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Toc, toc ! Bonjour ! Je me présente, je m’appelle Gibo. Non ! Ne dites rien, je sais, on me l’a souvent dit, ce n’est pas un nom courant. Mais que voulez-vous, c’est le mien alors je le garde.
J’ai très peu de choses à moi, alors celles que j’ai, je les garde, je les bichonne, je les aime, de temps en temps je leur parle aussi...
Mais pas à toutes, par exemple à mon nom, je ne lui parle jamais ! De toute façon, il ne me répondrait pas, il fait partie de moi, donc il me connaît, je n’ai rien à lui apprendre et lui, tout ce qu’il peut faire pour moi, c’est de me rappeler comment je me nomme. C’est d’ailleurs sa fonction principale. Tout dans cet univers à une fonction principale, c’est ce que je me dis toujours.
J’habite dans un monde qui bouge tout le temps, il n’arrête pas de changer d’apparence, de forme, de couleurs. En fait mon monde est à la fois grand et petit... Ce n’est pas facile à expliquer.
J’aime le visiter tous les jours, à chaque fois, il me semble différent; mais à certains moments, je préfère rester chez moi, une toute petite pièce avec juste deux petites fenêtres.
Là par contre, le paysage est toujours le même, tout blanc. D’aussi loin que je me souvienne, le paysage devant mes fenêtres à toujours était tout blanc.
Quand je reste chez moi, c’est généralement parce que je ne me sens pas en état de bouger, je me sens apathique et faible. Alors, je dors, je n’ai même pas la force de penser.
Parfois, j’entends des voix dehors, mais je n’arrive pas à comprendre ce qu’elles disent... De toute façon, ce n’est pas mes affaires et puis elles ne m’intéressent pas. Je crois qu’une fois, elles parlaient de ma maison, mais comme je l’ai déjà dit, cela ne m’intéresse pas, alors je ferme mes volets pour avoir la paix et je dors. Et dès que la fatigue me quitte, je repars me promener.
L’autre jour, en me baladant, j’ai rencontré quelqu’un. C’est banal, me direz-vous ! Bin, pour moi, c’est plutôt exceptionnel...
Non ! En fait, c’est vrai, je vois beaucoup de monde lors de mes vagabondages, mais je fais rarement des rencontres comme celle la...
Ce jour-là, je flânais tranquillement au bord d’un cours d’eau quand tout à coup une petite voix s’éleva et dit :
« - Eh ! Toi ! Tu ne peux pas faire attention ! »
Sur le moment, je n’ai pas réagi que l’on s’adressait à moi, aussi ai-je continué mon chemin. Après tout, les histoires des autres ne m’intéressent pas ! Alors la petite voix derrière moi reprit :
« - C’est ça ! Marches moi sur les pieds et va-t’en comme si de rien n’était ! »
« Là par contre » , me dis-je, « cette histoire te concerne, c’est bien à toi que l’on parle... »
Mais en me retournant, je ne vis personne, où que je tourne la tête, j’étais seul.
« - Ce n’est pas parce que tu es plus grand que moi, que tu dois faire comme si tu ne me voyais pas ! », m’interpella de nouveau la voix fluette...
Et c’est en baissant les yeux que je la vis, assise par terre.
« - Excusez-moi ! » dis-je en bafouillant, « J’étais accaparé par tant de beauté que je ne vous avais pas vue. Je le regrette d’ailleurs amèrement.
- Moui ! De belles paroles, tout ça !
- Non ! Je vous assure, je suis confus.
- Je vous crois... Dites, ça ne vous dérangerez pas de vous asseoir quelques minutes à côté de moi pour bavarder ? J’ai si peu l’occasion de parler à quelqu’un...
- Je vous dois bien ça, si cela peut me faire pardonner ! »
Je m’asseyais à côté d’elle, dans l’herbe épaisse. J’étais heureux que l’on s’intéresse à moi. D’habitude, on me croisait sans un regard...
« - Je ne vous ai jamais vu par ici, vous habitez dans le coin ? » reprit-elle.
« - Non, c’est vrai, je n’étais jamais venu ici auparavant. Quant à l’endroit où j’habite, il est bien loin. Mais pardonnez mon incorrection, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Gibo.
- Enchantée Gibo, moi c’est Villina.
- C’est charmant ! Et surtout peu courant !
- Peut-être dans le coin d’où vous venez, mais ici, c’est plutôt commun.
- Au fait, je ne vous ai pas fait trop mal tout à l’heure ? Je suis vraiment désolé, je ne m’en étais pas aperçu.
- Mais non, gros bêta ! En fait vous ne m’avez même pas effleurée ! », dit-elle en riant, « C’était simplement un prétexte pour vous adresser la parole. Je vous demande de me pardonner...
- C’est un comble ! » répliquais-je en feignant d’être offusqué.
Je ne pus garder mon sérieux plus de quelques secondes devant son air attristé.
Nous avons éclaté de rire ensemble, une amitié venait de naître. Cette amitié fait maintenant partie du peu de choses que je possède et que je chéris tendrement. Mais à cette amitié, non plus, je ne peux pas parler quand je suis seul, car sa seule fonction est de me rappeler que quelque part, une petite Villina pense à moi...
Et en parlant de Villina, ça me fait penser que je ne vous ai pas raconté la suite de notre rencontre.
Nous avons bavardé longtemps tout les deux, elle, me racontant sa vie, ses espoirs et ses peines, moi lui contant mes voyages et mes rêves.
Ensuite je me rappelle seulement m’être endormi à côté d’elle, allongé dans l’herbe soyeuse, caressé par la bise rafraîchissante.
Quand je me suis réveillé, j’étais chez moi, dans ma petite maison à deux fenêtres.
Chaque fois que je pars en promenade, c’est pareil, je m’assoupis quelque part et je me réveille ici, chez moi. Bah ! Après tout, cela n’a que peu d’importance; j’ai ramené avec moi deux nouvelles choses merveilleuses : le souvenir et l’amitié de Villina. Pour moi, c’est suffisant, savoir comment je suis revenu ne m’intéresse pas.
Ce qui est bien, c’est que maintenant que je connais Villina, je la rencontre souvent pendant mes sorties. Chaque fois que l’on se voit, on a mille trucs à se raconter !
Par contre, il m’arrive aussi de faire des mauvaises rencontres.
Un jour, je me baladais tranquillement sur une route qui ressemblait à un de ces petits chemins de compagne bordés d’arbres et de bancs, quand de loin je vis une sorte de grand portail. Je m’approchais, pensant découvrir derrière un magnifique château ou même une de ces belles villas, comme celles dans les magazines et qui font rêver...
Au moment où j’allais atteindre la grille, une espèce de molosse se mit à vociférer contre moi. Je n’ai pas compris ce qu’il disait, mais à la façon dont il s’agitait, je compris qu’il ne valait mieux pas que je m’approche. Bien après que j’eus tourné les talons, ce fou-furieux continua encore d’aboyer et de maugréer contre moi. Je ne risque pas de l’oublier lui, il me fait penser à un immense gorille blanc à poil raz.
Plus tard je racontais ma mésaventure à Villina. Elle me dit qu’elle aussi avait eu affaire avec lui, et qu’en fait il était le gardien du « territoire extérieur » et qu’il devait empêcher quiconque de franchir la frontière si l’on n’était pas muni d’un sauf-conduit. Du moins me semble-t-il...
Car des fois j’ai du mal à comprendre Villina, on dirait qu’elle parle le même langage que les voix que j’entends autour de ma maison.
Un jour, elle a essayé de m’apprendre ce langage, de m’expliquer de quoi ces voix parlaient, mais j’ai eu du mal à suivre...
Quelques mots me reviennent à la mémoire, si vous les comprenez, c’est tant mieux pour vous, moi de toute façon, ça ne m’intéresse pas et puis d’ailleurs ce ne sont pas mes affaires.
Oui ! Je disais donc qu’elle m’a parlé de gens se faisant appeler « Médecins » et que le monde où nous habitions portait le nom « d’Asile ».
Mais cela ne m’intéresse pas, je préfère parler de mes voyages avec Villina, ma petite chatte noire...
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