Les Bois de Sighwen

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Telle une dernière lueur agonisante, le soleil se noyait dans l'horizon lointain, annonçant la venue des ombres sur les terres tortueuses des alentours. Un petit bois sinistre, dont les arbres pétrifiés arboraient des formes sinueuses, se dressait dans toute sa lugubre splendeur sur une petite colline. Les autochtones elfes noirs évitaient cet endroit la nuit, dont on murmurait que les rires d'esprits maléfiques retentissaient parmi les branches griffues à la nuit tombée. Du moins, c'est ce que prétendaient les quelques téméraires qui s'étaient risqués à l'orée...

Pourtant, deux fines silhouettes encapuchonnées apparurent malgré tout, nullement gênés par la pénombre qui s'installait, insidieuse. Elles scrutèrent avec précaution les troncs à l'aspect torturé, que les ombres semblaient doter d'une vie propre, tels des horribles monstres attendant que leur proie passent à la portée de leurs mains squelettiques. La faible lumière des étoiles commençait à perler sur un ciel d'encre noire, faisant apparaître des reflets de peau obsidienne sur les visages ciselés des courageux aventuriers.

- Sorn, c'est folie de s'aventurer dans les Bois de Sighwen à la nuit tombée, commença une voix chuchotante clairement masculine, bien que mal assurée. Tu sais très bien que c'est son domaine une fois que les lunes se sont levées...

- Silence ! L'interloqué était bien plus autoritaire et assuré que son compagnon, mais il restait malgré tout aux aguets. Ne me dis pas que tu as peur d'une stupide luciole impertinente, comme tous ces pleutres du village ! Imagine tout ce que nous gagnerons si nous parvenons à l'attraper. Et puis, si on en croit ces idioties de superstitions, elle ne sort que la nuit."

Comme pour souligner ses paroles, l'elfe noir dégaina son épée dans un long crissement métallique. Il fixait obstinément la gueule béante hérissée de dents sylvestres, comme s'il la défiait de l'avaler.

- Allez, suis-moi, Nareth. Ce n'est pas quelques bouts de bois qui vont nous faire peur, et encore moins un insecte puéril qui fait des étincelles ! Hel sourit aux audacieux ! Sur cette dernière tirade, Sorn s'engouffra en son sein, l'arme au clair.

- Et Agnar les accueille en son royaume, compléta son comparse avant d'emboîter le pas, cherchant le réconfort dans la poignée de sa propre lame.

Marchant avec prudence, les deux elfes noirs jetaient des regards de tous les côtés, couvrant leur périmètre avec l'expérience de ceux qui ont bravé les dangers de Ganareth. Un vent lugubre commença étrangement à souffler, laissant s'échapper une longue plainte à travers toute la forêt, comme si les arbres eux-mêmes donnaient un sombre avertissement au duo d'intrus qui se raidirent sur place.

- Sorn, je n'aime pas ça...

- Oh, arrête un peu de faire ton haut elfe ! Ce n'est rien d'autre que...

Soudain, un petit rire crystallin jaillit de tous les côtés, l'interrompant dans sa remontrance. Alors que les deux téméraires se mirent dos à dos, scrutant nerveusement les alentours, une voix enfantine se fit entendre, chantonnant sur un ton étrangement surnaturel...

Deux Elfes noirs se promènent dans mes bois,
Oh comme c'est gentil à eux !
Bientôt ils tomberont tout en bas,
Oh mes compagnons de jeu !


- Sorn !, appela Nareth quelque peu paniqué. Le bois semblait tourner tout autour d'eux, des visages grimaçant apparaissant sur les troncs alors que des branches acérées semblaient battre l'air à quelques centimètres de leurs nuque.

- Du calme ! C'est juste une saloperie de luciole ! Ne te laisse pas abuser !

Quelque chose de griffu arracha un morceau de tissu du premier aventurier, dont l'instinct l'avait fait esquiver quelques secondes avant que le coup ne porte. C'était comme si la forêt entière leur devenait hostile en un instant, alors qu'une tempête d'attaques floues se déchaîna contre eux, les faisant reculer de leurs positions alors qu'ils agitaient en vain leurs armes pour tenter de repousser un ennemi insaisissable.

Soudain, le sol se déroba sous leurs pieds. Nareth fut plus agile ou chanceux que son compagnon et réussit à sauter de côté sur la terre ferme. Ce dernier disparut dans un trou sombre, poussant un cri abominable pendant de longues minutes alors que le vent soufflait de plus belle, portant une autre chanson agrémentée de ce même petit rire.

Les deux ont reculé,
Oh, quelle mauvaise idée !
Le premier est tombé,
Voilà ce qui est arrivé !
Le voilà tout empalé !


Empli d'une terreur grandissante, Nareth n'attendit guère plus pour tourner les talons et s'enfuit aussi vite que ses jambes pouvaient le porter. Mais plus il courrait, plus les bois se faisaient denses et menaçant, et ce rire ! Ce rire incessant le poursuivait sans relâche, jusqu'à ce qu'il ne sache plus s'il l'entendait réellement ou s'il l'imaginait dans son esprit affolé. Soudain, le chemin se ferma à lui, les formes autour de lui se firent plus menaçantes, plus pressantes. Regardant autour de lui, l'elfe noir réalisa dans toute son horreur qu'il était pris au piège ! La forêt s'était refermée sur lui et il ne s'en échapperait pas !

Un long hurlement de peur mêlé de désespoir retentit longuement dans l'atmosphère sinistre, suivi rapidement de cris d'agonie persistants, pour finalement laisser place au silence de la nuit maîtresse.

Le corps mutilé de l'aventurier était cloué à un vieux chêne pétrifié, percé de milles échardes de taille variable, les yeux crevés et la bouche grande ouverte. Son sang s'écoulait encore, abreuvant le sol de la forêt, pendant qu'un petit rire perçait à travers la brise environnante. Sighwen la fée était juchée sur la branche du vénérable arbre, s'amusant encore des merveilleux tours qu'elle venait de jouer à ses défunts visiteurs. Quel dommage qu'il en venait si peu ! Peut-être devrait-elle aller chercher ailleurs de nouvelles victimes pour ses sinistres farces...mais cette dernière pensée se chassa bien vite de son esprit espiègle, et elle s'envola en entamant un petit refrain enfantin, laissant derrière elle le cadavre de l'infortuné elfe.

Deux Elfes Noirs sont dans mes bois,
Oh, comme c'est gentil à eux !
Ils venaient pour jouer avec moi,
Oh, comme j'ai exaucé leurs voeux !



****

Enfants, n'allez pas les bois
Car Sighwen pourrait être là
Si par malheur vous la rencontrez
Avec la Mort vous allez jouer
Alors là je suis étonné, histoire très bien écrite et histoire originale, mais quelque peu gore !

Au début on peut croire que les deux elfes noirs sont les héros de cette histoire, en fait ce sont les victimes, vraiment bien écrit, bravo!

De plus j'adore les petits psaumes :

Citation :
Les deux ont reculé,
Oh, quelle mauvaise idée !
Le premier est tombé,
Voilà ce qui est arrivé !
Le voilà tout empalé !
!
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