Chapitre 6
Peu à peu, Abrak se remit à respirer plus calmement et plus régulièrement. Aussitôt, la douleur accablant ses muscles, provisoirement atténuée par l'urgence, se raviva. Mais il avait beaucoup à faire avant de se délasser. Tout d'abord, il devait se nourrir. Cela faisait près de vingt-quatre heures qu'il n'avait ni bu ni mangé.
Il pansa comme il put ses mains à vif, arrachant à sa tunique une bande de tissu qu'il déchira en deux. Ensuite, il recueillit dans ses paumes l'eau qui coulait le long de la roche contre laquelle il avait pris appui. Sa soif en partie étanchée, il s'éloigna de la paroi et s'ausculta. Il n'avait aucun os cassé ni aucune blessure grave, à l'exception d'une contraction musculaire au côté gauche, souvenir de sa blessure de la veille.
Il observa les environs. Personne ne semblait le poursuivre, mais les Roublards avaient sûrement assisté à sa dégringolade le long du promontoire et à sa traversée périlleuse du pont en ruine. Ils n'avaient peut-être pas remarqué qu'il s'en était tiré - ils pensaient même sûrement le contraire - mais Abrak ne pouvait écarter la possibilité qu'on organisât des recherches, ne serait-ce que pour retrouver son corps. Les Roublards voudraient être certains d'avoir tué le mentor de leurs ennemis jurés.
Et au même instant, blessé au cou, titubant, Gaby Smisse se tenait au sommet de la tour, à la fois troublé et heureux, croyant que son dernier adversaire, Abrak Mohom, venait de périr dans les montagnes. Un corbac apparut, un papier sur le bout de sa patte. Un message lui avait été envoyé.
- Des nouvelles de Alacapone je suppose, dit-il à ses hommes.
Il arracha le papier et renvoya le corbac dans les airs. Son cœur se serra. Un des roublards le rejoignit :
- Capitaine Smisse ? s'inquiéta-t-il.
- Alacapone a été exécuté à Bonta... Il s'est fait capturer... La Moufia est démantelée.
Un corbac survola la tour avant de regagner le ciel. Abrak le vit. Puis, il considéra le flanc de la montagne qui se dressait devant lui. Il avait tout intérêt à l'escalader plutôt qu'à emprunter le sentier : d'une, il ne savait pas où ce dernier menait, et de deux, le passage était trop étroit pour parer une éventuelle attaque. La voie avait l'air impraticable. Avec un peu de chance, il y trouverait même quelques poches de neige lui permettant d'étancher sa soif. Il se secoua et se mit en route en maugréant.
Il était soulagé de porter des vêtements noirs lui permettant de se fondre au roc gris le long duquel il grimpait. Au début, les prises étaient nombreuses. De temps à autre, il s'étirait sans que ses muscles protestaient. Une roche à laquelle il s'était accroché éclata entre ses doigts, et il manqua de s'abîmer trente mètres plus bas, au point de départ de son ascension. Le pire, c'était l'eau qui lui tombait constamment sur le visage. Mais c'était également une aubaine. Certes, elle rendait la roche glissante, mais cet écoulement régulier indiquait, plus haut, la présence d'un ruisseau. D'un ru, à tout le moins.
Au bout d'une heure et demie d'escalade, Abrak parvint au sommet de ce qui se trouva être à-pic plutôt que la montagne à laquelle il s'était attendu. Le sol sur lequel il se hissa était plat et tapissé de touffes d'herbes sèches et éparses. Il s'agissait d'une sorte de haut plateau désertique flanqué de deux parois de roches d'un noir grisâtre et ouvert vers l'ouest. Du moins, Abrak le devinait-il. Son regard ne portait pas si loin. À sa connaissance, il se trouvait dans un défilé qui tombait dans le vide côté est, là d'où il arrivait. Peut-être un tremblement de terre avait-il, en son temps, creusé la dépression qu'il avait escaladée ? Et, plus bas encore, le précipice dans lequel le pont s'était écroulé ?
Abrak se hâta d'aller en reconnaissance le long d'une des parois de la vallée encaissée. Qui disait "défilé" disait "eau". Et qui disait "eau" disait "habitants". Arrivé à flanc de montagne, il se mit à couvert pendant une bonne demi-heure avant de s'aventurer plus loin. Il secoua ses muscles pour les réchauffer. Cette inactivité soudaine les avait ankylosés. Il était trempé et il avait froid. Il ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps à l'extérieur. C'était beau d'avoir échappé aux Roublards à la solde de la Moufia, mais s'il succombait à la rudesse de la nature, tous ses efforts auraient été vains.
Il se rapprocha du ruisseau, qu'il repéra au bruit de l'eau, s'accroupit et but tant qu'il put - sans néanmoins se gaver - avant de remonter le courant. Peu à peu, des broussailles apparurent sur les berges. Lorsque Abrak atteignit un taillis malingre qui poussait auprès d'une petite retenue d'eau, il s'y arrêta. C'eût été un miracle que cet endroit abrite la vie, si loin du village massé au pied du château d'Harebourg. Il ne s'attendait pas à trouver ici le moindre animal comestible. Pourtant, le petit bassin le laissait présager la présence de poissons.
Il s'agenouilla pour sonder les profondeurs de l'eau sombre. Aussi immobile qu'un héron, il s'efforça de rester patient. Soudain, il aperçut une vaguelette timide qui disparut à peine eut-elle troublé la surface. Abrak en eut le coeur net : il y avait bien de la vie là dedans. Il continua de surveiller l'onde. Des moskitos survolaient la marre. Ils se mirent à le harceler, attirés par sa chaleur corporelle, mais il ne voulait pas prendre le risque de gesticuler pour les éloigner. Il subit avec stoïcisme leurs chatouillis pénibles et leurs agaçantes et minuscules piqures.
Enfin, il aperçut le poisson. Son corps potelé avait la couleur d'un cadavre. Il nageait à moins de quinze centimètres de la surface. Abrak n'en avait pas espéré autant. La bête ressemblait à une carpe, ou à un spécimen solitaire. Abrak se figea, toujours à l'affût. Un deuxième poisson, beaucoup plus sombre, rejoignit le premier. Puis un troisième, dont les écailles étaient cuivrées.
Abrak attendit patiemment qu'ils fassent ce qu'il attendait d'eux, à savoir percer la surface de leurs gueules pour avaler de l'air. C'était le moment qu'il choisirait pour passer à l'attaque. Tous les sens en alerte, il tendit les muscles et raffermit ses doigts.
Le poisson foncé monta vers lui. Des bulles firent éruption de l'eau au moment où sa bouche grasse apparut.
Abrak bondit.
Et retomba presque aussitôt en arrière, euphorique. Le poisson frétillait entre ses doigts, incapable de se libérer. Il le posa au sol, à côté de lui, et le tua d'un net coup de pierre. Il n'avait pas les moyens de le cuire. Il devrait le manger cru. Le sang de la bête tapissait le sol, et dégoulinait dans la marre où celui-ci vivait. Il contempla alors la caillasse qu'il avait utilisée pour mettre à mort l'animal et repensa à l'éclat de roche qui avait cédé sous ses doigts pendant l'escalade. Des silex ! Avec un peu de chance, il serait capable de faire un feu pour sécher ses vêtements plus que pour cuir le poisson. Il n'appréciait moins d'être trempé que de manger du poisson cru - d'autant que c'est le plat que les Wakapérimés dégustent le jour du premier aperirel -. Quant à la lueur des flammes, il était prêt à prendre le risque de se faire repérer. D'après ce qu'il avait vu, il était sûrement le premier homme à fouler ce haut plateau depuis des millénaires. Et ses gigantesques falaises latérales dérobaient sûrement Abrak à la vue de tous, à des kilomètres à la ronde.
Il ramassa quelques brindilles qui jonchaient le taillis et parvint, au bout de plusieurs tentatives, à extraire une minuscule lueur rougeâtre d'une poignée d'herbes sèches qu'il plaça avec précaution sous le petit dais de bois sec qu'il avait préparé. Ce faisant, il se brûla : le feu avait pris aussitôt. Les flammes étaient vives. Seule s'en élevait une fine fumerolle, immédiatement dissipée par le vent.
Pour la première fois depuis qu'il était arrivé en vue du village enseveli, Abrak apprit à sourire.
Pour aller plus vite, et en dépit du froid, il ôta ses vêtements et les fit sécher sur des montants confectionnés à partir de branchages rudimentaires, tandis que le poisson cuisait et crépitait sur un tournebroche artisanal. Moins d'une heure plus tard, Abrak éteignit le feu à coup de pieds et dispersa les braises. Relativement rassasié, il trouva la force d'endosser ses vêtements, qui, s'ils n'auraient pas fait illusion face à une tenue propre lavée en bonne et due forme, étaient suffisamment tièdes et secs pour être portés sans gêne. Ils finiraient de sécher sur lui. Quant à son épuisement, il allait devoir tenir en lice encore un moment. Il avait déjà résisté à la tentation de s'assoupir près du feu, au bord de ce bassin. Une lutte qui valait bien toutes celles de son périple. Mais ces efforts n'avaient pas été vains : Abrak avait gagné un second souffle.
Il se sentait prêt à retourner au château. D'une part, il avait besoin de son équipement. D'autre part, s'il voulait accomplir sa mission, il devait percer les secrets ensevelis dans les entrailles de la Citadelle pour récupérer le Dofus des Glaces avant les Roublards.
Il revint sur ses pas et repéra, peu avant de regagner la falaise qu'il avait escaladée, le chemin grimpant le long de la paroi rocheuse qui fermait la vallée, au sud. Qui avait taillé ce sentier ? Des hommes d'un autre âge ? Abrak n'avait pas le loisir de s'appesantir sur la question. Simplement reconnaissant de son existence, il emprunta donc la sente abrupte en direction de la citadelle.
Au bout d'un dénivelé de près de cent cinquante mètres, le chemin déboucha sur un promontoire étroit. Quelques pierres de fondations trahissaient l'existence d'une ancienne tour de garde, du haut de laquelle des vigies d'antan scrutaient les environs pour prévenir le village enseveli de l'arrivée d'une armée ou d'une caravane. À ses pieds, tournée vers l'est, s'étendait la gigantesque forteresse, tout en murailles vertigineuses et en tours coiffées de coupoles. Abrak se concentra, et ses yeux, aussi perçants que ceux d'un Salbatros, repérèrent les détails qui l'aideraient à rebrousser chemin.
Loin en contrebas, il distingua une passerelle de corde tendue sur le même précipice qu'il avait franchi grâce au pont de pierres. Elle était surveillée par un poste de garde.
Malheureusement, il ne semblait pas y avoir d'autre façon d'accéder au château, de l'endroit où il se trouvait. Le passage remontant vers la forteresse était relativement sûr, mais la voie descendant de l'ancienne tour de garde jusqu'au précipice était beaucoup plus périlleuse : en plus de n'être qu'un pierrier noir, suffisamment accidenté pour effrayer le plus agile des bouftous, il était, de surcroît, dans le champ de vision des vigies postées en face.
Abrak observa la position du soleil. Il venait tout juste de passer son zinith. L'Ermite calcula ce qu'il lui faudrait quatre ou cinq heures pour atteindre le château. Il devait absolument profiter du crépuscule pour y pénétrer.
Il dévala péniblement le promontoire et entreprit sa descente. Il y alla doucement. Il prit soin de ne déloger aucune roche susceptible de dégringoler le long de la pente et d'alerter les Roublards qui gardaient la passerelle. L'opération était délicate, mais Abrak avait un atout : il évoluait à contre-jour. Le soleil couchant aveuglait les soldats postés en contrebas. Lorsque l'astre du jour aurait disparu, Abrak serait déjà parvenu au bas de la pente.
Il atteignit enfin un affleurement rocheux et s'y mit à couvert. Il n'était guère plus qu'à cinquante mètres de l'extrémité occidentale de la passerelle. Il faisait plus froid et le vent se levait. Le pont - de simples cordes asphaltées maintenant quelques planches étroites - oscillait en grinçant. Abrak observa les Roublards. Ils allaient et venaient entre le poste de garde et le bord de la falaise, et s'ils faisaient les cent pas de leur côté du précipice, ils ne s'aventuraient jamais sur la passerelle. Ils étaient armés d'épées et d'arbalètes.
La lumière était blafarde et rasante, désormais. Abrak avait plus de mal à estimer les distances. Mais le crépuscule était à son avantage. Grâce à lui, il se confondait avec son environnement. Telle une ombre, à quatre pattes, il se rapprocha du pont. Malheureusement, dès qu'il aurait mis le pied dessus, il serait entièrement à découvert. Et il n'avait pas d'arme.
Abrak s'arrêta à trois mètres du gouffre et observa les soldats. Il constata avec soulagement qu'ils avaient l'air frigorifiés et blasés. Parfait. Ils ne seraient pas sur le qui-vive. Rien n'avait changé, à une exception près : on avait allumé une lanterne à l'intérieur du poste de garde. Les deux sentinelles qu'il voyait n'étaient donc pas seules.
Il avait besoin d'une arme. Lors de sa descente, il s'était tellement concentré pour ne déchausser aucune roche qu'il n'avait pas pensé à s'en procurer une. Mais il n'avait pas oublié que la montagne regorgeait de silex. Il trouva de nombreux éclats à ses pieds, scintillant dans la lumière blême. Il repéra un spécimen d'environ trente centimètres de long sur cinq de large et s'en empara avec empressement. Trop d'empressement : les pierres adjacentes s'entrechoquèrent. Il se figea, mais les soldats ne réagirent pas. Le pont mesurait un peu moins de trente mètres. Abrak pouvait aisément en franchir la moitié avant que les sentinelles le remarquent. Mais il devait se décider vite. Il rassembla ses forces, se leva et s'élança en avant.
Une fois sur le pont, sa tâche se corsa. La passerelle oscillait et craquait de façon inquiétante. Le vent avait forci. Pour garder l'équilibre, Abrak devait s'agripper aux cordes, et cela lui coûtait un temps précieux. Au même moment, un hurlement de rage retentit au sein de la forteresse, et parvint jusqu'à ses oreilles. Il reconnut le timbre du capitaine roublard Gaby Smisse. Avait-il découvert qu'Abrak était toujours vivant ? Et aussitôt, les gardes le repérèrent. Ils lui lancèrent quelques injures en guise de défi, ce qui lui permit de temporiser, mais lorsqu'ils comprirent qu'il ne s'arrêtait pas, ils s'emparèrent de leurs arbalètes et de leurs pistolets roublards, les armèrent, et se mirent à titer. Trois sentinelles firent irruption du poste de garde. Leurs arcs étaient déjà bandés.
Dans la lumière faiblissante, elles eurent du mal à viser, mais leurs tirs n'en demeuraient pas moins d'une grande précision. Abrak fut obligé de se baisser et d'esquiver bon an mal an cette pluie de carreaux et de flèches. À mi-chemin, une vieille planche se brisa net sous son poids et son pied passa à travers. Il parvint à le retirer avant que sa jambe verse dans le vide. Jiva merci. Sinon, il était fait. Il eut la chance d'éviter presque tous les projectiles. Seule une balle lui frôla le cou, éclair brûlant, avant de déchirer le dos de sa capuche.
Ils avaient cessé de tirer, désormais. Ils s'affairent à autre chose. Abrak s'efforça de mieux voir.
Des treuils !
La passerelle était retenue par des poulies, dans lesquelles pouvait coulisser une longueur confortable de corde. Et les sentinelles s'apprêtaient justement à desserrer le mécanisme pour baisser le pont rudimentaire. Lorsque Abrak aurait fait un plongeon mortel dans l'abîme, il leur suffirait de le relever.
Merde, pensa Abrak en courant tant bien que mal. Deux fois dans la même journée ! Il n'avait plus que quatre mètres à franchir lorsque le pont se déroba sous ses pieds. L'Ermite s'élança dans les airs, atterrit sur un roublard, en assomma un autre et plongea son silex dans le cou du premier. Il essaya de dégager aussitôt son arme improvisée, mais elle s'était brisée : elle avait dû buter contre un os. Abrak reprit son équilibre, fit volte-face, souleva légèrement le deuxième garde qui ne s'était pas remis de l'impact, dégaina furtivement son épée et la retourna pour embrocher la sentinelle désarmée. Du sang gicla, beaucoup trop de sang. Le sol en était couvert. Quel massacre. Le dos de sa victime était intégralement percée, on pouvait même voir certains organes. Abrak mima du dégoût avant de revenir à la réalité des choses.
Les trois autres soldats avaient abandonné leurs arcs et tiré leurs épées. Ils acculèrent Abrak au gouffre. L'Ermite réfléchit vite. Il n'avait pas vu d'autre roublard dans les parages. Et personne n'avait sonné l'alarme. Il devait se débarrasser de ces trois hommes et s'introduire dans le château avant qu'on s'aperçoive de quoi que ce soit. Non seulement ces nouvelles sentinelles semblaient robustes, mais elles étaient fraîches et disposes : ce n'était pas leur quart.
Tout en soupesant l'épée qu'il avait en main, Abrak jaugea ses adversaires. Etait-ce de la peur qu'il décelait dans leurs yeux ? Que pouvaient-ils bien craindre ?
- Espèce de chienchien Bontarien ! cracha l'un d'entre eux. (Mais sa voix tremblait.) Tu as dû frayer avec Rushu et autres démons !
- Si Rushu et autres démons avaient besoin d'associés, c'est sur vous qu'ils auraient jeté leur dévolu ! aboya Abrak en les chargeant.
S'ils le pensaient investi d'une puissance surnaturelle comme la légende à son sujet le raconte, Abrak pouvait en tirer parti. Mais, sans ses masques, sa puissance était amoindrie.
Ils le cernèrent en l'assaillant de jurons tonitruants. Il devait les abattre au plus vite pour les réduire au silence. Leurs coups étaient désordonnés et imprécis. Il eut vite fait de les achever. Ses bottes gisaient dans une marre de sang. Il traîna leurs cadavres jusqu'au poste de garde, mais il n'avait pas le temps de relever le pont. Sans compter que la tâche était impossible pour un seul homme. Il envisagea un moment d'échanger ses vêtements avec ceux d'une des sentinelles, mais l'opération lui aurait fait perdre un temps précieux, d'autant qu'ils étaient peints de sang et souillés de déchirures liés au combat. Il devait profiter du crépuscule.
Abrak emprunta le sentier menant au château. Heureusement, l'édifice baignait quasiment dans l'obscurité. De ce fait, l'Ermite arriva indemne au pied des murailles aveugles. Le soleil était presque couché : on ne distinguait plus, à l'ouest, qu'une faible lueur rouge voilée par les pics et reliefs. Glacial, le vent lui mordait la peau. La forteresse était une véritable antiquité : ses pierres désormais irrégulières offraient une multitude de prises au grimpeur expérimenté. Tout en se remémorant des plans de la citadelle qu'il avait étudiés lorsqu'il devait affronter le Comte Harebourg et l'empêcher d'utiliser le Dofus des Glaces à ses desseins chimériques, Abrak invoqua le peu d'énergie qui lui restait et commença son ascension. Encore trente mètres et il franchirait l'enceinte extérieure. Ensuite, il savait où se trouvaient les portes qui donnaient accès à l'enceinte intérieure, ses tourelles et son donjon.
L'escalade s'avéra plus laborieuse qu'il l'avait imaginé. Ses bras et ses jambes étaient un supplice. Il aurait tout donné pour profiter d'un instrument qui lui aurait permis d'étendre son allonge, de s'accrocher aux moindres aspérités et d'assurer ses prises. Malgré tout, il fit appel à toute sa volonté et continua à grimper. Enfin, lorsque le soleil mourant disparut derrière les remparts de la montagne, cédant la place aux premières étoiles blêmes, Abrak bascula par-dessus les créneaux de l'enceinte extérieure, et atterrit quelques centimètres plus bas, sur le chemin de ronde de la courtine. De chaque côté, à quarante mètres de sa position, se dressaient deux tours d'angle. Heureusement, les sentinelles étaient penchées vers l'extérieur et regardaient le poste de garde en contrebas, d'où parvenaient des geignements distincts. Abrak contempla le donjon. Ils avaient sûrement placé son nécessaire - la précieuse sacoche contenant ses armes - dans la salle d'armes située en dessous. Il repensa d'ailleurs au Comte Harebourg, dont sa présence ne fut jamais évoquée par les envahisseurs roublards. Il repensa alors à ces apparitions qui venaient et disparaissaient... Serait-ce...?
Il se laissa tomber de la courtine à même le sol. Ensuite, à la faveur de l'obscurité, il se dirigea furtivement sur la gauche. Il savait comment pénétrer dans le sous-sol du donjon.
Fin chapitre 6