Background Utopia
Utopie et déclin
Je dois me dépêcher, car il ne me reste que peu de temps. On m’accuse depuis longtemps de profaner des lieux saints et de dépouiller les morts, comme s’ils pouvaient avoir encore besoin des vieux manuscrits abandonnés à la poussière de leurs tombeaux.
Puisque la mort nous dépouille de tout, achever son travail n’est que justice. Tout est bon à prendre.
Mes détracteurs, devenus de plus en plus nombreux au fil de mes recherches, ils m’ont longtemps pourchassé pour me faire payer ce qu’ils considèrent aveuglément comme un crime. Cette nuit, leur chasse touche à sa fin, ils m’ont acculé dans cette petite tour de pierre abandonnée, et l’unique porte ne tiendra plus très longtemps. Je vois, depuis la mince fenêtre de l’étage, leurs torches éclairer cette nuit sans lune comme autant d’étoiles funestes.
J’ai découvert des tombeaux elfes et nains qui renferment des parchemins et des manuscrits contenant maints secrets oubliés sur les origines de notre monde. Mes longues recherches, m’ont permis d’acquérir un savoir considérable sur notre monde et son histoire.
Ce savoir ne doit pas être perdu et c’est à ce dessein que je prends la plume une dernière fois. Je cacherai ensuite ce parchemin derrière le vieux bureau sur lequel j’écris, en priant pour que mes bourreaux ne le trouvent pas, et qu’il parvienne un jour dans les mains d’un homme sage qui comprendra l’intérêt de ces lignes.
Quant à moi, je leur réserve une petite surprise. J’espère qu’ils sont aussi stupides que je le pense…
Le bois de la porte gémit sous les coups, je n’aurai certes le temps que de mettre le plus important.
Peu importe. Ce sera déjà beaucoup.
A l’aube de notre monde, les dieux vivaient en harmonie les uns avec les autres, et aucun ne se souciait de dominer l’autre. Les années s’écoulaient comme des secondes, les siècles comme des minutes, les millénaires comme des années, sans que rien ne vienne perturber leur douce quiétude et leur félicité. En ce temps-là, Althéa croissait, prospère et paisible. Son sol était foulé par les dieux, et ses vallées résonnaient de leurs rires et de leurs chants.
Hélas, toute chose doit changer un jour.
Avec la Vie apparurent aussi les Peuples d’Althéa. En voyant ces êtres croître, chaque dieu voulu en son for intérieur être celui qui les instruirait. Avec ce nouveau désir en eux, ils changèrent progressivement, pour se distinguer les uns des autres, et leurs différences devinrent de plus en plus nettes.
Conscients qu’ils ne pourraient pas tous se partager la tâche d’instruire les êtres vivants, ils se réunirent pour déterminer ceux qui en auraient la charge. Long fut leur débat, car chacun était persuadé d’apporter aux peuples ce qui leur serait le plus utile. Ne pouvant se départager d’eux – mêmes, ils envoyèrent un messager divin sous l’apparence d’un simple mortel, de telle sorte que personne ne pourrait le reconnaître pour ce qu’il était réellement. Celui – ci devrait étudier les peuples, puis décider de ce qu’ils auraient fondamentalement besoin d’apprendre, et quels dieux seraient les mieux placés pour le leur enseigner.
Cet espion divin sonda longuement les esprits et les âmes, se déplaçant de ville en ville et se mêlant à la foule de chaque peuple, découvrant par la même occasion les prémices des civilisations naissantes.
Quand il eut achevé sa mission, il appela les dieux à une nouvelle réunion, et désigna ceux qui allaient enseigner les principes nécessaires aux êtres vivants. Ces dieux étaient au nombre de quatre :
Artherk, le dieu de l’Harmonie, de la Paix et de la Lumière,
Gluriul, le dieu de la Corruption,
Lothar, le dieu de la Justice,
Ogrimar, le dieu du Chaos, de la Terreur et de l’Obscurité.
Dans les rares et très anciens écrits traitant de ce sujet, deux termes existent pour différencier ces dieux des autres.
Les dieux cités précédemment y sont appelés les « Miodirs ». Ce terme signifiait, dans les langages primitifs de cette lointaine époque, les « Dieux Elus », car élus inconsciemment par les peuples.
Les autres dieux, non élus, y sont appelés les « Sèudens ». Ce terme signifiait, quant à lui, les « Seconds Dieux ».
Après que l’espion divin ait délivré sa conclusion et désigné les Dieux Elus, les Sèudens se retirèrent dans l’oubli, laissant les Miodirs à leur tâche.
Les peuples accueillirent donc les cultes des Dieux Elus, apprirent d’eux les enseignements divins et vécurent dans le contentement et le bien-être. On eut pu espérer qu’il en serait toujours ainsi, mais hélas ! cette période bénie des dieux ne dura pas.
En effet, de sombres nuages apparurent dans le ciel si bleu de cette époque bienheureuse.
Les Dieux Elus, du fait de leur nature fondamentalement contradictoire, se réunirent en deux camps opposés. Leurs enseignements s’éloignèrent progressivement de leurs devoirs initiaux, pour ne plus aller que dans le sens des hostilités entre leurs deux camps.
J’entends une clameur cruelle s’élever dans la nuit. Ils se sont finalement décidés à utiliser un bélier pour enfoncer la porte de mon refuge. J’ai bien fait de caler la porte avec une vieille poutre, sinon ils seraient déjà là. Le temps me manque cruellement.
Il me faudra bientôt utiliser la petite fiole que je garde précieusement dans mon vieux sac. Elle me plongera dans un état d’inconscience profond. Au moins n’aurai-je pas à soutenir le regard haineux de mes bourreaux. Peut-être même que ces idiots penseront que je me suis empoisonné et qu’ils se contenteront de me croire mort.
Quelques-uns d’entre eux s’éloignent déjà vers le petit bois proche d’ici. Il ne me reste que le peu de temps qu’ils mettront à couper un arbre au tronc solide et le ramener au pied de la tour. Je dois me hâter.
Les hostilités entre ces deux camps s’engagèrent dans une spirale de violence effroyable, qui déboucha sur une guerre cataclysmique impliquant plusieurs races. Cette période d’hostilités et la guerre qui la suivit, mieux connue sous le nom de « Guerre Céleste », sont bien trop longues à décrire et le temps me fait défaut pour les relater ici. Toujours est-il qu’au cours des hostilités, deux Dieux Elus tombèrent.
L’affrontement divin qui avait vu la chute de deux Dieux Elus avait grandement affaibli les deux camps. Les Miodirs quittèrent Althéa pour reconstituer leurs forces.
Les Sèudens, qui s’étaient tenus à l’écart des hostilités et des tourments qui venaient de secouer Althéa, ne voyant pas revenir les Dieux Elus, devinrent inquiets.
Ils partirent tous à leur recherche, mais les Miodirs demeuraient introuvables. Cependant, des signes indiquaient que, hormis les deux qui étaient tombés, les autres Dieux Elus étaient toujours en vie : ils accordaient encore leurs pouvoirs à ceux qui suivaient leur voie.
Une secousse ! Ces misérables ont improvisé un bélier plus vite que je ne l’escomptais. Pourvu que la porte résiste encore un peu !
Craignant que les Dieux Elus aient failli à leur tâche et ne viennent plus guider les peuples, trop occupés à mener les hostilités, les Sèudens se décidèrent à intervenir.
C’est ainsi que les Sèudens sortirent de l’oubli et que leurs cultes se répandirent sur Althéa, tels que nous les connaissons de nos jours.
Ca y est. La porte vient de céder dans un fracas épouvantable. Ces misérables investissent mon ultime refuge. Cris, clameurs d’une victoire cruelle. Il me semble déjà entendre leurs pas résonner dans les escaliers.
Ils ne tarderont pas à me découvrir.
Vite, ma fiole !
Utopie et déclin
d’auteur inconnu
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