.
Jasrah. »
Elle le relut plusieurs fois puis releva la tête, se rendant compte de son imprudence. Elle rangea précieusement la missive dans sa poche, puis après réflexion, décida de la laisser en place… Au cas où Cid s’en rendrait compte.
En repassant dans le salon, elle le vit entrer.
« Bonjour Cybil.
_ … Bonjour Cid.
_ Bien dormi ?
_ Oui… Mais je n’ai pas vu Ayerown… Il n’est pas rentré ?
_ Je ne l’ai pas vu. »
Il revenait de son éternelle chasse. Cybil se souvint de la fois où elle lui avait demandé, petite, pourquoi il tuait les animaux qui étaient censées être des créatures de Tunare.
« Il y a l’Equilibre, princesse. L’homme se doit de se nourrir, comme tous les enfants de Tunare. Il ne doit pas tuer pour le plaisir, juste pour le besoin. » Elle avait trouvé formidable qu’un homme ai trouvé l’alliance parfaite entre le plaisir et le besoin de tuer.
« J’aimerai voir Aemeth, où puis je le trouver ?
_ Il vit dans une maison au village. Je peux t’y emmener si tu veux.
_ Non, j’aimerai le voir seule. Indique moi juste le chemin.
_ Comme tu voudras.
_ Et si tu vois Ayerown… Dis lui où je suis…
_ Je n’y manquerai pas ! »
Elle esquissa un sourire et nota les informations qu’il lui donnait. Elle sortit et prit la direction du village.
Cid resta un moment dans le hall à écouter les bruits de pas feutrés dans le sable dehors. Il monta ensuite à l’étage, passant dans les différentes pièces, cherchant quelque chose… quelqu’un. Il arriva au fond du couloir, devant les deux grandes portes : Elles étaient verrouillées.
Il entra ensuite dans la chambre de Cybil : il n’y avait personne non plus.
« Où sont ils passés… ? » murmura t’il. Son regard se fixa sur la petite porte dans le couloir, qu’il n’empruntait jamais.
« Cenah, ton inconscience va te perdre. »
Cybil retraçait les chemins de son enfance. Elle ne souvenait des arbres qui se plantaient sur sa route. Elle pensait qu’ils étaient bien plus impressionnants. Combien d’années cela faisait il ? Cent ans ? Cent cinquante ans ? Et pourtant, rien n’avait changé.
En arrivant au village, personne ne la reconnue, avec sa pèlerine. De toute façon, elle n’avait aucune envie de revoir ces gens là. Elle alla directement à l’adresse que lui avait indiqué Cid.
Il s’agissait d’une petite maison modeste toute en pierre blanche. Il n’y avait ni fenêtres ni cheminées. Elle toqua, et fut quelque peu surprise.
« Bonsoir.
_ Euh bonsoir…
_ Vous êtes Cybil ?
_ En effet.
_ Entrez, il vous attend. » C’était un nain qui lui avait ouvert. Il ne devait pas dépasser les un mètre et sa longue barbe emmêlée cachait des restes du repas de la veille.
Il la mena vers la seconde pièce. Il n’y avait qu’une faible bougie qui enveloppait l’espace d’une lumière incertaine. Aucun meuble n’indiquait que quelqu’un vivait ici.
Elle entra dans la salle encore plus sombre que la première, sur un tapis indigo qui s’avançait devant elle. Le nain tira le rideau derrière l’elfe.
« Aemeth… ?
_ Non. Il n’est pas ici.
Elle ne voyait pas son visage, et ne reconnut pas la voix.
_ Qui êtes vous alors ?
_ Mon nom est Naïlo. »
Ayerown semblait perdu. Il baissa les yeux, cherchant quelque chose au sol puis les releva vers la femme :
« Comment osez vous me demander une chose pareille ?
_ Voyons, vous êtes le mieux placer pour effectuer un tel acte.
_ En quoi Cybil serait elle mêlée à toute cette histoire ?
_ Je ne vous pensais pas si bête.
_ Mais… mais enfin ! C’est insensé ! Vous fabulez ! Vous êtes complètement folle !
_ Vous croyez ?
_ J’en suis persuadé ! Je n’aurai jamais du vous suivre, les années vous ont rendus complètement dérangée !
_ Voyons, un peu de respect. Arrêtez de crier et réfléchissez. Votre monde est menacé par un mage assoiffé de pouvoir. Votre Reine risque de perdre son royaume, et la vie qui plus est. Vous avez le choix entre sacrifier une personne, ou la vie de milliers d’autres. Cessez d’être égoïste un moment.
_ En quoi cela arrangerait il les choses ? Je ne comprends pas le rapport. »
Cenah soupira.
« Bon, je vais vous expliquer. Comme je vous le disais, l’Orbe, ou plutôt les deux fragments de l’Orbe, contiennent une essence maléfique qui corrompt l’âme de leur porteur. Autrement dit, celui qui possède cet orbe se verra vidé de toute vitalité au bout d’un certain temps, durant lequel il sombrera dans la folie.
Naïlo a trouvé un moyen de contourner cette condition. Il s’agirait… d’un sceau, qui protégerait les porteurs. Il fallait deux personnes identiques, mais uniques.
_ Aemeth et Cybil…
_ Exactement. Il confia donc à son bras droit, un certain Jasrah, de trouver des jumeaux qui seraient uniques sur tous les plans. Mais ils n’en trouvèrent pas. Sullivan et Alea travaillaient pour Jasrah. C’est eux qui avaient cherché désespérément cette perle rare.
Naïlo s’était rendu compte en observant Alea et Sullivan qu’ils faisaient partis des Uniques. Il les força à se marier, pour ne pas attirer l’attention. Lorsqu’elle tomba enceinte, il usa de sa magie pour influencer le jumelage. Les parents qu’eurent Cybil et Aemeth ne se sont jamais aimés.
_ Ca n’a pas de sens ce que vous dites… Ce n’est pas possible… Un être vivant serait incapable de…
_ Impossible ne fait pas partie du vocabulaire de Naïlo, la coupa t’il. Cela se voit que vous ne le connaissez pas. Il y eut toutefois une faille dans ce projet. Les enfants étaient destinés à devenir les porteurs de l’Orbe, pour le réunifier. Lorsqu’ils seraient prêts, ils seraient marqués par le sceau. Alea craqua, et refusa cet avenir pour ses enfants. Jasrah ordonna à Sullivan de la tuer, mais la petite Cybil les tua tous les deux.
_ Hein ?!
_ Elle les avait surpris. Elle avait voulu défendre sa mère, et sa mère, de peur qu’on croit que ce fut elle qui avait assassiné son soi disant mari, a essayé d’étrangler la petite.
_ Elle veut les sauver et tente de les tuer la seconde d’après… ?
_ Les gens qui travaillent pour Jasrah ne sont pas sains d’esprit, vous savez ? De toute façon il faut être fou ou n’avoir plus rien à perdre pour être à son service.
_ Qu’est il arrivé ensuite ?
_ Cid les adopta. C’était l’amant d’Alea, c’est lui qui l’avait amenée dans l’entourage de Jasrah, et il le regretta. Il était brisé que Jasrah choisisse Sullivan à sa place. Aussi, quand il apprit leur sort, il se proposa pour éduquer les enfants, qu’ils considéraient sans doute comme les siens. On lui accorda.
_ Pourquoi Cybil ne m’a jamais raconté tout cela ?
_ Parce qu’elle l’ignore, évidemment. Elle ne se souvient de rien, tout comme Aemeth. Lorsque nous les avons envoyé vers Qeynos pour finir leur apprentissage, nous leur avons effacé temporairement la mémoire. Ils sont revenus d’eux même et nous avons pu leur sceller tous ces souvenirs, et poser le sceau de l’Orbe.
_ Et Aemeth, à présent ?
_ Sa transformation est terminée. Il sommeillera longtemps tant que la transformation de Cybil ne se sera pas achevée.
_ Tout ceci me dépasse…
_ C’est pourtant là toute la véritable vérité.
_ Il faut que je sorte d’ici pour aller la prévenir tout de suite !
_ Il est trop tard, à présent.
_ Mais non, cela ne fait que quelques heures que nous discutons. Demain, je l’emmènerai loin d’ici !
_ Non, pas quelques heures, quelques jours. Cet endroit sort littéralement des normes de l’espace temps.
_ Quoi ?! Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? Pourquoi m’avez-vous retenu ici ?
_ Comment pensez vous que je sois au courant de tout ceci ? Moi aussi, je travaille pour Jasrah. »
Aemeth s’éveilla lentement. Une affreuse migraine lui martelait la tête, des crampes crispaient ses muscles et sa vue était complètement floue. Il lui fallut dix bonnes minutes avant de recouvrer totalement son état normal. Il regardait autour de lui, se demandant où il se trouvait. Il voulut sortir mais la porte était verrouillée. Il frappa dessus, hurla, mais personne ne vint ouvrir. Il marcha jusqu’aux fenêtres et tira d’un coup sec les rideaux : les fenêtres étaient murées. Il n’eut pas le temps de se retourner que son corps se mit à le brûler de toute part.
Il hurla de douleurs, s’écroulant au sol. Il plaça ses mains devant ses yeux et s’aperçut qu’elles étaient rougeoyantes : les tatouages brillaient dans la pénombre de la pièce, s’incendiaient à l’intérieur même de sa peau. Il pensa alors à Cybil.
Cid attendait patiemment appuyé à l’ombre d’un arbre. Les bras croisés, les yeux clos, il épiait le moindre son traître. Un homme se présenta à lui, il n’eut même pas le temps de l’entendre s’approcher.
« Jasrah…
_ Cid… » Ils n’échangèrent qu’un signe de tête, froid et distant.
« Naïlo est satisfait de vous.
_ Sans blagues. » Cid leva son regard de glace sur Jasrah. Un molosse, un être surnaturellement grand et carré.
« Ne soyez pas si sarcastique, Cid. Vous avez fait du bon boulot. Vous êtes libre à présent. Naïlo ne fera plus appel à vous.
_ Au revoir. »
Il lui tourna le dos et s’écarta.
« Une dernière chose, Cid. »
Il n’eut même pas le temps de se retourner qu’un immense poids s’abattit sur son crâne et il perdit connaissance.
« Bon, je ne plaisante plus à présent. Laissez moi sortir.
_ Non.
_ Je… Vous pourriez le regretter ! »
Elle l’ignora. Chaque secondes qui passait ici devait être multipliée dans le temps réel, et Ayerown ne le supportait pas.
« Par Tunare ! » Il se dressa d’un bond et se dirigea vers la sortie. Un panneau de flamme se dressa devant lui, l’obligeant à se reculer.
« Ne vous inquiétez pas ! Vous sortirez bientôt ! Quand ils seront morts !, fit elle en riant d’un rire frénétique et grossier.
_ Je croyais que vous vouliez l’en empêcher ?!
_ J’ai dit ça, moi ?
_ Parfaitement !
_ Ahahah !
_ Vous êtes complètement folle… » grommela t’il entre ses dents. Il regarda autour de lui, cherchant une solution.
« Ne t’inquiète pas mon petit, ils ne souffriront pas !
_ Taisez vous ! hurla t’il.
_ Et puis Naïlo n’est pas si mauvais, vous n’aurez plus à vous retenir pour tuer !
_ La ferme !!
_ Vous l’oublierez, voyons… Elle n’a jamais été comme les autres, vous le savez très bien. C’est une meurtrière. Elle n’a jamais aimé personne.
_ Vous ne la connaissez pas…
_ Ah parce que vous, peut être ?
_ Je… Oui ! Parfaitement !
_ Vous me faites rire ! Votre bêtise est affligeante ! J’imagine qu’en laissant un paladin comme vous dans la nature ne changera pas grand-chose. Si vous tentez quelque chose contre Naïlo, il vous pulvérisera ! Et je serais là, à piétiner vos cendres ! »
Elle partit dans un fou rire, et il en profita pour sortir. Il remonta les marches quatre à quatre et arriva face au mur, où la porte n’avait pas de poignée.
Il se déchaîna dessus, frappant les pierres de ses poings. Finalement, la porte s’ouvrit. Les rires de Cenah résonnaient dans tout l’étage :
« Et surtout, bon courage ! »
Ayerown courut jusqu’à la chambre d’Aemeth. Il défonça la porte à coups d’épaule. Le corps n’était plus dans son lit, mais face à a fenêtre. Il s’avança et le releva.
« Aemeth ! Vous m’entendez ? »
« Levez vous, je vous en prie, Cybil est en danger, et vous aussi ! »
Il ouvrit péniblement un œil, l’esprit embrouillé.
« Je sais, fil il simplement. Elle est avec Naïlo. »
Il se leva en prenant appui sur Ayerown.
« Mais alors, vous êtes au courant ? Pour l’Orbe et Ejipaine ?
_ Cid m’a tout raconté, oui.
_ Cid… Si je le trouve… je vais le…
_ Allons y, Ayerown. Il est peut être déjà trop tard. »
Ils sortirent de la maison, traversèrent le jardin en courant. Ils poursuivirent la route vers le village : Aemeth se souvenait de l’endroit. En route, ils trouvèrent un corps allongés près d’un arbre.
« On dirait Cid… ! »
Il se précipitèrent, Ayerown s’agenouilla et prit son pouls : il était encore vivant. Il aurait voulu l’achever tout de suite, mais il n’arrivait pas à éprouver pour cet homme inerte de la haine. Ce n’était que de la pitié.
« On dirait que vous n’êtes pas le seul à lui en vouloir, Ayerown.
_ Laissons le ici, allons chercher Cybil.
_ Attendez, ne vous précipitez pas. Qu’est ce que vous comptez faire contre Naïlo ?
_ Je… euh, je ne sais pas. Je verrai bien !
_ Ne soyez pas stupide. Inutile de foncer tête baissée. De toute façon, il ne la tuera pas, elle lui est bien trop précieuse. Nous ferions mieux de ramener Cid, peut être pourra t’il nous en apprendre davantage à son sujet. »
Cette solution ne réjouissait pas le Koada Dal, mais il du avouer qu’il n’avait pas le choix. Ils retournèrent au manoir, transportant Cid sur leurs épaules.
Quelques heures plus tard, Cid s’éveilla. Ayerown l’empoigna par le col, menaçant :
« Qu’est ce qu’il va lui faire ? Espèce d’ordure, vous allez me le payer !
_ Eh, calmez vous !, cria Aemeth.
_ Lâchez moi !
_ Je vous lâcherai pas !, hurlait Ayerown. Je vais vous tuer pour toutes les horreurs que vous avez faites !
_ Ayerown, arrêtez !
_ Je n’y suis pour rien sir !
_ Comment ça tu n’y est pour rien ?! Tu as détruit des vies et par ta faute elles s’achèveront bientôt !
_ Vous n’y êtes pas du tout… ! »
Aemeth agrippa Ayerown pour qu’il lâche prise, ce qu’il fit à contre cœur. Cid remit en place ses vêtements.
« Je n’avais pas le choix. Naïlo et Jasrah exerce une pression sur moi, je n’ai pas pu faire autrement. Il y a eut un moment où j’ai essayé de sauver les enfants… J’avais convaincu Alea de m’enfuir avec elle, Aemeth et Cybil, mais Sullivan s’y opposa, et Cybil… Cybil la tua. Après cela, on eut des soupçons, et ils envoyèrent Cenah me surveiller…
_ Mais Cenah est complètement cinglée… Elle ma enfermé pour tout me raconter, puis ma libéré… je ne sais même pas pourquoi.
_ Cenah est très consciente, elle est juste difficile à suivre. J’ignore le but de ses manœuvres, mais elle sait très bien ce qu’elle fait. Si elle vous a laissé partir, c’est pour une bonne raison, fit Cid.
_ Il faut aller chercher Cybil…
_ Nous ne pouvons rien contre Naïlo. Le plus sage serait de rentrer à Qeynos prévenir la reine. Jasrah m’a dit qu’ils n’avaient plus besoin de moi, et a tenté de me tuer. Ils doivent croire que je suis mort.
_ Je ne laisserai pas Cybil ici ! »
La porte s’ouvrit lentement alors. Une silhouette se mouva lentement à l’intérieur puis s’affala sur le tapis. Ils se précipitèrent.
« Cybil !
_ Que t’est t’il arrivé ? »
Ayerown prit sa tête sur ses genoux, elle ouvra doucement es yeux, comme vidée de son énergie.
« Je… Je ne sais pas… Je me suis… réveillée dans une pièce… vide… alors… je suis rentrée…
_ Naïlo a disparu ? »
Elle acquiesça.
« Je ne comprends pas pourquoi… » Ayerown stoppa net sa phrase. Il prit les mains de Cybil, elles étaient recouvertes de tatouages, paumes comprises.
« Le sceau a terminé son expansion, on dirait. » Remarqua Cid.
« Allons prévenir la Reine. Aemeth et Cybil serons plus en sécurité là bas. Ayerown, vous les conduirez à l’Alliance pendant que je demanderai audience.
_ Bien… »
Aemeth voulut aider Cybil à se relever, lorsqu’il la frôla, une décharge le parcouru, il recula d’un pas.
« Que se passe t’il ?
_ Je ferais mieux de me tenir loin d’elle je crois…
_ Que se passe t’il, je ne comprends rien…, murmura Cybil. »
Cid la prit dans ses bras.
« Aemeth restera écarté de sa sœur. Demain, je partirais à Qeynos avec lui avant vous. »
Il la monta dans sa chambre et l’allongea délicatement sur son lit. Il passa une main dans ses cheveux, elle rouvrit les yeux.
« Raconte moi toute la vérité, s’il te plait. »
Il hocha lentement la tête et lui raconta tout, depuis le début. Comment il avait rencontré Jasrah, comment il avait travaillé pour lui, et Naïlo, en pensant qu’ils étaient bons. Il avait rencontré sa mère, Alea, il avait du la laisser à Sullivan. Elle les avait tués, il avait prit la garde. Cenah avait posé les sceaux, effacés les mémoires. Ils devaient bientôt recevoir l’Orbe, Naïlo allait bientôt renverser la Reine. Elle su tout ce qu’il lui avait caché, depuis toutes ces années.
Au fur et à mesure qu’il parlait, ses yeux s’embuaient de larmes. Tant de mensonges, et d’hypocrisie, elle voulait le haïr, mais elle n’y arrivait. Cet homme au visage si froid dégageai beaucoup plus que ça.
« Il y a une chose encore que tu ne sais pas, et que tout le monde ignore. » termina t’il.
Il prit une profonde inspiration, ne la quittant pas des yeux.
« Je suis ton vrai père. »
Le lendemain, Aemeth et Cid partirent avant l’aube. Quelques heures plus tard, Ayerown et Cybil prirent un chemin différent, en direction de Qeynos. Ils ne prirent pas le même itinéraire, leur route ne se croisa jamais. Après trois semaines d’absences, ils étaient de retour.