20 - Sur le champ
Comme un seul homme, la horde tonnerre s’était en effet lancée à l’attaque. Harad’Urk, tel un général machiavélique avait placé ses troupes dans un ordre bien précis. Alignés en fer de lance, les gobelins étaient menés par les trolls qui formaient la pointe, tandis que les ailes, sensées contourner les soldats d’Ultar de HautMont après l’impact pour les prendre en tenailles étaient elles formées d’un mélange hétéroclite d’orques, de gnolls et de gobelins.
La charge des monstres faisait trembler la terre sous les pieds des courageux humains. Ces derniers patientaient, l’arme à la main et la peur au ventre, mais dans tous les regards on pouvait lire la détermination et la volonté de vaincre.
Les lourds nuages noirs qui s’en étaient allés quelques jours auparavant étaient déjà de retour, chargé de pluie et de menaces. Alors que les monstres, hurlants et bavant s’avançaient toujours plus vite, une nuée de flèche assombrit encore plus le ciel et vinrent s’abattre, tel un essaim de guêpes, sur les premiers rangs gobelins, semant la mort et faisant gicler les premiers sangs. Dans son courroux, le ciel ne voulu pas être en reste et déversa sur la plaine de nouveaux torrents d’eau. Cette pluie purificatrice vint instantanément diluer le sang versé et pénétra rapidement dans la terre, transformant la lande en un immense champ de boue.
Puis le choc eut lieu.
A leur grande surprise, les trolls ne frappèrent pas les soldats qui, sous une suggestion de Torn s’étaient tous poussés sur les côtés pour reformer leur rang immédiatement après le passage des monstres et affronter des ennemis plus aisés à tuer. Torn, Ultar, Tarek, Guert et Arinyä affrontèrent seuls les immondes créatures.
Le véritable choc eut lieu lorsque les gobelins entrèrent enfin au contact des hommes. L’acier frappa l’acier, le cuir, le bois et la chair. Des membres furent sectionnés et des combattants tués sur le coup, mais la bataille faisait rage désormais, et seule la mort pouvait y mettre fin.
Comme prévu, la horde d’Harad encercla les humains et ce fut dans une semi-pénombre à peine éclairée par le scintillement des armes et de la foudre qui tombait par intermittence que les combats se déroulèrent. Les gobelins, en surnombre, repoussaient petit à petit les hommes vers le centre, là où les trolls donnaient du fil à retordre à Tarek et ses compagnons. Cinq spécimens des marais et un des cavernes semaient mort et destruction au cœur même de la bataille. Fume Torgniole était maintenant à pied d’œuvre, et sa hache chantait inlassablement, de droite puis de gauche, sectionnant une jambe, un bras ou une tête chaque fois que l’occasion se présentait. Tarek lui, affrontait le troll des cavernes et lui portait de vicieux coups avant d’esquiver promptement ceux plus lent du monstre. C’était celui-là qui, dès les premières minutes de la bataille avait assommé d’un violent revers Ultar de HautMont, défonçant son armure et l’envoyant voler à plusieurs mètres de là. Tarek n’avait pas eut le loisir de s’enquérir de l’état de son vieil ami car la créature s’était retournée contre lui. De son côté, Guert Himvald faisait montre d’une hargne telle que deux trolls gisaient déjà à ses pieds, tentant de se recomposer doucement pendant que le soldat affrontait un troisième adversaire. Torn vint à sa rescousse après avoir lui-même abattu deux créatures, et les deux combattants se sourirent mutuellement avant de se lancer à l’assaut du monstre.
Plus loin, Arinyä avait soigneusement planté devant elle plusieurs flèches, et chaque fois qu’un troll tombait elle enflammait un projectile et visait la cible en prenant tout son temps. Le feu seul pouvait détruire ces créatures, et c’est la tâche qui lui incombait. A chaque fois qu’un morceau de troll tombait à terre, elle faisait mouche, s’interrompant de temps à autre pour abattre quelque gobelin trop empressé à manger de l’elfe.
De nombreux morts jonchaient maintenant le champ de bataille, et pourtant les combats ne faiblissaient pas. C’est alors qu’Harad’Urk décida d’entrer en lice. Il se fraya un chemin parmi les combattants pour fondre sur Tarek qui venait d’abattre son troll des cavernes. Alerté par le soudain silence qui s’était fait autour de lui, l’humain se retourna vivement pour se retrouver nez à nez avec le puissant demi-orque qui brandissait une large épée à deux mains.
Et un nouveau combat s’engagea. Le premier choc des lames paralysa un instant le bras de Tarek qui parvint néanmoins à parer les coups suivants en utilisant la même technique que contre le troll. Hélas Harad’Urk n’était pas aussi lent que son troll. Il alliait magnifiquement puissance et vélocité. La force de ses coups déstabilisait Tarek qui ployait sous l’avalanche. Torn et Guert veillaient sur les arrières de leur ami, tuant tout gobelin qui aurait tenté de prendre l’humain à revers.
Plus loin, deux formes encapuchonnées se frayèrent un chemin parmi les cadavres pour venir s’agenouiller près du corps d’Ultar de HautMont. Le vieil homme ouvrit les yeux et découvrit le doux visage de sa fille, baigné par la pluie qui ruisselait sur ses joues comme l’aurait fait un torrent de larmes. Mais elle ne pleurait pas. Elle souriait !
- Bel… Belfalas ?
- Oui père, c’est moi. Vous souffrez ? J’en suis navrée. Mais laissez-moi vous présenter mon VRAI père !
- Melkon ? C’est toi vil serpent ?
- Ultar, tu n’as pas l’air en grande forme dis-moi. Peut-être est-ce là l’ultime revers de la médaille. Tu m’as volé ma fiancée et tu as pris ma fille, maintenant tu payes !
- Tu l’avais violé immonde sorcier, elle ne voulait plus de toi ! Comment aurais-je pu deviner qu’elle était enceinte ? Et même l’ayant su, je ne te l’aurais pas confiée… argggggh !
- Ne meure pas Ultar, car c’est de ma main que la mort viendra te prendre ! Melkon prépara alors un sortilège en murmurant une incantation qui allait crescendo, couvrant petit à petit les bruits de la bataille. Mais à l’ultime moment, alors que la boule de feu s’était matérialisé dans ses mains levées haut au-dessus de sa tête, les traits du magicien se figèrent et sa voix se tut. Une flèche s’était enfoncée dans sa cage thoracique, disparaissant jusqu’aux pennes. La boule de feu explosa dans ses mains, faisant se volatiliser toute la partie supérieure du corps du sorcier.
Les flammes ayant disparues, Belfalas se releva, abasourdie. Melkon n’était plus. Son vrai père avait disparu ! Elle tourna la tête pour trouver l’impudent qui avait osé tirer et aperçut, non loin de là, debout sur le sommet d’une petite colline, Arinyä, l’arc à la main, les cheveux au vent, droite et fière sous l’orage.
Une haine froide et implacable s’empara de l’humaine qui dégaina lentement son épée et s’avança parmi les combattants en regardant fixement Arinyä qui avait calmement posé son arc pour s’emparer d’une épée courte.
Les deux femmes se retrouvèrent isolée au sommet de la petite colline, et le ciel, pour souligner leur beauté sauvage, écarta les nuages pour ne laisser passer que quelques rayons d’un pâle soleil qui éclairaient leurs chevelures opposées. L’ange blonde et la brune démoniaque s’affrontèrent d’abord du regard, puis Belfalas passa soudain à l’attaque. Frappant de taille et d’estoc, l’humaine enchaînait les bottes et mettait toute sa rage dans le combat. L’elfe, plus habituée au maniement de l’arc long parait et évitait la lame meurtrière de son adversaire mais ne cédait pas un pouce de terrain.
En bas de la Butte, Tarek affrontait Harad’Urk dans un violent combat d’une toute autre envergure. Là, la finesse cédait le pas à la brutalité et à la sauvagerie. Les deux épées s’entrechoquaient à une vitesse hallucinante, créant à chaque impact un véritable feu d’artifice d’étincelles. L’humain compensait sa moindre force par son agilité hors pair qui lui permettait de faire jeu égal avec le monstre. Pourtant, dans ce combat singulier, Tarek n’avait que peu de chances de vaincre. L’artefact qui ceignait le poignet du demi-orque brillait d’une inquiétante lumière, et son porteur ne semblait pas atteint par la fatigue, alors que Tarek lui suait sang et eau.
La fin inéluctable sembla s’approcher à grands pas lorsque Harad’Urk abattit sa lourde lame sur l’épée de Tarek et brisa net cette dernière, laissant son porteur dans l’attente du coup fatal.
Mais le coup ne vint pas.
Torn, qui n’avait cessé de combattre près des duellistes pour protéger les flans de son ami fut averti par Guert Himvald qui ferraillait près de lui que Tarek était en mauvaise posture. La hache du nain vola dans les airs avec l’espoir de sectionner le bras qui portait l’épée meurtrière, mais elle s’écrasa contre l’étrange bracelet noir de l’orque. La pierre éclata sous l’impact, et une violente onde de choc parcourue le champ de bataille.
La magie de l’artefact n’était plus. Disparue en une seconde, la force et la cohésion de la horde tonnerre s’étaient envolées avec elle, laissant les gobelins désemparés et affolés. Tarek profita d’un instant d’hésitation d’Harad pour lui planter ce qu’il restait de son épée dans le cou, sectionnant une artère et mettant ainsi fin à la vie du demi-orque dans un horrible borborygme sanguinolent.
Voyant le chef de la horde abattu, les soldats de HautMont reprirent courage, et, reprenant un ancien chant Cormyrien, ils se lancèrent à l’attaque. Les gobelins, dépourvus de force et de cohésion ne résistèrent pas longtemps à l’ardeur nouvelle qui animait le bras de leurs ennemis, et en l’espace d’une heure, tous furent massacrés sans autre forme de procès.
La mort planait sur la lande, pourtant le silence d’après bataille était encore brisé par deux lames qui s’entrechoquaient toujours et encore au sommet d’une colline…
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