L’air condensé du marais était lourd d’humidité. Les gouttelettes d’eau s’aggloméraient sur la cape du Siabra, et, tout en marchant, il les regardait perler jusqu’au sol boueux. Là où l’atmosphère et la terre était un obstacle, l’Unseelie évoluait sans aucune difficulté, comme si, depuis toujours, il avait connu les moindres recoins de cet enfer.
La Cité n’était plus très loin. Déjà, le Sidhe voyait les premières tours, faite d’un seul bloc de marbre, relique d’un Temps disparu, mais qu’il ne désespérait pas, lui et les siens, de redécouvrir. Ils s’en rapprochaient doucement, mais inéluctablement.
Dans le silence à peine troublé par de furtifs glissements, les gouttes des arbres rachitiques percutant la surface des immenses étendues d’eau, le Siabra repensa à Tara, Tara la Belle qui s’est disloquée lors de la création du Voile, laissant un simple quartier, Tir Na Nog, dans le monde d’Hibernia. Et il rêvait d’en effacer les souillures, faites par les descendants des Fils de Mile, et les Fir Bolgs.
Les gardes le saluèrent, invoquant la Règle, régissant la vie du Peuple Siabra. Il les salua à leur tour, puis passa la première barrière. S’acheminant sur de longues langues de terre noire, évitant les coins d’ombre traîtres dans lesquels croupissaient des dangers aussi mortels qu’inconnus, il songea à ceux qu’ils venaient de voir, les jugeant intérieurement pour la énième fois.
Seraient-ils capables ? A son esprit, leurs visages lui revint. Tantôt crispation de haine, tantôt douceur détrompé par la flamme luisant dans leurs yeux. Leurs mots déférents, leurs courbettes, et la distance craintive qu’ils mettaient entre lui et eux, ne devaient pas le tromper. Seraient-ils prêts à tout ? Avaient-ils conscience de la décadence de la Cour Seelie et de l’inanité du Conseil ?
Les réunions successives, dans un endroit tenu secret, lui avaient permis d’observer chacun d’eux, de sonder leur esprit, de fouiller leurs paroles, si elle n’étaient que miel ou alors pure sincérité.
Il croisa une patrouille de son peuple. Il s’arrêta pour discuter des nouvelles. Quelconques. Il reprit le chemin vers la Tour de la Reine. C’était l’heure du rapport, et il ferait état des avancements de sa tâche. Il lui dirait leurs noms, et ce qu’il attendait, attend et attendrait d’eux.
Un messager manqua de lui rentrer dedans, mais le Sidhe, preste, s’écarta et rattrapa d’une poigne ferme le messager déséquilibré. Confus, ce dernier s’inclina en guise de pardon, puis lui tendit un parchemin cacheté à la cire mêlée de sang. Il parcourut les lignes d’une écriture élégante. Puis, il sourit. Oui, sans doute, ils étaient prêt à tout. Et une lueur froide s’alluma dans son regard carmin.
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