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Saganaël retrouva Ikky badinant, dans le salon du bordel de Pyr, avec une grande créature élégante dont la peau, d’une couleur halée, transparaissait sous un déshabillé dont seul les Fyros ont le secret. Le Hors la loi, depuis leur dernière rencontre avait changé physiquement. Il s’était laissé poussé les cheveux et les avait même teint. Une moustache et une barbiche agrémentés désormais son visage.
Il fit signe à son indic de se hâter et s’en retourna vers la sortie. Saga s’arrêta au pied de l’escalier pour enfiler ses gants et s’adressait au matis qui se fondait dans l’ombre.
- « L’heure est venue de prendre congé Elesias. Ikky en a terminé j’espère et nous sommes attendus à Yrkanis. »
Le Commandeur Matis acquiesça, sortant de l’ombre il rejoint le chancelier et son agent Fyros.
- « En effet Chancelier, dit Elesias en gagnant la porte. Je vais l’annoncer à Onsinur, nous sommes déjà en retard. »
Ikky prit tout son temps, lui, pour faire ses adieux. Il baisa la main de la Fyros, lui murmura quelque gaudrioles qui la fit s’esclaffer, puis nonchalamment s’avança vers Saga.
- « Si pressé de mourir seigneur? Lança le hors la loi. »
Saga ne répondit pas et passa la porte du bordel pour se retrouver dans une rue sordide de Pyr. La poussière et la nuit ne permettaient pas de voir à plus de quelques mètres.
- « Comme convenu Fyros, susurra le chancelier. Dès que vous l’avez, vous me l’apportait au point de rendez vous. Peu importe la somme, et précisez bien qu’ils auront à faire avec des non Sokkariens. Ils ont ma parole. »
Elesias approcha en compagnie d’Onsinur, et les trois Sokkariens se mirent en route pour rallier la Karavan. Ikky reçu les derniers appointements du chancelier et s’éclipsa dans le dédalle des rues de la capitale Fyros.
La première partie de son plan allait se déroulait dans quelques minutes, lors de l’assemblée Sokkarienne qui devait déjà avoir débuté à Yrkanis.
Sokkar n’était plus que l’ombre de lui-même, jadis un valeureux noble ambitieux, il s’était rangé peu à peu comme tous ces matis décadents. Jinovitch était mort, et le duc était sur le point de prêter allégeance au nouveau roi félon : Yrkanis. Inacceptable !
Sokkar avait perdu de vue la suprématie du cercle, son ambition d’antan, sa force morale. Les valeurs oubliées d’un peuple fier et arrogant, né pour régner ! Saganaël de Kormalys était né pour diriger, et lui n’oublierait pas les valeurs fondamentales de la dynastie de Jinovitch. Jamais…
Il était tant de reprendre les commandes du cercle, arrêter de subir la volonté des autres matis et des peuples d’Atys. Elesias l’avait comprit également, beaucoup étaient sur la même voie. Sokkar avait voulu restructurer le cercle, et courrait tout droit à la catastrophe. Le chancelier et le commandeur avaient tenté de lui en parler avant l’assemblée, mais le duc s’était offusqué, emballé et les avaient tout bonnement ignoré… C’était là sa dernière erreur.
- « Nous pouvons y perdre la vie, vous savez Chancelier, lança a brûle pourpoint Elesias. Cette assemblée ne nous est pas complètement acquise. Certains Sokkariens savent très bien qui nous sommes et ce que nous sommes en train de faire dans le cercle. Avec les guerres de successions qui arrivent, nous devenons dangereux."
- « Avons-nous d’autre choix ? Répondit Saga. »
Personne ne renchérit. Onsinur n’étant pas dans la confidence de ce qui allait se passer, ne devait en outre rien savoir.
Dans le désert, à la sortie de Pyr, l’autel de la Karavan trônait au bord du gouffre abyssal. Dans quelques instants ils seraient à l’assemblée Sokkarienne. Dans quelques minutes, une nouvelle page d’histoire se tournerait.
***
- « Le roi aurait‑il laissé perpétrer sans sourciller pareille ignominie? Pas le roi Jinovitch que nous suivions !!! Mais le Roi que nous avons suivit n’est pas l'actuel, si expert à fermer les yeux sur tout ce qu'il préférait ne pas voir. »
Elesias se trouvait sur l’estrade face à des Sokkariens sous le choc. Sokkar avait donnait la parole au chancelier qui avait commencé alors un discours de désapprobation. C’était là le point de départ du putsch, Elesias devait enchaîner pour rallier plus de partisans à la rébellion. Beaucoup d’entre eux devaient rester cacher, cela faisait partie du plan. Le Commandeur reprit son appel sous les yeux médusé de sa compagne Liandra.
- « Le seigneur que nous suivons est un imposteur ! Il ne suit plus les principes qu’il nous a inculqué, il n’est plus capable de nous diriger ! Sokkariens réagissez, nous pouvons reprendre le contrôle et le pouvoir !!! »
La foule s’ébroua et s’agita. Les Sokkariens étaient perdus, ils ne comprenaient pas. Certains reculèrent ne savant plus que faire, d’autres dirigés par le capitaine Urtys se regroupèrent autour des deux félons prêt à les étriper. Un cordon de sécurité se mit en place autour du duc, tandis que plusieurs partisans du chancelier venaient à leur tour se placer autour de Saga et Elesias. Les cadets étaient des gens fidèles, tout comme la garnison Paltenio embrigadée par Ashaël de Kormalys. La sœur du chancelier était néanmoins figée, blême, et son âme grelottait.
- « Emparez vous d’eux ! Lança le duc soudain excédé. Sa voix trahissait une surprise muée en une colère froide. Désarmez ces félons ! »
Urtys secoua la tête et se mit à rire. Avançant d’un pas décidé vers les rebelles il s’exclama :
- « Notre maître n’est pas dupe ! Ni les Sokkariens. Vous êtes une poignée insignifiante, nous vous écraserons. Je me suis toujours douté de votre félonie chancelier, je l’ai toujours clamé ! » .
Cette grossière saillie ne méritant pas de riposte, Saga se contenta de sourire.
La cohue redoublait, nombreux Sokkariens étaient perdu. La jeune Paera, fidèle d’Elesias pleurait à chaudes larmes, Onsinur choqué, tentait de la réconforter. Le commandeur Liandra se plaça aux côtés du duc, le regard vide, les yeux humides.
Razora cria : « Chancelier ! » d'une voix qu'enrouait l'angoisse. Au même instant, la salle fut pleine de soldats. Les armes furent tirées des deux côtés.
En un clin d'oeil, Saga embrassa les plaques de Kitin et le cuir, les
gantelets et les jambières, les heaumes. Il n'eut pas le temps de compter, mais ils étaient une bonne vingtaine en ligne, bloquant les sorties épées et piques au poing. La baguette d’Elesias sortit de sous son manteau. « Place, ou vous êtes morts ! »
‑ « Les Félons hurlent... » Dit Urtys, se campant devant le commandeur épaulé de Marah et Biggel. « Si maigre bande que vous êtes pourtant ! »
À tout petits pas, Synyss se porta de l'avant. « Messires, le duc et une grande partie des notre ont malheureusement les mêmes buts ! » Saga sourit devant les talents de comédien de l’Hystrion.
Chance et Denhy étaient aux côtés du duc, impassibles, inaccesibles…
Urtys, dégaina sa baguette et poussa Elesias. « Montrez voir votre magie, Commandeur Elesias. Je vous abattrai comme un ragus, si vous m'y forcez » Puis, toisant Saga d'un long regard de mépris glacé, il attendit.
Razora avait tiré sa lame, mais ils étaient une poignée de rebelle contre une vingtaine. Personne n’osait faire couler la première sève…
D’une voix tonitruante, Sokkar lança à l’assemblée. « Vraiment ? Une rébellion. » Il soupira. « Prosternez vous aux pieds de votre seigneur pour lui demander grâce, et parjurez-vous de votre serment. Je daignerais peut être vous bannir !» Il repoussa en arrière ses cheveux blonds.
Elesias tenta une dernière fois d’appeler à la révolte, mais la confusion était trop grande.
- « Nous pouvons reprendre le pouvoir, clama le commandeur. Ne vous laissez pas abuser, nous ne servons qu’un imposteur ! »
Excédé Sokkar fit volte face et, une fois derrière la ligne de ses bretteurs, jeta par‑dessus l'épaule à leur capitaine :
- « Leur félonie n’a pas d’égale, comme nous ne saurions leur concéder ici d'impunité totale, hé bien... ‑ à travers la foule se discerna l'éclatante blancheur d'un sourire ‑, tuez‑les tous. »
- « Non ! » hurlèrent nombre de Sokkariens stupéfiés, car beaucoup connaissaient les lois du cercle. Un procès aurait du avoir lieu, mais Sokkar avait donnait l’ordre. Déjà les premiers échanges de coup se firent entendre. Certaines vengeances personnelles avaient pris le pas sur la raison…
Les deux mâchoires de l'étau se refermaient. Ashaël se rua sur l'une d'elles en taillant de droite et de gauche des spectres matis qui se dérobaient devant elle. Razora chargea. Sa lame frappa l'un des gardes en pleine figure avec un craquement sinistre, un second garde se vit envoyer bouler en tournoyant et, un instant, elle se retrouva libre. Alycia se débattait en jurant tandis qu'on tentait de s’emparer du chancelier. Les épées fustigeaient. Luin d’Ithilion se précipita à la rescousse du chancelier et abattit son arme avec une telle violence sur le heaume du garde que l'impact le fit grincer des dents. Ce dernier s'affaissa sur les genoux, son heaume fendu par le milieu, la face inondée de sève.
Saga profita de cet instant pour se ruer vers la sortie. Synyss, Oderic et Ypnos lui barraient le passage. Le chancelier se retrouva néanmoins dans l’escalier sans être meurtrit, un sourire aux lèvres. Razora et Alycia couvrant sa retraite, Luin et Ashaël bataillaient encore dans la salle en compagnie de quelques gardes qui avaient suivit Elesias, mais ces pauvres cadets tombaient un à un.
La jeune Kormalys fut touchée a l’abdomen, sa main tentant d’endiguer le flot de sève qui s’échappait de sous son armure.
Sangtence, cadette rebelle, usa de sa magie pour aveugler un instant la foule, cela permit à Ashaël de rompre le combat. Aidée de Luin elle pu suivre son frère.
Le Commandeur quand a lui combattait férocement Urtys à coup de sorts, dans un duel fratricide. Elesias gardait l’avantage, et nombreux n’osaient en fait intervenir contre leur anciens supérieur.
La sève affluait en son corps, l’énergie crépitait au bout des ses doigts, Elesias al'Dormanor ne faillirait pas dans un duel… Un sort venu de l’estrade fit reculer les autres protagonistes, personne ne vu d’où il vînt. Elesias jeta un rapide coup d’œil à deux de ses amis proches de Sokkar, il ne devait pas les trahir.
Au moins il ne partirait pas seul dans l’au delà.
*****
Le matin étirait son long voile blanc sur la ville de Davae. Sur un balcon dominant la place du marché Saganaël de Kormalys observait les badauds et les plébéiens déambuler.
La fuite avait été nécessaire, elle devait même paraître salvatrice pour les autres. Il avait peu dormit durant cette nuit de fuite, mais un nouveau jour se levait désormais.
Ouvrant son grimoire, le chancelier félon apposa quelques lignes d’encre supplémentaires à son plan d’action.
Alycia Dohlmer entra dans la suite le visage las et les traits tirés. Une sombre expression trahissait ses pensées.
- « Votre rapport Alycia ? Lança Saga avant qu’elle ne le rejoigne »
- « Votre sœur a pu rallier la frontière nord avec Sangtence, Messire. Luin et Razora sont sauf également. Nos infiltrés attendent que les choses se calment et nous rejoindrons sous quelques jours. En revanche nous avons perdu 7 cadets, et 6 gardes ralliés à votre cause. »
La jeune homine déglutit avec peine, le chancelier se retourna et la toisa « Et ??? »
- « Ce traître d’Elesias a retourné sa veste, Messire. Dit-elle d’un ton écoeuré. Il prétend vous avoir suivit pour démasquer les félons ! Sokkar semble lui avoir pardonné, certains s’en sont retournés avec lui. »
Alycia ne cachait pas sa colère ni son dégoût. La jeune matis avait le sang chaud, et semblait profondément blessée de se revirement de situation. Sa haine et ses larmes l’empêchèrent de voir le sourire froid qui se dessina un bref instant sur le visage de Saga.
L’ancien chancelier ne sembla pas affecté par cette nouvelle, il se retourna en posant ses mains sur le bois du balcon et reprit d’une voie monocorde :
- « Et en ce qui concerne l’épée de Jinovitch ? »
Alycia s’apprêtait à répondre, mais Saga fut plus prompt
- « Ils arrivent… vous avez bien œuvrée Alycia, vous pouvez disposer. » Saga observait une délégation qui venait de passer le porche de Davae. Un sourire éclaira quelque seconde son visage glabre, ses mains se frottèrent d’excitation. Tout ceci avait coûté cher, mais c’était nécessaire. Tout se déroulait selon son plan, Drakarys serait bientôt entre ses mains, et l’esprit de Jinovitch ne disparaîtrait pas.
Il était temps de mobiliser les troupes, et passer à la seconde phase de son plan démoniaque.
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