Le Voile
. . . Le ciel s'éclairait à peine lorsque Keepopa vint me chercher. Il prit mon bagage tendit que je lançais un dernier regard sur ma chambre. Je m’apprêtais à sortir lorsqu’une idée subite me vint. Je retraversais la pièce en courant et saisit ma petite fronde sur la table de chevet. Puis je sortis sans me retourner.
. . . A l’extérieur Keepopa et Keemoma m’attendaient en compagnie de deux poneys. J’embrassais rapidement ma mère et me mit en selle. La gorge nouée, je rabattit la capuche de ma pèlerine sur mon visage et fixait la crinière de l'animal. Keepopa m’imita rapidement et après un dernier geste de la main vers Keemoma, il éperonna sa monture. Nous partîmes à petite foulée d’abord, puis une fois sur la route Keepopa nous fit accélérer jusqu’à un léger galop.
. . . Deux heures plus tard nous arrivâmes à la frontière de la région délimitée par un fleuve tumultueux. Mavelle nous attendait sur le pont, chevauchant un étalon d’une blancheur lumineuse. Après un bref hochement de tête dans sa direction, Keepopa se tourna vers moi. J’arrêtais mon poney à la hauteur du sien et je le regardais à travers une buée de larmes.
- Keelala… voici venu le moment de nous séparer. J’aurais pu t’accompagner jusqu’au bout mais ma présence est requise au conseil aujourd’hui. De plus… sa voix devint sourde et il ajouta en murmurant. Mon cœur est déchiré et … je préfère te laisser dès maintenant plutôt que de t’offrir l’image de ma tristesse…
. . . Une grosse larme roula sur sa joue et je me jetais dans ses bras. Il me serra si fort contre lui que j’en eut le souffle coupé. Puis il s’écarta brusquement, tourna brides et éperonna son poney avec vigueur. Au grand galop, il disparut rapidement en direction du village. Je restais le regard fixé dans cette direction comme si l’instant où je détournerais la tête cèlerait définitivement mon départ. Lentement, j’entendis le cheval de Mavelle s’approcher. Après un temps, je sentit sa main sur mon épaule et tournais mon visage vers elle.
- Il est temps, jeune lurikeen. Ce que tu quittes aujourd’hui est la raison de tes futurs combats. Garde cette solitude et cette tristesse que tu ressens en cet instant pour les jours où le doute s’insinuera en toi. En avant ! La route que nous avons à parcourir n’est pas longue mais notre destination est plus lointaine que tu ne peux l’imaginer.
. . . Je suivit Mavelle et mon poney prit un petit trot pour rester à hauteur des grandes foulées gracieuses de sa monture.
. . . Nous chevauchâmes quatre jours pleins, ne nous arrêtant qu’à la nuit tombée et repartant dès l’aube. Mon corps balançait entre épuisement et excitation. Mais l’intimidant silence de Mavelle me contraignait à combattre l’une et l’autre de ces tendances. Le matin du cinquième jours, nous pénétrâmes dans une profonde forêt. Aucun chemin n’était visible dans le sous-bois mais l’assurance du pas de la monture de Mavelle me rassura. Nous finîmes par arriver dans une clairière et l’elfe marqua un arrêt. Sans se tourner vers moi, elle dit :
- Nous entrons à présent dans le domaine des elfes. C’est là que s’est déroulée une partie de mon existence. Et c’est ici que notre voyage trouvera son terme et son début.
. . . Je ne saisis pas vraiment ce qu’elle voulut dire mais je hochais la tête en silence. Sans qu’elle fit un mouvement, son cheval avança. Je la suivit et replongeais dans la forêt. Du moins la forêt que mes yeux croyaient trouver. Mais aussi subrepticement qu’un battement d’aile, ma vision se modifia et je vis apparaître en lieu et place des arbres une cité de marbre. Les murs blancs veinés de gris portaient vers le ciel des bulbes de couleurs ocres. Des cristaux bleutés parsemaient les façades et projetaient une douce lumière. Mavelle descendit de cheval et celui-ci s’éloigna sans un regard pour sa cavalière. Je réalisais alors qu’il ne portait ni bride ni selle alors que l’instant d’avant, j’aurais pu jurer du contraire. Je sautais à mon tour au bas de mon poney et gardais les rênes à la main, encombrée mais indécise.
- Tu peux laisser ta monture ici. Le reste du voyage se fera sans elle. Prend tes affaires et laisse-la aller. Je veillerais à ce qu’elle soit reconduite chez tes parents.
. . . Je pris mon lourd bagage et d’une tape sur la croupe j’encourageais mon poney à s’éloigner. Il fit quelque pas puis s’arrêta pour attraper une touffe d’herbe. Je soupirais et courut rejoindre Mavelle qui pénétrait dans l’une des maisons. Nous la traversâmes puis ressortirent de l’autre coté. Nous arrivâmes sur une place parfaitement ronde sur le bord de laquelle un bâtiment plus imposant et ouvragé que les autres semblait luire. Nous y entrâmes.
- Voici le palais du Roi des elfes Lug Lamfhota. Il a envoyé sa championne, Brighid, de l’autre coté du voile pour être régente d’Hibernia. Son existence fut si longue qu’il n’existe pas de mot pour te la faire concevoir. Suis-moi et vois-le à présent.
. . . Elle se dirigea vers une lourde tenture d’un vert profond et brodée de motifs argentés compliqués et la souleva, m’invitant d’un geste à la précéder. Chargé de mon bagage je pénétrais dans une salle éclatante au vaste plafond orné de signes elfiques. Au fond, sur un trône de marbre, siégeait une silhouette vêtue de blanc. Je senti des mes mains saisir mes affaires et les abandonnais pour m’avancer. Sans aucun doute possible, le roi se tenait là. Une sérénité intemporelle émanait de sa personne et son visage sans âge dégageaient une sagesse immémoriale. Il tendit sa paume ouverte vers moi et je m’approchais sans en avoir conscience.
- Lurikeen Keelala, ta famille et surtout ton père, ont toujours fidèlement et avec honneur, combattus à nos cotés. Le destin qui est le tien peut-être anonyme ou glorieux, le nom que tu portes est l’assurance de son importance. De tes actes peuvent venir la sauvegarde d’Hibernia ou sa perte. Comme pour nous tous habitants immortels du Voile, un chemin est tracé qu’il nous faut suivre pour accomplir les vœux de cette Volonté qui nous a tous crée. Moi-même, dont nul être vivant ne peut se rappeler la jeunesse, je me soumets à cette Volonté. Les anciens dont je fais parti, suivront tes actes. Voici leur marque.
. . . Il me tendit alors un bijou dont je ceignis mon front immédiatement. A nouveau mes sens fusionnèrent en une vision limpide et confuse à la fois. Je vois et j’entends les feux de magies étranges se mêler aux cris et frapper des corps, l’une de mes mains semble prolongée par un arc de bois noir tandis que l’autre tend une corde qui chante dans le vent, un visage étrange aux cheveux sombres et aux yeux hypnotiques prend forme tandis que ma bouche au goût de sang crie : FUREUR ! La vision disparaît aussi subitement qu’elle est venue et je fixe à nouveau le Roi. Il me regarde intensément et je comprends qu’il sait ce que j’ai vu et ressenti.
- Ce que tu ne comprends pas, tu le sais déjà. Dit-il simplement.
. . . Puis il se leva et se dirigea vers Mavelle qui soulevait déjà la tenture. Je les suivit et nous sortîmes. Le roi pris place au milieu du cercle et tandis que Mavelle me rendait mon paquetage, d’autres elfes apparurent silencieusement et se placèrent tout autour de nous. Le roi commença à parler dans une langue que je ne connaissais pas. Un engourdissement m’envahit, ma vision se voila et la dernière chose que j’entendit fut :
- Partez et délivrez Hibernia des dangers qui la menace !
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