[Récit]Le jeu débute.

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Le soleil déclinant se reflétait dans les vitres ébréchées de la maison abandonnée, située non loin des ruines de Lordaeron. Ici et là, quelques gnolls Poil-putride solitaires arpentaient les landes de Tirisfal, à la recherches de pauvres âmes égarées. Au premier étage de la bâtisse, un couple étrange était assis l'un face à l'autre, uniquement séparé par une table qui avait visiblement connu de meilleurs jours. Tous deux avaient eu bien des noms, selon les mondes sur lesquels ils avaient occupé une partie de leur temps, mais aucun n'y avait prêté assez d'attention pour se les remémorer tous. A quoi bon. Il n'y avait pas là matière à s'en inquiéter. La vie n'était qu'un jeu et ils se targuaient d'y ajouter leurs petites touches personnelles avec un plaisir indéniable. Et changer de nom comme certains changeaient de sous-vêtements n'était là qu'une pièce de plus au puzzle de leur existence.

Lui, visage plus émacié qu'un Réprouvé, regard vide, costume élimé et haut-de-forme sans âge, avait une silhouette squelettique mais dégageait néanmoins un indéfinissable danger, pour peu qu'on osait l'approcher d'un peu trop près. Elle, enfant ingénu à la peau diaphane, dont les yeux acérés et le verbe haut trahissaient une expérience démesurée, s'apprêtant comme une petite poupée choyée par sa maîtresse mais qui avait le cœur aussi froid et sec qu'un hiver rigoureux. Chacun avait trouvé en l'autre son miroir et ils déambulaient de monde en monde depuis des siècles pour en contempler les sempiternelles évolutions. Chaque fois, ils espéraient apercevoir quelque chose de neuf et, chaque fois, ils repartaient déçus. Si chacune des nombreuses races qu'ils avaient côtoyé au cours de leurs nombreuses péripéties avaient chacune leurs spécificité, aucune d'entre elles ne trouvait grâce, à leurs yeux.

Alors qu'ils s'observaient en chiens de faïence depuis de longues minutes, ce fut elle qui daigna rompre le pesant silence.


- Azeroth. Cela sonne étrangement, comme nom.

- Pas plus que Althéa, Féérune ou Norrath. De toute manière, cela n'a aucune importance, puisque nous n'en aurons que faire une fois que nous partirons ailleurs.

Elle mima une moue boudeuse. Ce qui adoucit le visage généralement neutre de son alter ego. D'une voix plus guillerette, il tenta de se montrer plus avenant.

- Je sais bien que tu aimerais quelque chose de plus... chantant, mais tu sais bien que nous n'y pouvons rien si ceux qui choisissent les noms de leurs univers n'ont pas autant de goût que toi, mon cœur.

Ces paroles raisonnées semblèrent faire mouche dans l'esprit de son interlocutrice et cette dernière sembla se détendre, même si elle ne put retenir quelques inintelligibles réflexions pour montrer qu'elle désapprouvait qu'on puisse avoir aussi peu de bon sens pour décider d'une telle appellation. Un sourire se dessina sur son petit minois, tandis qu'elle posait sèchement ses deux mains sur la table.

- Cessons tout cela. As-tu choisi ton camp?

- Bien sûr.

- Ne me fais pas languir, tu sais que je déteste cela.

- Oui. Mais cela m'amuse.

- N'as-tu point honte de me faire souffrir?

- Pas plus que toi quand il s'agit de ma vieille carcasse.

- Je te hais.

- Pas autant que je t'aime, très chère. Bon, veux-tu que je te révèle qui, de l'Alliance ou de la Horde, comme ils se plaisent à appeler leurs factions par ici, je vais choisir mes pions?

- Je le désire ardemment.

- Très bien. Mais tu avais déjà ta petite idée, n'est-ce pas?

- Nous n'avons que très peu de secrets, l'un envers l'autre. J'imagine que tu as choisi la Horde...

- Ton imagination ne te fait guère défaut. Je les trouve plus... intéressants que ces insipides races qui composent l'Alliance.

- Pourtant, ils recèlent bien des trésors, pour qui sait chercher.

- Tu sais que je ne tiens pas plus que cela à perdre mon temps. Et puis, j'ai toujours éprouvé une certaine affection pour les morts-vivants. Ils ont su se jouer de la non-existence et je les admire, pour cela.

- Puisqu'il en est ainsi, il peut désormais apparaître.

Un léger bourdonnement se mit à résonner dans la petite pièce et des volutes de fumée montèrent le long des pieds de la table pour venir se concentrer entre les deux protagonistes. Prenant peu à peu consistance, un échiquier finement ciselé et brillant de mille feux apparut peu à peu. Elle battit des mains à la vue de l'objet et lui la couva du regard, comme un père le ferait pour sa petite protégée. Ils étaient aussi intimement liés à cette aire de jeu qu'ils l'étaient l'un envers l'autre. Ils n'avaient pas d'autre raison d'exister. D'un geste lent, il leva un doigt.

- J'ai choisi mon premier pion.

- Chic. Et qui est-il?

- Il se nomme Oggrak Brise-Terre. Un jeune chaman orc. J'aime bien son air supérieur et son admiration sans borne envers un dénommé Thrall, un ancien chef de guerre de son peuple. Il est prometteur.

Une petite statuette d'ébène se forma sur l'échiquier. On pouvait y deviner la forme probable du dénommé Oggrak et celle-ci vint se placer docilement vers lui.

- A moi. Je te présente Ewaelle Valleryn, une vulgaire humaine, mais à l'esprit guerrier. Elle pourrait un jour être plus forte que toi, si elle finit par trouver son chemin parmi ses indécisions.

Ce fut au tour d'une figurine d'ivoire de venir s'ajouter à quelques centimètres d'elle, face à son futur adversaire, mais néanmoins âme-sœur. Chacun éprouvait des picotements à chaque fois qu'ils pratiquaient ce petit rituel de présentation, prélude à la partie qui s'annonçait. De loin, c'était cet instant qu'ils préféraient tous deux.

- Voici Dothraki, un de ces imposants taurens. Au nom de celle qu'il désigne comme la Terre-Mère, il cherche à se gagner un nom en chassant un trophée qui trouvera une place parmi les plus illustres trophées de son peuple. Y arrivera-t-il? Moi-même l'ignore.

- Petit par la taille mais bien plus grand par la passion qu'il voue à sa Lumière, je t'offre Grigg Martelroc. Bien qu'il soit un prêtre dévoué à sa cause, il n'en demeure pas moins nain. Aussi est-il capable de tenir tête à n'importe quel membre des autres peuples en matière d'ingestion de bières aussi diverses que variées.

- De cela, mon troisième pion n'en a cure. Je t'ai déjà dit que j'affectionnais les morts-vivants? Voici un Réprouvé qui te donneras certainement fort à faire. Si Vistil a complètement assumé son nouveau statut, il n'a pour autant pas renoncé à ses obscures recherches. Il ne désespère pas un jour pouvoir contrôler un des puissants Seigneur de l'Effroi. Folie des grandeurs, quand tu nous tiens...

- Pas mal, pas mal, mon cher. Mais si tu as ton petit préféré, j'ai aussi la mienne. Elle a pour nom Myllaëne Vivebrume et a la Nature pour vocation. Adepte de l'équilibre, elle sera sans nul doute une elfe de la nuit acharnée à le défendre toutes griffes dehors ou becs et ongles, suivant la forme qu'elle choisira de prendre.

- Joli brin de fille. Non, ne me regarde pas comme ça, tu sais bien que je n'ai de yeux que pour toi. Nous en arrivons donc à notre quatrième pièce. La mienne est peut-être une lointaine cousine de ta protégée. Car, vois-tu Kyriaelle Mante-Soleil est une elfe de sang. Des talents belliqueux alliés à une vocation sans faille: tel est la voie qu'elle a choisi. Et j'espère sincèrement qu'elle deviendra une fière paladine. Ou qu'elle meure dignement en s'y essayant.

- Je reconnais bien là ta bienveillante sollicitude. Mais sache que je compte parmi mes atouts Vyrnas une adepte de la magie profane qui, de plus, est draeneï. Cette exilée est bien déterminée à fournir son aide pour redonner un semblant de lustre à son peuple déchu, quitte à se brûler les ailes.

- Puisqu'il faut une fin à tout, mon petit dernier n'est peut-être qu'un gobelin mais il a tout pour ne pas plaire. Il est tellement persuadé d'être le plus beau qu'il est prêt à planter un de ses nombreux coutelas dans le dos de celui ou celle qui prétendrait le contraire. Et quand on sait qu'il affectionne particulièrement les poisons à effet lent, nul doute que le silence est parfois salutaire. Tel est Mixispiglik.

- Althinéa y trouverait à y redire, malgré tout. Même si la malédiction des worgens l'afflige, elle n'a en rien oublié les années passées dans des ruelles sombres, à voler tout ce qui pouvait l'être. Désormais, elle passe son temps à vouloir prouver qu'elle est plus qu'une bête féroce, et met ses maigres talents au service de SA justice. Il se peut parfois qu'elle flirte avec les limites de la légalité. Mais du moment que personne ne s'en aperçoit, ce n'est pas un crime.

D'une seule voix, ils entamèrent la dernière phase du rituel.

- Nos cinq pièces maîtresses sont donc en place. Que viennent s'ajouter celles qui accompagneront leur long chemin vers la victoire ou la défaite.

Posant chacun leurs yeux sur les dix petites sculptures désormais présentes, cinq noires et cinq blanches, les deux êtres en contemplèrent religieusement les contours. Satisfaits, ils firent apparaître le reste de leurs pièces. Puis il prit la parole.

- Pour cette partie, comment te prénommeras-tu?

- Maëra. Je crois que cela me siéra aisément.

- Je le pense aussi.

- Et toi, comment devrais-je t'appeler?

- Kerrek. C'est un charmant palindrome.

- J'en conviens.

- Si tout est prêt, qu'attendons-nous pour débuter le grand jeu?

- Un dernier baiser avant la confrontation?

- Tu aurais toujours su gagner mon cœur, si j'en avais un jour eu un.

Il se leva et vint l'étreindre, comme on enveloppe un vase fragile, par peur de le briser si jamais on venait à le serrer trop fort. Désormais, il n'y aurait plus de place pour ce genre d'effusion, car le duel qui allait débuter n'en laisserait pas l'occasion. Ainsi étaient-ils faits. Ainsi avaient-ils été créés. Ainsi était leur destin. Et ils s'en accommodaient bien.

Dernière modification par Kyriane ; 07/11/2011 à 16h55.
J'ai apprécié aussi! Le début où tu ne comprends rien, ça me rappelle des séries (de romans ou de tv) vraiment bien.

Juste une partie qui fait, je trouve, u peu tache, c'est 'Aussi est-il capable de tenir tête à n'importe quel membre des autres peuples en matière d'ingestion de bières aussi diverses que variées.', ça a un peu cassé l''ambiance' que tu avais créé d'un seul coup. J'aurai aimé autre chose, quelque chose de plus triste, qui colle mieux avec le reste.
Merci pour ces commentaires.

Pour la remarque, je conçois que la courte description concernant Grigg, mon personnage nain, puisse différer un peu du reste du texte, mais dans mon imaginaire, il est sans doute le moins "torturé" de l'ensemble de mon équipe, aussi, j'ai voulu équilibrer un peu les choses. Après, rien n'est jamais parfait... pas même moi (même qu'on me le dit souvent).

Bon jeu à tous les deux.
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