La pièce baignait d'une lumière ténue, dispensée par une simple bougie posée sur un coin de table. La cire répandue témoignait du nombre d'heures où cette bougie avait du se consumer, déjà.
Une fenêtre ouverte laissait filtrer la lumière de la lune, éclairant de façon blafarde le visage de l'homme assis à la table. Il avait les yeux fixes, rivés sur le mur nu qui lui faisait face, absorbé dans une contemplation absente.
Dehors, un concert de Klaxons. Paragon City, même de nuit, n'est jamais au repos. Ville vivante et grouillante, il n'y a qu'au plus fort de la nuit où le calme s'en empare pour quelques heures.
Un cri de conducteur mécontent, plus fort que les autres, sembla sortir l'homme de sa torpeur. Il releva un peu la tête, fit craquer ses vertèbres cervicales d'un mouvement du cou maintes fois exécuté, poussa un léger soupir et, se saisissant d'un crayon, baissa les yeux vers la feuille posée devant lui.
Et commença à écrire.
C'est très étrange comme sentiment.
Lequel? Celui de se mettre devant une table avec un simple papier et un crayon pour essayer de mettre de l'ordre dans sa tête. D'ordinaire, j'imagine que c'est chose aisée, et que le fait d'écrire permet de rassembler ses idées et ses souvenirs.
Oui, mais quand on n'a pas de souvenir. Comment fait-on?
Ne pas savoir qui on est ; sensation étrange et terrifiante à la fois.
L'homme posa le stylo sur la table et repoussa la chaise. Il se leva, s'approcha de la fenêtre ouverte. D'un geste, il sortit une cigarette, la porta à sa bouche et l'alluma. Pendant un bref instant, son visage fut éclairé de près par la flamme vive du briquet.
En imaginant qu'un immeuble de 75 étages puisse avoir un vis à vis direct, n'importe qui en face à ce moment aurait pu remarquer distinctement les marques étranges recouvrant le visage du fumeur.
Après plusieurs minutes passées à laisser se consumer la cigarette, il s'en retourna s'asseoir.
Qu'il n'y ait pas de confusions, cependant. Je sais qui je suis aujourd'hui. Mes parents sont vivants, tous les deux, et Dieu les préserve. Qu'ils soient remerciés de tout ce qu'il ont fait pour moi jusqu'à ce jour. Sans eux, peut-être n'aurai-je même pas cet espoir de réussir à diriger ma vie. Ou notre vie, devrais-je dire, enfin, écrire. Car, je ne suis pas sur d'être seul... De n'être qu'un. Sinon, comment expliquer tous ces blancs qui voilent mes souvenirs. Aussi loin que ma mémoire remonte, je n'ai que des bribes de vie qui me reviennent.
A nouveau, il se releva de la table. Au dehors, la nuit était complètement tombée sur Paragon. Les rues étaient enfin plus calmes, et la Mégapole semblait s'engourdir doucement dans un sommeil profond.
La nuit. Voilà mes premiers souvenirs. Le contraste de la nuit et de la blancheur des couloirs. Le halètement paniqué de ma mère me tenant contre elle avant de me laisser entre leurs mains. Les cris, derrière les portes closes. Les gémissements, de rage pour certains, de peur pour d'autres. Tout qui bouge autour de moi, autour de nous. De lui aussi.
Lui.
A chaque fois que je sentais qu'il se rapprochait, je savais qu'une nouvelle séance serait mon seul espoir. Et je l'implorais secrètement, même si je savais la douleur que ça engendrerait.
Tempes froides; les fils; les bracelets de cuir aux poignets et aux chevilles; puis, le bleu, les spasmes, la tête qui explose et la douleur qui arc-boute mon corps. A chaque fois, je perdais la notion du temps, ne sachant pas si il s'était écoulé quelques secondes ou plusieurs heures. Je ne l'ai jamais su, et n'ai jamais demandé. Je préfère ne pas savoir. Mais à chacun de mes réveils, j'étais à nouveau seul.
La pièce étant plongée dans une quasi obscurité, il aurait été facile pour toute personne faisant irruption à ce moment de remarquer la lueur légèrement bleutée parcourant de temps en temps le corps de l'homme, comme un serpent qui courre sur le corps de sa proie avant l'étreinte mortelle.
Mais ça recommençait sans cesses. Les absences dans ma vie étaient de plus en plus fréquentes. J'avais l'impression de sentir un souffle fétide en permanence dans ma nuque. La douleur était plus forte à chaque fois que les Blouses venaient, et le temps de rémission inversement plus court. Jusqu'à ce jour où....
Des tremblements convulsifs parcoururent tous ses membres un bref instant.
Les grondements dehors... Sourds et violents. La lumière qui vacille dans les éclairages. Le bleu qui parcourt mon corps, les Blouses qui s'affolent, la douleur qui me saisit les tempes et me brûle partout le visage. Je sentais mon sang bouillir dans mes veines.
La suite me fut racontée... On me dit que tout s'était déréglé ce soir là, et que personne n'avait pu couper le courant. Les efforts conjugués de toutes les Blouses n'y purent rien. Et il était impossible de m'approcher. Les minutes s'écoulèrent, interminables, rythmées par les hurlements d'effroi de ma mère qui voyait les électrodes fondre sur ma peau, persuadée que si le corps de son fils bougeait encore, ce n'était dû qu'aux spasmes de l'électricité créant des contractions musculaires involontaires.
Et puis la foudre qui a frappé le bâtiment.
L'ombre qui s'est détachée de moi à ce moment.
Et le noir qui a envahi les lieux.
Je repris connaissance plusieurs jours plus tard. J'étais vivant. Et, pour la première fois de ma vie, je me sentais moi, et que moi.
L'accident avait profondément modifié mon être. Je le savais. Mon métabolisme était capable de supporter de très hautes charges électriques. Plus encore, je pouvais créer et contrôler des arcs électriques de toutes formes et intensités.
J'étais dorénavant un mutant.
Cet éclair providentiel m'avait sauvé. Enfin, temporairement. Car, même si depuis ce jour, il n'est jamais revenu, je sais qu'il est là. Plus en moi, mais hors de moi. Et qu'il rôde, guette et attend.
Paragon City était ma seule alternative. Car, en plus de m'éloigner de ma famille pour éviter qu'il leur fasse mal le jour où il se manifestera à nouveau, je pourrai, pendant un temps du moins, mettre au service de ceux qui en ont besoin les pouvoirs qui étaient devenus les miens.
Alors je me bats, de toute mes forces et de toute mon âme, sachant que, dans un avenir proche, ma Némésis ressurgira des ombres pour me faire face. Mais, ici, au moins, je pourrai l'affronter sans peur.
~ SPARKLE ~
L'homme posa son stylo sur la table et se leva. D'un geste rapide, il enjamba le rebord de la fenêtre, restant de longs instants à contempler les rues de Paragon.
Après de longues minutes, il se jeta dans le vide. Comme porté par une force invisible, il se mit à voler. Se posant sur le plus haut toit qu'il trouva, il reprit sa contemplation.
"Je ne sais pas qui de toi ou de moi sera vainqueur, le jour où nous affronterons enfin. Mais sache que, quel que soit l'issue, tu me trouveras toujours sur ton chemin pour t'empêcher de répandre le mal dans cette ville qui m'a adoptée...."