La lumière qui filtre à travers le feuillage le réveille lentement. Il se retourne sur le dos, le bras devant les yeux. L’herbe est douce et fraîche.
Elle est partie sans le réveiller, mais sa présence flotte autour de lui et l’enveloppe. Son doux parfum sucré. Il porte ses mains à son nez. Elles en sont imprégnées.
A son bras, elle a accroché un petit bandage rose, celui qu’elle a utilisé pour sa joue, celui qu’elle a lancé sur lui, les yeux chargés de larmes.
Il reste ainsi, souriant et paisible, pendant qu’une partie de son esprit commence déjà à s’éveiller, et a prévoir des actions, des mensonges, des stratagèmes…
La douleur le prend totalement au dépourvu, lui coupant le souffle, tétanisant tous ses muscles en un spasme. Sa vessie échappe à son contrôle, ses yeux s’écarquillent, il ne peut ni crier, ni même gémir, tant sa gorge est crispée.
Son dos vient de s’ouvrir de l’intérieur. Il sent les pattes travaillaient avidement à déchirer sa chair. Il sent les filaments prendre feu dans ses nerfs. Il sent une partie de son énergie vitale lui être arraché, avec une bonne part de ce qu’il pense être son âme.
Puis le souvenir s’efface. Et la voix se fait entendre à l’intérieur de son esprit. Une voix de femelle drow, d’une incroyable et angoissante perfection. Une voix envoûtante, sensuelle, cynique. Sans mépris, mais écrasante de supériorité.
« Et bien, mon petit mâle, mon charmant navire ? Tu ne m’avais pas déjà oublié, n’est-ce pas ? »
Une étrange menace filtre, qu’il ne comprend pas. Son corps se couvre de sueur. Il claque des dents. Il ne peut rien contre cette peur foudroyante qui s’abat sur lui.
« M’abandonner dans cette arène… Dans ce bois misérable… Et aucun des tiens pour m’accueillir, de plus. Ta petite prêtresse lutant contre moi au lieu de me vénérer… »
Un mélange de tristesse feinte et de colère quand elle parle de sa s½ur. Il reprend un peu de contrôle, se prépare à la défendre...
« Inutile. Tu vas venir à moi. Tu vas tout me raconter. Et tu vas me nourrir. Si tu me sers bien, peut être que j’accepterai de pardonner, et de redevenir votre gardienne. Après tout, je ne peux rien te refuser, mon petit amant… »
La voix est chaude et cajoleuse désormais, mais il ne connaît que trop bien le rôle des amants d’une araignée.
Pourtant, il se lève et s’arme en silence. Puis, en suivant ses instructions, il part à la recherche de sa toile, en quelque lieu obscur et secret.
* * *
Des semaines qu’il est parti, sans un mot d’explication. Des semaines qu’elle lui interdit de contacter les siens, qu’elle lui interdit même de s’adresser à quelqu’un d’autre qu’elle.
Chaque nuit, il sort chasser. Dans les rues de Luna, dans les rues d’Umbra, dans la campagne… Chaque nuit, il emporte la victime qu’elle choisit. Mâle, femelle, enfant. Tous beaux. Tous de race différente.
Il doit la ramener vivante, et en assez bon état pour qu’elle puise se débattre. Puis il s’occupe de faire brûler la carcasse vidée de ses fluides, pendant qu’elle nettoie ses croquets, ses longues pattes, ses poils soyeux et immenses…
Des fois, il la masse, ou lisse les poils, ou nettoie les griffes de ses pattes. Etre si prêt d’elle est à la fois excitant et horrifique. Il doit laisser filtrer juste ce qu’il faut d’émotion. Pas assez, et elle ne s’amuse pas. Trop et elle s’excite. Par trois fois déjà, elle l’a mordu avec ses immenses crochets plein de venin. Les trois fois, elle a contrôlé son humeur à temps pour le soigner. Mais il suffirait qu’elle se lasse, et…
Le reste du temps, il lui parle. Il répond à chacune de ses questions, sans rien dissimuler. Quand elle estimera en savoir assez, elle sortira de son repaire, pour réveiller ses s½urs. Peut être le laissera-t-elle en vie, alors. Ou bien il sera son dernier repas avant la route.
Il pense parfois à Xune, qu’il a du abandonner dans une période aussi dangereuse, avec juste la promesse futile de revenir vivant. Il pense à la colère de Kerath, qui doit le faire chercher pour rendre des comptes. Il évite de penser à Eau, sachant qu’elle peut à tout moment espionner ses pensées. Il espère juste que tout ira bien pour elle.
Xune est-elle inquiète ? Va-t-elle bien ? Est-elle à l’abris du conflit qui couve ?
Va-t-elle laisser Kerath s'occuper des problèmes les plus dangereux?
Mais qu'il pense trop à sa s½ur agace l’immense araignée. Il s’enfonce dans un sommeil sans rêve, fait d’épuisement et de ténèbres. Un sommeil semblable à la mort.
Xarne,
Chevalier Noir de Lolth
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