La brume venait de se lever ce matin là sur les collines d’habitude verdoyantes. Pourtant, malgré la douce chaleur de l’astre qui commençait à poindre a l’horizon, les hommes en lourde armure frissonnaient. La terre semblait calcinée, recouverte d’une couche de cendres grises, restes du petit village Sslik qui se trouvait ici il y a de cela a peine quelques jours. On pouvait lire dans le regard des soldats de Dalimond l’horreur qui avait dû se produire ici. Nul n’ignorait en effet a quel point la Horde pouvait être impitoyable, et cruelle. Déjà les responsables de la troupe d’éclaireurs discutaient de la marche a suivre à présent devant les avancées toujours plus profondes de ces morts-vivants.
Pendant ce temps là, les hommes s’occupaient comme ils le pouvaient, fourbus et découragés devant l’ampleur de la tâche à accomplir. Hurin était de ceux là, il astiquait son glaive machinalement, le regard dans le vide, pensant à sa jeune épouse qui l’attendait depuis plus d’un mois maintenant. Il s’était mis un peu à l’écart, pour profiter du maigre ombrage que pouvaient lui apporter les restes brûlés d’un chêne liège. Appuyé contre le tronc, son esprit vagabondant par delà les lieues qu’il avait parcourues depuis qu’il s’était enrôlé. Il ne prêta pas de ce fait attention immédiatement au bruit provenant du corps de l’arbre, mais celui ci finit par éveiller sa curiosité.
Il se fit aider par un camarade pour atteindre la fourche, et aperçut une forme qui bougeait dans le tronc creux. Il plongea alors sa main gantée de cuir a l’intérieur et fut bien étonné lorsqu’il vit ce qu’il avait remonté. Il s’agissait d’un bébé Sslik, enroulé dans une couverture. Le petit lézard, unique rescapé de l’attaque, regardait Hurin d’un air calme, innocent.
Après en avoir avisé son supérieur, il lui fût accordé le droit de le garder, personne ne pouvant se résoudre à l’abandonner, malgré le malaise que provoquait sa présence. Un enfant du malheur, qui plus est Sslik, un «écailleux »...
Et il en fût ainsi durant toute son enfance. En effet jamais Turin ne fût considéré comme les autres enfants de Dalimond parmi lesquels il grandit. Son caractère renfermé n’aida pas a une intégration réussie ; malgré l’amour de ses parents, il fut toujours considéré par les gens de Dalimond comme un intrus, Hurin même subissant les railleries de pratiquement toute la garnison. A l’école, plusieurs fois il fût victime de brimades, qu’il encaissa sans broncher, jusqu’au jour où il riposta violemment à une plaisanterie douteuse concernant son origine ovipare. On le chassa donc de l’école, sous ce prétexte fallacieux de «tendance irrationnelle à la violence corporelle ».
Sa vie devint alors morose, ne trouvant personne à qui parler, les gens l’évitant dans la rue pour ne pas croiser son pas, et les commerçants lui interdisant l’entrée dans leur échoppe. Une seule personne continuait de le saluer d’un sourire chaleureux, Mablung, le maître d’arme de la garnison.
Blessé il y a de ça plusieurs années, celui-ci se contentait de former les jeunes recrues aux principes de base du combat armé. Turin aimait assister à ses séances, perché sur un arbre, buvant littéralement les préceptes qu’essayait d’inculquer ce guerrier expérimenté aux fils des paysans. La nuit il prenait l’épée courte de son père et mettait en pratique les conseils de Mablung contre des ennemis imaginaires.
Un soir qu’il se battait contre un quelconque roi maudit et sa garde dans le jardin de la demeure familiale, il entendit des bruits étranges provenant de la maison du maire adjacente ; s’approchant de la fenêtre, il vit 3 hommes encapuchonnés, en cercle autour d’une chaise à laquelle était attaché le maire, vêtu uniquement de son caleçon long.
Une fureur guerrière s’empara de lui, et il bondit à travers le carreau, l’épée au clair et le regard enflammé. Fort heureusement, sa peau écailleuse le protégea des éclats de verre brisé. Lorsque les silhouettes se retournèrent vers lui, il croisa trois paires d’yeux rouges et les visages émacies de squelettes. Ceux-ci, ricanant par avance de leur victoire certaine, se ruèrent sur lui, dégainant de fines dagues acérées.
Le combat fut rapide, et malgré sa fougue Turin tomba sous leurs coups, non sans avoir décapité l’un d’entre eux d’un coup puissant. Le combat fit suffisamment de bruit pour attirer la garde qui faisait sa patrouille nocturne, ce qui fit fuir les assaillants restant précipitamment.
Le maire fût détaché, et Turin conduit au guérisseur en vitesse, son état laissant présager le pire. Mais là encore sa peau naturelle l’avait bien servi, empêchant tout organe vital d’être endommagé. Malgré la quantité de sang perdue, il se remit en quelques jours, et put quitter le lit.
En récompense de son courage, Mablung lui promit de lui enseigner gratuitement les techniques de combat qu’il connaissait.
Turin était un élève appliqué, endurant, obstiné, dur à la tache, et bientôt il en sût autant que son maître. Avançant en âge, grandissait en lui une rage immense envers les créatures ayant tué ses parents, brûlé son village où il aurait pu mener une existence paisible. Sa mauvaise expérience de l’école et le mépris des humains lui laissant un goût amer, il ne s’engagea pas dans l’armée de l’Empire, mais, bien décidé à se venger, prit son sac a dos, l’arme d’entraînement donnée par son maître et avec les quelques pièces de cuivre économisées durant quelques années, il prit le bateau jusqu’à l’île de Koraelia. Paraîtrait-il que de jeunes aventuriers se retrouvaient la bas, sans distinction de race, un endroit où enfin il pourra retrouver son anonymat, ne plus être «l’enfant du malheur », et s’entraîner pour pouvoir être prêt a défier la Horde, un jour. C’est la bas que tout commença...
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