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L’art du Dun Moch
L’une des choses les plus étonnantes avec mon maitre était son apparente faiblesse. Il était bien loin d’être aussi puissant que ceux que les Dieux reconnaissaient avec leur aura de lumière éclatante. Au contraire, les éclairs qui indiquaient que mon maitre avait atteint une certaine maitrise étaient bien pâles en comparaison de celles d’Ombre Nocturne ou de moi-même très rapidement. Et pourtant, c’est un des meilleurs combattants que j’eusse croisé dans mon service à l’Ombre. Tout son pouvoir tenait dans le Dun Moch, une très vieille technique démoniaque pour affaiblir ses adversaires, et je vais vous conter une de ses plus belles utilisations.
Le repaire d’Astrub bruissait de toute part, dans la grande salle, au milieu d’un nombre des plus conséquents d’Ombres, mon maitre ainsi que la Maitresse des Ombres étaient rassemblés et nous réunissaient. De sa voie glaciale, Ombre Nocturne nous annonça qu’Ombre Alchimiste avait été capturé par la milice locale en s’approvisionnant au marché noir. Au vu de son importance dans l’organisation, il fallait absolument le libérer ou bien le neutraliser. Un silence lourd s’installa, le rappel froid et direct d’Ombre Nocturne que tous était sacrifiables pour la cause de la Confrérie avait douché l’enthousiasme de la plupart des Ombres présentes. Dans mon for intérieur je réfléchissais à plein régime, ce que nous envisagions était loin de nos complots et coups de mains habituels, les risques étaient complètement différents. Ombre Terre prit la parole.
« Que chacun d’entre vous prennent son affectation, cette mission est différente de celle que nous réalisons, cette fois il faudra que vous obéissiez au doigt et à l’œil, pas d’initiative ou de cavalier seul, est-ce clair ? »
Le ton de notre intendant ne tolérait aucune réponse et tous vinrent à lui pour prendre leurs affectations. Quand vint mon tour, d’un signe de tête il m’ordonna de me ranger à ses côtés.
« Vous avez tous vos affectations, finit par dire Ombre Nocturne. Le plan global est simple : on entre, on reprend ou élimine Ombre Alchimiste et on ressort en écrasant tout ceux qui se mettent sur notre passage. Nombre d’entre vous sont en retrait et interviendront au besoin, la prison d’Astrub n’est pas grande et un groupe trop important risquerait d’être bloqué. Une fois sortis, nous nous attendons à de la résistance de la part de la milice locale mais aussi des Nedora-riem. Vous devrez absolument les retarder. Evitons un combat de face, ils sont bien plus expérimentés que nous dans ce genre de situation, ne l’oubliez pas. »
Tous acquiescèrent, et d’un geste de la main, la Dame de L’Ombre nous ordonna de nous mettre en route.
Usant des nombreuses sorties du repaire, l’escouade d’assaut, dont je faisais partie avec notre maitresse et mon maitre, qui allait libérer Ombre Alchimiste se matérialisa à quelques dizaines de mètre de l’entrée de la prison. Alors que les gardes s’interrogeaient, une série de flèches les balayèrent.
« Que l'Ombre s'étende ! s'exclama Ombre Nocturne. »
Je m’élançais à sa suite, malgré la fumée et la poussière qui m’encrassaient les poumons, les archers sur les toits créant un périmètre de sécurité autour de la prison, interdisant à tous ceux qui n’étaient pas de la Confrérie d’approcher. La porte de la prison commença à se refermer, d’un bond j'étais dessus et saisissait Grond, le lourd marteau que mon maitre m’avait confié. D’un ample mouvement, je brisais la porte et roulait au sol, laissa les traits des pièges de la prison filer au dessus de moi. Dans mon dos un nuage de flamme les engloutirent et la Maitresse des Ombre, soutenue de mon maitre sortirent auréolés de flammes. Les quelques gardes en faction dans la salle ne résistèrent que quelques instants, la froide efficacité des Ombres ne leur laissant aucune chance. Mon maitre m’aidait à me relever.
« Bien joué, ma chère apprentie. »
D’un air de dandy, au milieu des cadavres et meubles renversés couvert de bière et de sang, mon maitre acheva les gardes de vifs coups de pelles, brisant leurs nuques dans des bruits secs. Dans sa cellule, Ombre Alchimiste regardait le spectacle d’un air impavide.
« Alors mes amis, venez-vous me libérer ou bien m’abattre ? »
« Crois-tu Alchimiste que si nous voulions te tuer nous aurions fait déplacer tant de monde, Ombre Terre seul aurait pu t’éliminer en douceur, railla Ombre Nocturne. »
« En effet, mais je doute qu’un tel déploiement de force soit juste pour ma petite personne, ricana l’alchimiste de la confrérie. »
« Tu te sous-estimes toujours cher ami, sourit Ombre Terre en faisant sauter la serrure d’un coup bien placé de Grond. Mais si tu te prélasses trop, ton intérêt risque de nettement diminuer. »
Nous sortîmes rapidement, une fois qu’Ombre Terre eut aspergé toute la salle d’un acide qui allait effacer toutes nos traces, ainsi que les cadavres que nous laissions. Une fois en haut de l’escalier, une surprise nous attendait : une vingtaine de Nedora riem, la plupart hauts gradés au vu de leurs ailes, nous attendaient en arc de cercle.
« Ombre Terre, appelons-nous des renforts, demanda Ombre Nocturne. A moins que vous ne vous sentiez de taille à affronter ses quelques enquiquineurs... »
« Je m’étonne chère maitresse que nos unités ne les ai pas ralenti le temps suffisant, soyez assurée que je m’occuperais de ce manquement au plus vite. »
Ombre Nocturne hocha la tête, et nous fit signe de laisser mon maitre passer. Il saisit son tourmenteur, objet rare à cette époque, et tira en l’air. Une multitude de projectiles bleutés strièrent le ciel, avant de retomber dans de grands arcs de cercle et sifflements grâcieux. A quelques mètres du sol, les projectiles éclatèrent telles des fées d’artifices, mettant à terre la plupart des mercenaires.
« Ce n’est pas possible, souffla un des Ombres. Aucun tourmenteur n’a cette puissance. »
« A part un des tourmenteurs originels, souffla Ombre Nocturne, ne sous-estimez pas Ombre Terre, vous allez voir que malgré sa faiblesse apparente, c’est le meilleur guerrier ici présent. »
Mon maitre avança sur l’esplanade, d’un pas tranquille, alors que les quelques nedoras qui avaient survécu au premier tir de tourmenteur se relevait difficilement. L’armure noire associée à l’arme apparut et masqua son apparence, alors qu’un souffle d’air dégagea toute la poussière de l’esplanade. Une eniripsa et un féca, apparemment les plus gradés des nedoras présent lui firent face.
« Qui es-tu ? gronda le féca. »
« On me nomme "Ombre Terre", conseiller de la Confrérie des Ombres, et celui qui va vous mettre à bas, disciple de feu Nedora. »
« Cela m’étonnerait fort, railla l’eniripsa. »
D’un geste négligent mon maitre déposa son casque au sol, son visage masqué par un large pan de cape. Ses deux adversaires se concertèrent pendant quelques instants.
« Ils préparent quelques choses, murmura l’eniripsa, reste en arrière pour protéger les autres. »
« Ils auront plus besoin de tes soins que de mes boucliers, contredit le feca. »
« Il a une lourde armure, ma taille et ma vitesse seront à mon avantage, les serviteurs des tourmenteurs sont des monstres de puissances brutes, pas d’agilité ni de rapidité. »
Le féca soupira et se mit en retrait, alors que l’eniripsa s’avançait vers mon maitre. Malheureusement pour elle, il savait lire sur les lèvres, il me l’avait appris il y a peu, et je me doutais de la stratégie qu’il allait utiliser. L’eniripsa commença à harceler mon maitre, ses flammiches et coup de baguettes soulevant des nuages de poussières. Au milieu de la tempête, il semblait telle une tour au milieu d’un orage encaissant les coups, tout en semblant immobile. Pourtant quelques reflets de sa lame m’indiquèrent que mes pressentiments étaient bons, et dans un angle mort de la place, l’âme de l’arme, semblable à une jeune sylphide le soignait, lui donnant un répit que la jeune soigneuse ne soupçonnait pas. Aussi subitement qu’elle avait attaqué, la mercenaire s’arrêta, se mettant entre ses compagnons et une éventuelle attaques de mon maitre.
« Déjà essoufflé, jeune dame, demanda d’un ton courtois Ombre Terre. »
« Je crois que celui qui est en difficulté ici n’est pas moi, rétorqua-t-elle. »
Le vent balaya la place, dévoilant la sylphide de mon maitre. Un éclair de compréhension passa dans les yeux de l’eniripsa. D’un coup de baguette elle l’abattit. Profitant de l’ouverture, mon maitre plongea au sol, roula vers elle, recupérant au passage son casque. D’un bond svelte, l’eniripsa s’envola, évita l’attaque et se posa au centre de la place, là où se tenait mon maitre. Il s’autorisa un sourire en remettant son casque.
« Un de moins, soupira-t-il, vraiment pathètique. »
L’eniripsa voulut répondre quand il enfonça son épée dans le sol, ouvrant une faille. Autour de l’eniripsa, le sol fragilisé par ses attaques s’effondra, la propulsant dans les sombres tunnels des hommes rats d’Astrub.
« Alors petit féca, a toi de jouer, railla le confrère. A moins que tu ne sois plus lâche que cette pauvre chose qui m’a défié et maintenant va lutter pour sa vie dans ses sombres tunnels . On m’a dit que les lames empoisonnées des rats ne craignaient que les boucliers de féca, mais je doute que tu l’es rejoins d’ici la première attaque. »
Le nedora-riem bondit sur mon maitre, qui encaissa plusieurs coups de bâtons et rendit coup pour coup avec sa massive épée. Le féca rompit le contact, du sang coulant sur son visage. Mon maitre leva son épée, la tenant à l’horizontale, alors qu’un vent de sable balaya la place, faisant s'envoler quelques gouttes de son sang sur le sol.
« Comment a-t-il pu se débarrasser des maitres de l’ordre de Nedora-riem, qui sont bien plus puissant que lui ? souffla un des confrères. »
« Le Dun Moch, dit d’un ton froid Ombre Nocturne. Il utilise son habilité à manier le verbe pour les provoquer et contrôler leurs réactions. Regardez donc, l’eniripsa n’a pas tenu trente secondes, et le féca n’a pas levé ses boucliers, soucieux de venir en aide à son aimée au plus vite. Toute la stratégie d’Ombre Terre est basée sur la manipulation et la colère de ses adversaires. Voila pourquoi il maitrise des combats qui du point de vue du rapport de force sont suicidaires. »
Une nouvelle passe d’arme se déroula, n’avançant guère le combat.
« C’est tout ce que tu es capable petit féca, railla Ombre Terre. Au vu des éclairs qui te parcourent, tu es bien plus puissant que moi, pourtant j’ai l’impression d’affronter un débutant mal dégrossi. »
Le féca serra de plus belle son bâton et se rua à l’attaque. Malheureusement sa prise était trop ferme et en le contrant puissamment, mon maitre lui fit lâcher son arme des mains. D’un coup de pied vicieux il le jeta au sol.
« Pathétique, cracha-t-il. Tu te réclames de Nedora, je ne vois qu’un disciple mou de ce faible de Kenera face à moi. »
Le féca trembla de fureur et tenta d’aggriper mon maitre, qui bondit lestement en arrière malgré sa lourde armure. Le féca s’écroula au sol, la pointe de l’épée de mon maitre se posant sur sa nuque nue.
Le silence se fit sur la place, mais je ne pus que remarquer les coups d'oeils aux alentours d'Ombre Nocturne.
"Que se passe-t-il Maitresse des Ombres, demandais-je."
"Il va falloir partir, car même si Ombre Terre contrôle pour l'instant la situation, ça ne va pas durer. Au bruit que j’entends, la dame des mercenaire n’a pas tant de problème que ça, ce n’est pas notre meilleure unité qui est en bas."
"Pourtant ils sont à terre et vaincu pour la plupart, m'étonnais-je. Même si sa première adversaire revient, nous maitriserions la situation."
"Des renforts arrivent, de plus l'effet de surprise s'estompe, constata la maitresse des Ombre. Ce sont des soldats aguerris, après un coup comme celui là, ils vont se rassembler et revenir à la charge et face à eux nous ne sommes pas de taille, ce genre de combat n'est pas les nôtres. Ombre Terre les a dominé car ils l'ont sous-estimé et sa maitrise du verbe est une arme terrible en ses mains, surtout quand il connait bien les personnes. Là ils savent à quoi s'en tenir et ne tomberont pas de nouveau dans le piège. Il est temps pour nous de quitter les lieux."
Ombre Nocturne bascula sa tête en arrière et lança trois brefs trilles.
Mon maitre réagit instantanément, alors que la petite eniripsa apparut d’un bond du trou dans le sol, un rat à ses trousses et les autres mercenaires au sol commençaient à se relever lentement.
« Tu as de la chance petit féca, je n’ai pas le temps de jouer avec toi aujourd’hui, des choses bien plus importantes que toi m’attendent, ça sera pour une prochaine fois. »
Une série de flèches enflammées fendit l’air et détruisirent les traces de sang de mon maitre, tout en couvrant notre départ. Lorsque la poussière se dissipa, il ne restait sur la place qu’une plume de corbacs.
Il me fallut de nombreuses années pour comprendre toute la subtilité de l’art de mon maitre : savoir envoyer les piques les plus perçantes et les conseils les plus humiliants pour déstabiliser mes ennemis. Et à ce jour, il est encore le seul qui me surpasse dans cet art, qui lui permet de garder encore et toujours l’avantage lors de nos entrainements.
Que l’Ombre s’étende.
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