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* Cybèle repartit vers Dryart. La plage de sable fin. Les couleurs ocres du soir et les vagues de chaleur remontant du sol vous réchauffaient alors que la nuit tombait accompagnée de sa fraîcheur nocturne. Le bruit du ressac et des vagues venant mourir inlassablement à ses pieds. Tout cela concourrait a la laisser rêveuse, les sabots enfouis dans la dune, la petite tablette de bois sur les genoux la plume qui semblait douée d'une vie propre, mue simplement par la brise qui poussait sur sa barbe blanche ou par la main qui transmettait les impulsions magiques sur le vélin. *
* Bientôt. Bientôt cela sera terminé et alors commencera la vraie vie. Encore un effort petite plume, il nous reste encore une tâche a terminer ... Allons file, trace, dessine et guide ma main encore une fois ... *
" ... Nous sommes resté là, prostrés, durant un temps infini. Moi le visage dans la boue rouge, le gamin a genoux n'osant plus crier, n'arrivant pas à pleurer, le menton pendant et les yeux écarquillés.
J'ai détaillé chacun des visages de ceux empalés de face dont la tête pendait en arrière. De ceux empalés de dos qui y avaient été projeté par la foule.
Ylina, Phryst, Teloum, Alanielle, Cobalt, le petit "Tête de Pioche" comme l'appelait sa mère, Soulihian dans les bras de qui j'avais dormi enfant, ... je pourrais citer encore chaque nom car je revois chacun de ces visages, ici, maintenant ...
Sans doute est-ce le grondement qui me sortit de ma stupéfaction et de l'apathie qui m'avait frappée. Le grondement sourd et la vibration qui l'accompagnait.
Ces chocs sourds, ce flux d'onde comme un long frisson qui pulsait dans le sol et remontait le long de mon corps pour le faire vibrer et me faire claquer des dents.
Je me décidais enfin a me relever. J'étais dans un épais nuage de coton mais quelque chose m'ordonnait de me lever. De sortir. De prendre le gamin et enfin de voir ce qu'était le monde du ... dehors.
Je n'ai pas souvenir d'avoir même essayé d'ôter la boue maculée de sang qui me couvrait, de ces moments je garde le souvenir de la petite main dans la mienne qui était si chaude. Si chaude ...
Nous avons essayé de contourné les pieux ou gisaient nos pairs mais cela était impossible. Trop serrés, trop de cadavres nous barraient la route, alors nous avons rampés en dessous. A plat ventre dans la fange putride qui commençait a empester la mort nous avons rampé. contournant les pieux ou les pattes pendantes puis, une fois de l'autre côtés, une fois relevé, nous nous sommes retournés pour leur dire au revoir, peut être, ou simplement pour voir une dernière fois ces visages qui représentaient à la fois notre clan, notre passé et la jonction avec notre avenir.
Nous remontions lentement la pente de la dernière galerie quand mon sabot heurta un morceau de métal. Une hache de bataille. Enorme. Je m'en saisit sans trop savoir pourquoi en fait. Elle était lourde, trop sans doute pour moi, mais le contact du métal et l'image de l'arme me rassurait.
A une ou deux reprise des bruits étranges, de ces cliquetis macabres que faisaient les squelettes nous forcèrent a nous plaquer dans l'ombre le long de la paroi. Mais rien ... personne.
La première chose qui me frappa, qui reste encore et a jamais gravé dans ma mémoire est une odeur. Une brise fraîche, des senteurs d'herbe, de pollens et de mille autres odeurs que portait la brise de la nuit.
Nous sommes sortis de la galerie sans rencontrer qui ou quoi que ce fut.
Au dehors les étoiles brillaient sur une nuit claire. Au loin des feux brûlaient lançant des halos jaune au ciel et faisant naître des fantômes éphémères des arbres tordus de la zone corrompue.
Tout était étrangement calme. nous sommes resté ainsi blottis l'un contre l'autre pendant plusieurs heures à regarder la voûte étoilée, a épier les bruits des rongeurs, le vol d'un oiseau de nuit ou d'autres bruits que je n'arrivais pas à définir. Assis et blottis, comme deux idiots, à la porte de leur geôle, ne sachant en fait quoi faire de cette "liberté" nouvelle. Etre "libre" quand on est née esclave qu'est-ce en fait ?
La suite des évènements s'enchaîna trop brusquement.
Passant d'un état léthargique à une subite accélération qui me fit suivre les choses comme un bateau sans voile porté par un courant capricieux.
A nouveau la terre se mit a trembler. Une sorte de "cavalcade" désordonnée résonnait en échos sourds et vibrants. Puis vinrent ces mugissements, ces cris fantomatiques qu'accompagnaient le bruit métallique d'armes ou d'armures d'une armée en mouvement. Les bruits semblaient venir de nul part et de partout a la fois. quelque chose changeait dans l'air. quelque chose d'imperceptible et qui pourtant me remplissait d'angoisse.
Le son d'une corne hurlante et un cri puissant me firent sursauter. La voix si elle était lointaine n'en sonnait pas moins claire.
" Chaaaargeeeeeeeez ! "
Je me levais d'un bond. Attrapant le gamin entre mes bras j'hésitais un instant sur la direction vers laquelle courir. Mon coeur battait la chamade et pulsait en cadences sourdes à mes oreilles. Je n'arrivais plus a respirer.
Mes yeux furent attirés vers le ciel. Il devenait plus clair mais ce n'est pas cela qui d'abord me frappa mais une ombre gigantesque et monstrueuse qui passait au dessus de moi. J'écarquillais les yeux pour m'apercevoir que ce n'était pas une seule forme mais plutôt des centaines de formes ailées et immenses qui passaient au dessus de nous en rangs serrés. Je sais aujourd'hui ce que sont les Dragons mais c'était là la première fois que j'en voyais et je vis plus là, alors, un présage effrayant.
C'est a ce moment là, je crois, que le temps s'est emballé, que les évènements se sont précipités dans un désordre et un chaos indescriptible, tout du moins pour moi. Mes souvenirs ne sont plus que des images nettes ou floues ponctués de sensations.
Je me souviens avoir regardé l'horizon. Mes yeux y étaient attirés comme l'éphémère vers la lumière ...
La lumière ...
Le jour se levait ...
Vision sublime que ce halo doré orné de couronnes de feu et des couleurs naissantes du monde pour des yeux qui ne l'avait jamais effleuré.
Le premier rayon de soleil apparu crevant la toile de la nuit et se courbant pour soulever l'aube.
Puis la douleur ...
Atroce brûlure sur des pupilles que la vie depuis la naissance avait contrainte a la noirceur des tunnels.
J'avais beau fermé les yeux la lumière trop forte perçait mes paupières comme autant de dards chauffés a blanc. Comme de longs poignards qu'un Dieu Fou se serait amusé a me vriller dans les yeux.
J'entendis juste le gosse hurler de douleur. Une main plaquée sur mes yeux. Les dents serrés. Je l'empoignait et tentait de reculer vers la nuit salvatrice du tunnel. Mon sabot heurta une pierre et je basculais en arrière. Me relevant je repris ma retraite puis ce fut le choc.
Quelque chose me heurta si violemment que je fut projetée sur le coté. Je crois bien alors que je perdis connaissance car je me réveillais posé comme un vulgaire sac de patates sur l'épaule d'un géant. Les yeux toujours fermé, sentant toujours la cruelle lumière s'infiltrer à travers mes paupières closes.
Il me ballotta ainsi de longues minutes. Parfois son pas s'accélérait, parfois il ralentissait ou s'arrêtait. Tournait sur lui même pour regarder je ne sais quoi derrière lui puis reprenait sa route après avoir réajuster le "sac" que j'étais sur son épaule.
Je m'étais attendue a être jeté au sol a un moment ou à un autre mais il m'y déposa avec précaution. Dans une zone suffisamment bien ombragée pour que mes yeux ne subissent plus l'affreuse brûlure. La peur vissée au ventre je n'osais plus bouger et me laissait poser sans réagir. Il me secoua un peu par l'épaule, sembla hésiter puis me mit se qu'il supposait sûrement être une petite claque mais qui faillit bien m'assommer pour le coup. Il marmonna quelque chose puis son pas s'éloigna rapidement.
Quelques secondes encore et je me risquais a entrouvrir les paupières, tout autant effrayée a l'idée d'affronter de nouveau la trop vive clarté que de voir le visage du géant que j'avais supposé être un sbire des maléfiques.
La lumière filtrée par le feuillage de l'arbre, était devenue assez douce. Plus de géant à l'horizon. Plus de mines. Plus de ...
Je me levais alors d'un bond. Le gosse ? je tournais sur moi même à la recherche d'un indice et puis, contournant l'arbre je vis une forme sous une épaisse couverture de laine le recouvrant tout entier. Je m'approchais et retirais doucement la couverture. C'était lui. Il souriait étrangement et ses yeux étaient si fixes ... J'ôtais le reste de ce qui le couvrait pour vérifier ce que je redoutais. Sa chemise de lin couverte de sang a demi séché était déchirée la ou un carreaux d'arbalète avait du se ficher. Je posais ma main doucement sur son visage et, sans qu'une larme ne veuille coulée malgré ma gorge serrée lui dit au revoir et qu'il serait bien à présent, sous le vert feuillage de Bachan.
Je n'avais même pas eu le temps de lui demander son nom.
L'esprit complètement embrouillé par tant de chose, cette ... "liberté", ce paysage qui s'ouvrait devant moi au fur et a mesure que mes yeux s'accoutumaient à la lumière, cet air, ces odeurs, ... tout cela était trop et m'assaillait avec tant de force que je titubais, me pris la tête entre les mains pour essayer de retrouver un peu de calme et essayer de faire le point. tout simplement essayer de comprendre, plus simplement de savoir ce que j'allais faire a présent.
Je restais ainsi de longues minutes sans pour autant trouver d'explication à quoi que ce soit, pas plus que de but ou d'une idée de ce que je devais faire.
J'en étais encore à ces réflexions quand les bruits de bataille refirent surface. Faibles d'abord puis grandissant à chaque instant. Fracas d'arme et d'armure, sifflement de corde, de carreaux et de flèche. Je sortais de ma rêverie pour en chercher la provenance et, la curiosité poussant je remontait la petite colline derrière laquelle semblait venir ces bruits. Arriver en haut je m'accroupis dans les hautes herbes et, le coeur pris entre la peur et l'excitation restait un longs moments a contempler les yeux écarquillés la scène qui se déroulait a présent à quelques centaines de mètre en contrebas.
Du haut des monts de l'Ouest se déversaient dans la plaine des vagues grouillantes de formes squelettiques et brinquebalantes, d'animaux étranges, de zombies oubliant parfois sur le chemin un pied ou un morceau de main, au dessus flottaient des formes fantomatiques hurlant des sons qui se répercutaient sur les pentes pour venir vous arracher les tympans.
Plus bas au creux de la vallée montaient une tout aussi étrange cohorte formée aux premiers rangs par des demi-géants et aux côtés desquels couraient des plus petits. Des nains sans doute de ce que je pouvais me souvenirs des histoires que les Satyrs se racontaient. Les puissants géants et les farouches guerriers nains montant côtes à côtes a l'assaut des troupes infâmes.
Derrière eux, à peine visible dans les hautes herbes ou ils se fondaient des groupes d'Elfes laissaient échapper de leurs arcs des volées de flèches meurtrières qui élaguait les premiers rangs adverses avec précisions et à leurs côtés des humains et des hommes a peau bleu, bien qu'il fut difficile à cette distance de tous les différencier s'avançaient en groupe hache ou épée a la main.
Plus en contrebas encore était une bizarre sarabande d'être de toutes tailles et couleurs, la plupart ne portant comme arme qu'un bâton d'ou jaillissait par moment de longues zébrures bleu, rouge ou sombre ... Des Magiciens ! et sur les flancs de collines d'autres petits êtres armaient des catapultes, des balistes et autres engins mécaniques qui projetaient leur mortels projectiles dans les rangs de l'Aegis.
Cette fois ci je me levais pour embrasser du regard l'étendu de la bataille qui se déroulait là, sous mes yeux encore éblouis par la lumière. J'avais presque envie de rire ou de frapper dans mes mains pour encourager ces êtres de toutes les races qui s'étaient assemblée dans un même élan pour combattre l'infâme et putride légion.
Je souriais toujours béatement quand le sombre nuage refit son apparition. Arrivant par dessus la colline voisine les centaines de formes ailées dépassèrent par les airs les troupes en mouvement et fondirent comme un furieux animal sur l'ennemi moribond.
"Des Dragons !! " ais-je du crier alors en plaquant mes mains sur mon visage de surprise et de la peur encore sourde de leur première apparition dans le ciel nocturne.
Les troupes ennemis se heurtèrent de plein fouet, s'entremêlant, s'enchevêtrant et laissant le fer parler au fer. Des halos de couleurs fusaient en tout sens et, dans le fouillis inextricable qui s'en suivit je ne sais quelle idée folle me vint alors de descendre pour ... je ne savais en fait ... me battre, regarder peut être tout simplement, ramasser un bout de lance ou de hache et empaler comme l'avaient été mes pairs un de ces infamant être qui nous avaient forcé a vivre au fond d'un trou puant ...
Je descendais a vive allure la pente. Mes sabots claquaient par moment sur des rochers que les herbes masquaient à ma vue, je me tordis sans doute la cheville mais la douleur passagère n'était plus rien comparée a la frénésie et cette envie d'en découdre à mon tour ...
Arrivée au bas de la pente je contournais la masse pour me diriger vers le flanc Sud ou quelques guerriers semblaient avoir du mal a contenir une percée. Je jubilais, une espèce de folie s'emparait de moi et me rendait complètement inconsciente du danger. J'avisais un squelette qui s'approchait par le côtés d'un nain au prise avec plusieurs adversaires et, dans un élan de folie furieuse me jetais sur lui cornes en avant et le frappais de plein fouet. Le squelette, trop lent et sans doute surpris chuta brutalement au sol.
Les poings sur les hanches je regardais mon ouvrage avec une jubilation sans commune mesure et, lors que je m'apprêtais a en chargez un second j'eu la stupeur de le voir se relever, tanguant sur ses "os", le bras droit en pièces détachées au sol. Sans sembler être gêné outre mesure par ce membre manquant il ramassa son épée de la main gauche et revint vers moi a grand pas.
J'évitais aisément la première attaque, la seconde de même passa bien loin de moi, je me sentais alors invincible, je crois qu'a ce moment là je me sentais si puissante que je crois que j'avais envie de chargez toute l'armée adverse d'un seul coup et que je me sentais capable de la défaire a moi seule ... Petite sotte ...
Le coup suivant se fraya un chemin dans les chairs de mon bras et la fulgurante douleur me ramena rapidement à la réalité. Je reculais instinctivement, tentant d'esquiver un a un les coups de plus en plus rapide que le sac d'os me portait. Un nouveau coup passa si prêt de mon visage que l'odeur même du métal et du sang me parvint. Je reculais encore et toujours commençant a espérer qu'un guerrier me verrait en péril et viendrait me secourir mais en vain, tous étaient trop prit dans la bataille pour voir la frêle gamine au prise avec le revenant.
Un pas de plus en arrière et je heurtais un monticule de terre sur lequel je tombais tout net assise. je regardais avec effroi la lame sombre se lever au dessus de ma tête quand ma main, tâtonnant sur le sol rencontra la hampe d'une hache de bataille. Rassemblant toute mes forces je n'eu que le temps de lever en fermant les yeux avant pour entendre et sentir le choc des deux morceaux d'acier.
Se relever ... Parer un coup ... La hache pesait si lourd ... parer a nouveau ... reculer encore ...
Le dernier coup d'épée mes bras refusèrent de soulever la trop lourde hache et je sentis a la lame transpercer mon ventre, creuser son passage avec avidité puis éclater de joie a mon cri de douleur quand elle ressortie dans mon dos.
Ma vue se brouilla. Tout devint si sombre, si froid ... Je me souviens encore avoir eu cette seule pensée "J'espère que tu m'attends Maman. Je suis morte en Satyre libre ... maman"
Je me suis éveillé au milieu d'un pré d'herbe grasse.
Étrange cauchemar.
Comment étais je arrivée en ce lieux ?
Je me suis assis pour regarder autour de moi. Le soleil me faisait encore un peu mal aux yeux et la tête me tournait toujours.
Après quelques longues inspirations. Après avoir à loisir contempler le sol, les herbes, les arbres plus loin, les nuages dans le ciel, un oiseau cherchant quelques vers, la nature tout entière dans ce quelle détient de beauté sublime pour les yeux qui prennent le temps de comprendre et d'appréhender une liberté encore inconnue et puis j'ai voulue me lever. J'ai posé mes mains au sol pour m'y appuyer et ma main droite à senti un contact dur et froid comme l'acier.
L'acier d'un hache.
Je n'avais pas rêvé ...
Le Gardien est apparu devant moi alors que je commençais a marcher sans savoir ou aller vraiment, en traînant la lourde hache derrière moi comme le trophée ramené d'un souvenir.
Il m'a expliqué que j'avais le Don. Je n'ai vraiment compris que bien plus tard que pendant un temps indéterminé aucune arme forgée sur cette terre ne pourrait me terrasser.
Que ferais je de ce don ? et pourquoi moi ? Il ne m'avait dit que cela avant de disparaître.
Ma propre quête pouvait désormais commencer ...
* Cybèle releva la tête pour voir l'aube se lever doucement. Une nuit avait passée. Une nuit encore et voila qu'enfin elle ressentait cette liberté au fond d'elle même.
Si jusqu'à ce jour elle n'avait su le pourquoi elle était là cette conscience s'éveillait maintenant.
Aider et secourir les vivants. Vivre libre et se battre pour cette liberté. Offrir ici et toujours un sourire et une main tendue ...
A cette dernière image elle laissa s'épanouir son sourire. Un poids énorme venait de disparaitre de son coeur. Elle roula le parchemin et, tout en marchant vers Chiconis pour aller déposer le rouleau en haut de la colline du Seigneur Dragon elle murmura en ragardant les nuages filer vers l'Est :
J'espère que tu n'es pas loin maman ...
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