Un bruit tonitruant sortit Ezekias de sa torpeur. Depuis quelques temps, il devait régler le volume de son réveil sur la position maximale pour avoir toutes les chances d’ouvrir les yeux à l’heure et ainsi ne pas déborder sur la stricte horaire des cours.
Posant un pied à terre, il se rendit vite compte de la douleur qui parcourait son dos, meurtri pour une position communément appelée «mode de visionnage cinématographique avachi latéralement». Après un étirement qui ne fit qu’amplifier sa gène, son premier réflexe fut celui de presser le bouton de la machine à café, qui trônait splendidement sur son comptoir. Assorti à sa vision encore trouble, la fumée parfumée qui emplit la pièce le replongea dans des rêves.
Quelques minutes plus tard, son téléphone émit un son tout aussi désagréable que le bruit du réveil. Se jetant sur le sournois appareil pour couper le réveil, il entraîna par mégarde un paquet de biscuits au blé complet. Ezekias était friand de ces gâteaux. S’installant sur son matelas, tasse de café dans une main, biscuit au blé dans l’autre, il contempla de son regard noir les premières lueurs de l’aube. L’ombre feuillue des grands arbres donnait une vibration étrange à la lumière qui envahit le petit espace du jeune homme. L’air frais du matin se faisait sentir par l’entrebâillement de la fenêtre, le parfum de l’Automne, humide et raffiné, fit plonger Ezekias dans une mélancolie douce.
8h15. Comme à son habitude, Ezekias régla le robinet de sa douche sur la position froide, qui se trouvait du côté gauche, alors que la coutume veut que cette orientation soit destinée à la chaleur. Conscient de commettre la même erreur tous les matins, Ezekias profita de ces basses températures pour remettre son esprit d’aplomb. Réglant le méchant appareillage de plomberie afin d’obtenir une certaine chaleur, il fut pris de la vision furtive de cette fille de sa classe. Il hésitait encore sur son prénom, n’ayant jamais trouvé le courage de lui parler, ni même de lui sourire lorsque elle surprenait son regard pendant les cours. Les rares fois ou elle lui avait parlé avaient été soldés par une douloureuse et incommensurable banalité des propos qu’il avait pu lui rétorqué. Sans doute troublé par la beauté lumineuse de ses yeux, il finissait parfois par bredouiller une tentative d’humour cynico-enfantine, qui bien sûr n’avait aucune chance de faire sourire la belle… Ezekias, sentant un début d’excitation, préféra sortir de sa douche et se consacrer sur la routine de sa préparation matinale.
Le reflet du miroir de la salle de bain lui confirma que ses cernes étaient encore bien marqués, aussi il prit un cachet de Vitamine C après son traditionnel brossage de dents de 2 minutes et 34 secondes, au cours duquel il avait repensé à l’image de cette fille qui le rejoignait dans la douche. Il avait bien fait de ne pas se laissé aller à des pensées un peu trop osées, se dit-il en ouvrant la porte de son armoire.
La se poser un dilemme éternel et redonnant pour Ezekias, que porter dans la journée qui puisse révéler son caractère subtil, sa stance naissante et sa vision naïve des relations homme/femme. Encore une fois, il se décida pour son T-shirt vert orné du symbole russe en rouge vif et d’une représentation de la Place Rouge dans le dos, celui qu’il aimait tant non pas car il adhérait aux idées communistes, mais car ces couleurs lui donnait l’impression de libérer un peu de folie dans l’habituel classicisme de ses habits. Accompagné d’un jean sobre et de son gilet noir, qui commençait à accuser son age, Ezekias fut plutôt satisfait de son choix vestimentaire. Il chercha un instant son carnet de notes, deux ou trois stylos, son sac noir et son trousseau de clés à l’effigie Tigrou et enfila ses vêtements. D’un coup d’œil rapide dans son miroir, il pris conscience du caractère totalement chaotique de sa coiffure. Malgré le peu d’importance qu’il accordait à son aspect capillaire, Ezekias tenait à une douce note de folie retenue dans ses cheveux, aussi il pris la peine d’organiser cet ensemble abstrait.
8h48. Un tour de serrure, le looping habituel de son Tigrou/porte-clé pour le ranger dans la petite poche discrète de son sac et Ezekias pris la direction de son école, qui se trouvait à quelques centaines de mètres. La route était péniblement éclairée par le Soleil du matin, et l’ombre des bâtiments à l’architecture curieuse rappellent un bunker fortifié de la 2ème Guerre Mondiale envahissait une grande partie de la surface. Les quelques lampadaires étaient encore allumés, créant cette ambiance paradoxale jour/nuit pour quelques minutes. Le bruit des pas était le seul son distinct qui résonnait dans la tête d’Ezekias.
L'école était d'une architecture fort étrange. L'ensemble métallique extérieur composait des escaliers qui permettaient de se retrouver sur une terrasse métallique, elle aussi, donnant sur des portes vitrées. Il n'y avait pas grand monde, le bâtiment baignant dans un calme en accord avec la pâle lumière des néons. Alors qu'il allait ouvrir la porte principale, Ezekias s'aperçut que la demoiselle qu'il observer pendant des instants de songerie en cours venait d'arriver à la machine à café, située dans un petit salon triste au recoin de la salle d'entrée. L'idée d'offrir un café après le blabla banal d'usage pour une approche vint à Ezekias juste après de vagues fantasmagories sexuelles... Il se précipita d'ouvrir la porte tout en fouillant frénétiquement dans son portefeuille pour vérifier qu'il pouvait payer deux cafés, car même si se lancer au petit jeu de la séduction était enchanteur, être privé de son traditionnel second café de la journée l'était beaucoup moins.
Une fois rassuré sur le côté pécunier de son entreprise, Ezekias parcouru les quelques mètres qui le séparait de son
target point. (Ezekias étant joueur de FPS dans ses heures perdues, il confondait un peu tout lors de ses montées d’adrénaline) Durant ces quelques secondes de parcours, il envisagea les nombreuses façons d’aborder la belle de manière originale, hésitant entre une entame humoristique référencée à Tigrou, un effet de surprise où il mettrait en avant son caractère imprévisible, ou bien tout simplement rester naturel. Après tout il portait son T-shirt vert et rouge aux motifs russe, celui qu’il aimait tant, et il se sentait assez confiant.
Arrivé à hauteur de la machine à café, la fille se retourna, un café déjà en main, et pris la direction des salles de cours. Dans le chaos total de son esprit, Ezekias cru entendre un «s’lut» lointain et effacé. Il pris un moment, regardant d’un air éteint les motifs lumineux de la machine, pris comme à son habitude un café crème, peu sucré, qu’il appréciait particulièrement, et s’assit dans le petit salon triste.