A mon réveil, la lumière filtrait par les fenetres grandes ouvertes de l'infirmerie. Je tournai la tete à gauche; à droite, puis me dressait sur mes coudes. En équilibre instable, du fait de mon affaiblissement, je constatai que j'étais seul dans la pièce.
Les rideaux légers étaient agités par une brise légère et fraiche, je souriais en essayant de me lever. Je me rendis à la fenetre la plus proche en m'appuyant sur le mobilier et les murs pour ne pas tomber.
Mes souvenirs étaient flous, je ne me souvenais pas de la raison de mon alitement, mais la scène qui se déroulait sous mes yeux, dans le parc de l'école, raviva une douleur dans ma poitrine.
Il s'agissait d'un enterrement. Je n'avais aucune idée de l'identité de la personne décédée, cependant, le nombre de tombes à coté du trou fraichement creusé ne m'inspira rien de bon.
Il me fallut beaucoup de temps pour descendre les escaliers et rejoindre mes amis, mes maîtres.
J'arrivais dans leur dos, aussi vite que mes jambes pouvaient me porter, ils semblaient bien peu pour un enterrement, l'inquiétude m'envahissait oppressant un peu plus ma poitrine et mon coeur.
Je tombai gauchement, le souffle coupé, incapable de me relever.
Flurdenk dû m'entendre, il se retourna, prononca quelques mots et les autres se tournèrent vers moi à leur tour. Il y avait Elyzann, Zvaltac, Noeln, un déchu que je n'avais jamais vu et Shandarssh au bras du quel Glogrin s'accrochait.
A l'exception du déchu vétu de rouge sombre et de Shandarssh qui parlait avec Glogrin, tous vinrent à ma rencontre. Les yeux d'Elyzann étaient rougis par les larmes, un spasme nerveux crispait les tempes de Flurdenk, je m'attendais à la pire nouvelle qui soit.
Ils m'aidèrent à me relever, esquissant quelques sourires, visiblement heureux de me voir sur pieds si l'on peut dire.
- Viens avec nous fiston, nous enterrons Drogan aujourd'hui ! déclara Noeln de sa voix chantante imprégnée, pour une fois, d'une note de tristesse.
Les larmes montèrent, et l'enterrement se poursuivit dans la douleur.
De ma place je pouvais lire les noms de ceux qui étaient morts : Ghatoj, Drogan, Moramad, Floeln, Sternicus, Jarelnius, Freonia et tous les enfants de l'orphelinat, tous à part moi.
Pendant les huit années qui suivirent, je reçus la formation que les élus s'étaient jurés de donner aux nécessiteux.
J'appris aussi la félonie d'Hugher et les raisons du décès de chacun.
Moramad n'avait jamais eu le temps de donner son remède à Freonia, elle avait donc été mise en terre auprès de son mari.
Le corps de Sternicus avait été retrouvé non loin de la cabane où Zvaltac s'était battu avec les "Sans-Vie", il portait une fausse lettre d'invitation à un rendez-vous galant.
Glogrin avait été sauvé de justesse, il avait perdu l'usage de ses yeux, mais il avait survécu et sa sagesse était un atout précieux.
Ghyftitt, le déchu peu bavard, avait rejoint notre groupe après le carnage fait par Hugher, il avait senti un appel et surtout il voulait tenir un rôle particulier : celui de pénitent, pour toute la douleur que nous avions éprouvé et que nous aurions à endurer.
Hugher avait brisé toutes les fioles restantes pour soigner les malades, il ne restait plus que celle que Moramad avait en main. Alors que le choix douloureux s'imposait de la donner à Drogan, Elyzann avait, à ce qu'elle raconte, entendu la voix du prophète dans son esprit. Cette voix lui avait dit de me sauver, moi : l'orphelin ...
Je me nomme Thagarnyss, j'ai 21 ans aujourd'hui et on fait de moi le nouveau "chef" de Sacrificium.
Sacrificium est le nom de la guilde, nous l'avons appelée ainsi en hommage aux sacrifices passés ainsi qu'en référence à notre dévouement pour la liberté. Tous étaient devenus mes pères et mères, ils restaient parmis nous, mais auraient de nouvelles attributions.
Nous avions désormais une quatrième branche, fondée par Ghyftitt, la Paenitentia.
Aujourd'hui je me tourne vers l'avenir, la lutte ne fait que commencer, on ne peut pas fédérer tout le monde, mais dans le coeur de chacun réside un élu. Le monde est grand, construire un nouveau monde libre sera long, sauver les opprimés le sera tout autant ... mais il faudra les sauver pour eux-meme et non pour nous les rattacher à tout prix : c'est un principe fondamental de liberté.
Le vent s'est calmé et le printemps est de retour, je suis prêt à affronter la foule, un dernier baiser sur la joue de mère Elyzann, un dernier regard vers le portail que je viens de franchir ... je ne dois pas revenir bredouille, il va falloir convaincre les gens de la justesse de ma cause.
FIN
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