Chapitre second: Le mage errant raconte
Je savais qu'elle viendrait, j'avais tiré un des fils de son histoire, une des plus curieuses qu'il m'ait été donné de découvrir; je l'avais vu il y'a déjà bien longtemps, mais je ne savais quand. Et là voilà devant moi, j'aperçois sa silhouette drapée de noir, laissant passer un lourd pan de soie écarlate, je ne vois pas ses traits, son visage est masqué par une pèlerine; cette vision est si ancienne, que je pensais qu'elle n'adviendrait jamais, et pourtant.
Curieux destin pour un homme, que de connaître celui des autres; mais je sais tout il en est ainsi, tous ceux qui veulent bien se laisser atteindre; entre deux études de grimoires et manuscrits, je m'offre le miracle de découvrir une infime partie du temps futur, ne me demander pas comment, c'est ma part de secret..
Me voici traversant les forêts à la recherche des herbes ancestrales, dont je me sers quelquefois, pour de multiples expériences qui m'amusent beaucoup. Je plante mon bâton devant moi, pour guider mon chemin, regardant aller et venir mon faucon à mesure que je progresse sur ma route. Arrivé aux abords d'une clairiére, celui-ci vient se poser sur mon épaule, et je sens ses griffes s'enfoncer dans ma chair, je m'arrête brusquement sous la douleur, et là je vois... Je reste un instant, ébahis de stupeur; un ours gigantesque s'approche à pas lourds d'une silhouette luxueusement habillée, mais qui semble terriblement frêle; il grogne et me voilà saisi de peur, bien que connaissant la suite fatalement: La silhouette reste là devant lui, elle se tient sur les genoux, elle repousse sa pèlerine de ses mains gantées, et je vois apparaître une elfe dans toute sa majesté, elle est très maigre et pourtant si lumineuse, sa voix s'élève tandis que l'ours se dresse au-dessus d'elle, je ne comprends que partiellement ce qu'elle dit, cela fait bien longtemps que je n'ai pas entendu cette langue. Elle se tait soudain, et s'affaisse subitement.
Je porte ma main sur ma voix, comme pour étouffer un cri, la voici sans doute évanouie, l'ours repose sa patte sur le sol, pousse un grognement qui a tout du pleure, il approche sa gueule du fin visage inanimé, respire lourdement contre lui, je peux presque percevoir son souffle; pousse doucement le corps sans vie de sa gueule, s'assois promptement, et reste là ne bougeant plus.
J'attends une heure puis deux, puis trois, la faim doit enfin lui tirailler le ventre, il pleure une dernière fois devant le corps, puis s'éloigne de la clairière. Je me faufile alors, mon faucon toujours sur l'épaule jusqu'à la divine elfe, la saisie dans mes bras; elle est aussi légère que la plume, ses poignets vont casser tellement ils sont fins; et l'emporte dans mon antre, ma demeure d'exil loin des regards familiers. Je la dépose doucement sur une couche, elle n'a toujours pas reprit ses esprits, mais j'entends battre son cœur, je vais chercher un linge, de l'eau fraîche au puits en grommelant un peu car mon dos me fait souffrir, et je commence la longue veillée.
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