Chaque fois que je vois "La Tour de Babel" de Bruegel les mêmes sensations reviennent. Je pense à cette vanité humaine, puérile. Atteindre Dieu en touchant le ciel… Pourquoi ne pas creuser le sol jusqu'à arriver en enfer aussi?
Quand aux anges déchus… Nous en sommes peut être finalement. Nous monstres sanglants aux crocs luisants et aux corps morts. Seul le soleil purificateur peut nous apporter la paix. Condamnés à errer sur terre au milieu de notre pitance vivante. Grands prédateurs des hommes. Rapaces de nuit, se fondant dans la foule comme si de rien n'était, loups dans une si vaste bergerie.
Je ne ressens que pitié, je ne suis que pitié. Ma colère naît de cette pitié, se nourrissant encore et encore. Vers qui? Vers quoi? Je ne sais pas, tout ce qui me semble adéquat au moment où elle arrive. Cela peut être une mère criant sur son enfant, un voyou agressant quelqu'un, un proxénète, ou la simple vue d'une religieuse.
Cette colère salvatrice, sentiment exacerbé comme nous seuls pouvons en avoir. Dévastatrice, ne laissant sur sa route que des cadavres exsangues. Je me plait à m'imaginer Ange de la Mort. Que Dieu m'a choisi pour cette unique raison, que j'arpente la terre depuis si longtemps pour ça.
Je méprise ces vampires qui se disent satanistes, qui disent œuvrer pour le Malin. Il est lui-même une de Ses créations finalement… Mais après tout si ça leur chante de tuer des nouveaux nés, des enfants bien éduqués, des couples heureux… Ils n'en sont que plus pitoyables dans leur jalousie maladive.
A part ne pas voir le jour qu'avant nous de moins? Rien. J'ai pu étudier des populations, des courants religieux, littéraires, musicaux… Des peintres. J'ai côtoyé dans l'ombre des auteurs, j'ai vu leur misère…. Comment peut on jalouser les humains? Non les prendre en pitié est déjà un pas vers la rédemption.
Décidément cette toile de Bruegel m'offre la possibilité d'avoir des pensées positives au final… Elle calme ma colère. Je devrai en voler une copie un jour… Cela irait bien au dessus de mon cercueil.
Après la fermeture du musée à 22h00…
Promenade dans un cloître, une idée que je n'avais pas eue depuis des siècles. Je sens la piété suinter au travers de chacun de ces murs ancestraux. Elle coule le long des pierres comme une eau pure. Je sens le vice aussi, l'un va toujours avec l'autre. L'un ne peut aller sans l'autre, simple équilibre naturel.
Un banc de pierre, je m'y assois, faisant fi de la pluie qui ruisselle sur mes vêtements trempés, et sur mes cheveux. Je lève les yeux vers ce ciel sans lumière, passant les mains sensuellement sur la pierre froide.
Cela doit être lassant de toujours me lire bavasser sur la religion. Mais, tout comme les sentiments, c'est un sujet important pour nous autres vampires.
Un sujet obscur, plein de mystères. Même si je m'intéresse à la science et à ses progrès, je ne peux m'empêcher d'être croyante, je ne peux m'empêche de vouloir croire en quelque chose de Supérieur, quelque chose qui expliquerait notre existence, sinon pourquoi serions nous ici?
Etude poussée à travers la visite des églises, à travers la lecture des livres saints. Je ne connais pas la bible par cœur, loin de moi cette idée saugrenue… L'étude des sentiments se rapproche terriblement de la religion. Nous sommes débordants de sentiments, nos humeurs (comme il était dit de façon assez amusante à une époque) varient comme le temps. Nous ne sommes ni particulièrement sanguins ni bilieux non… Juste que nous avons la possibilité de goûter à tout ça de façon plus profonde. Nous ne pouvons plus avoir de plaisir physique, sexuel je veux dire. Le seul moyen de ressentir l'orgasme est par le biais du sang d'une autre personne comme je le fais régulièrement mais c'est assez frustrant…
Je me demande si ce n'est pas pour pallier à tout ça que nous ressentons tant d'émotions. Enfin je m'égare… Je n'étais pas venue ici pour divaguer sur des sujets maintes et maintes fois répétés.
Il faut que je quitte ce banc pour entrer au sein du monastère. Dans une cellule une jeune nonne souffre, il est grand temps que je la délivre de ses tourments… Si tout se passe bien, la discussion devrait être fort intéressante…
On ne m'entend pas dans les couloirs, c'est normal. Je me fais aussi discrète qu'une légère brise laissée par une porte entrouverte Je ne sais trop vers où aller dans ce vaste dédale. Je me fie à mon odorat et à l'aura qui se dégage de chaque cellule...
Ça y est, je la ressens. Agglutinée dans un coin, le portrait du Christ entre ses doigts crispés. On dirait une vieille femme déjà. Que lui arrive t'il? Elle a prononcé ses vœux il y a peu pourtant…
Je rentre doucement, laissant ma présence se faire sentir. L'eau dégouline sur la pierre dure du sol, semblable à celle du banc. Une minuscule mare se forme à mes pieds. Une seule bougie éclaire la pièce austère.
Je ne vois qu'une étagère remplie de livres usés par le temps. Un lit spartiate, au confort… quel confort d'ailleurs? Un coffre de bois sculpté. Je me croirai revenue au Moyen Âge. Je déglutis péniblement en m'asseyant à côté d'elle, mon manteau trempé reposant sur une chaise de paille.
Elle me regarde avec étonnement, Arielle, prénom étrange pour ce siècle. Mais délicieux. Je passe ma main dans ses cheveux, avec douceur, réconfortante dans ma monstruosité. Je regarde ses yeux perdus qui contemplent un vide intérieur. Elle a perdu sa Foi. Notre rencontre au détour d'une rue n'y a pas été pour rien… Je l'avais abandonné quand elle était petite fille, lui laissant les sous pour que son éducation soit complète, une simple photographie en souvenir.
Je n'aurai pas dû la laisser me voir me nourrir, la laisser voir la noirceur humaine, la laisser voir sa "mère". J'aurai dû la laisser dans son monde illuminé, si proche de Dieu en étant si jeune… 17 ans… Tant d'années encore devant elle.
J'aimerai qu'elle connaisse un jour un homme ou une femme, que son corps s'éveille… J'aimerai qu'elle ne voie pas que les murs si petits de ce monastère. Qu'elle ne s'enlaidisse pas au profit de cette beauté intérieure qu'est la spiritualité religieuse…
Je la prends dans mes bras doucement, la soulevant du sol, l'empêchant de rester prostrée. Le portrait tombe au sol. Arielle, ma belle Arielle, regarde moi oui. Regarde moi comme ton Ange sauveur. Tu verras des merveilles dans ce 19ème siècle. Tu vivras comme une reine. Avec Aidan et moi. Mon bébé, ma fille…