Je me réveille en sursaut. Encore et toujours ce même cauchemar… Je me vois, les mains rouges du sang des gens que j’aime, un sourire extatique aux lèvres. Le massacre de ma famille me rendant folle de joie, je macule mon visage du fluide écarlate tout en enjambant les corps de mes sœurs. Le monstre que je suis devenue se délecte de ce spectacle.
Je secoue ma tête pour évacuer ces terribles images. A mes côtés, dors paisiblement ma belle Murmures. Je me retiens de la réveiller pour me réfugier dans ses bras et d’y pleurer doucement. Je la laisse dormir… ses nouvelles fonctions l’épuisent. Je me dois de veiller sur son sommeil comme je la protège de nos ennemis le jour. Un sourire naît sur mes lèvres ; ma douce et timide Murmures est devenue ma supérieure hiérarchique. Elle a été nommée officier récemment. Il va falloir que je m’y habitue. Elle a changé et moi aussi.
Je sors nue du lit et je me dirige vers le mannequin qui supporte mon armure sacrée. Je l’examine patiemment :
- Ma vieille amie, toi aussi tu es couverte de cicatrices, murmurai-je. Combien de temps va-t-on encore, ensemble, parcourir ces contrés ? Combien de temps encore aurais-je le courage de combattre et de tuer ceux qui croisent mon chemin ? Combien de fois suis-je tombée au sol et combien de fois la magie de ma femme m’a-t-elle arrachée à la mort ? Mon cœur pour ma Murmures, mon corps pour mes sœurs, telle est ma devise. Je l’ai suivie tout au long de ma vie. Alors pourquoi ces rêves de meurtres ?
J’avance sur le balcon, j’admire les couleurs de l’aurore. Déjà le chapitre s’éveille, les recrues vaquent à leurs corvées matinales. Je les regarde s’activer. Savent-elles vers quel vie elles se dirigent ? Une existence de combat et de tuerie… Combien d’entre elles vont survivre ? Je suis morose. L’étau sombre qui enserre mon âme ne veut pas se dissiper. Le soleil s’est levé. Je commence à entonner la chanson des Morts, la prière à Arawn pour nos sœurs disparues au combat. Ma voix s’élève, d’abord hésitante, mais au fur et à mesure des couplets, elle se fait plus sure, plus forte. La dernière phrase sort de ma bouche et mes lèvres se scellent. Le contact d’un corps chaud me sort de ma transe. Je sens des bras m’enlacer la taille.
- Tu es bien matinale mon amour, me dit Murmures en me serrant contre elle.
- Je n’arrivais plus à dormir et j’avais besoin de réfléchir ma douce.
Elle m’embrasse, puis me relâche. Je la suis dans la chambre.
- Habille-toi ou nous allons être en retard pour la réunion du matin. Tu sais comme moi que nos Matrones détestent ça.
Je rectifie ma position et me mets au garde-à-vous :
- A vos ordres, Madame !
Je n’ai pas le temps d’esquiver l’oreiller qui me percute en pleine face.
- Thana, ne te moques pas de moi, dit-elle en faisant la moue.
- Excuse-moi amour, mais un moment j’ai cru voir mon sergent instructeur me rabrouant car je traînais pour aller à l’exercice. Sauf que lui était moustachu et beaucoup moins séduisant, répondis-je en lui faisant un clin d’œil.
Ce coup ci, j’évite le coussin et les différents objets que Murmures m’envoie à la tête. Enfin, à court de munitions, elle part s’habiller. J’effectue mon rituel en mettant mon armure, une prière à Arawn pour chaque pièce fixée sur mon corps, puis j’attache mon fouet à ma ceinture. Je suis prête à continuer cette guerre éternelle.
En suivant Murmures dans les couloirs, je me mets à sourire. Le voile noir commence à se déchirer. Je sais qui je suis et pourquoi je suis. Je suis Thanadrielle Dragonheart, la Faucheuse d’Ames ! Cela résume mon existence !
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