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Merci infiniment Sir Frolo Xeres . Vous avez toute ma gratitude .
Partie 6
-Un feu d’artifices-
Le Narrateur :
Je retrouve péniblement leurs traces .
Ce n’est pas tous les jours faciles de tenir la piste de deux cœurs orageux , lancés en pleine liberté dans notre monde . Dans notre double-monde , car il existe bel et bien deux réalités . L’un d’elles , organisée , laquée , plaquée , affichant un sourire mesuré et une folie cadrée . L’autre , dévastée et sans espoir , criblée par sa propre haine . Ces loups sont reconnaissable à une chose , on ne peut pas les apprivoiser . Et de nos jours , les connexions entre ces deux mondes sont de plus en plus fines .
Il y a quelques jours , j’ai appris les récentes retrouvailles de nos deux amis , et c’est donc avec impatience que je me suis rendu à Tolstran , en quêtes d’informations supplémentaires , gageant que leur passage avait du laisser des traces dans cette petite bourgade , engoncée entre les collines qui parsèment cette région, écrasée par le soleil et par l’odeur incomparable de la lande embrasée . Je marchai dans les rues comme un fantôme , lorsque je vis un groupe de jeunes gens , accompagnés parfois de leurs parents , de leurs frères , de leurs amis , amants et amantes , sous l’ombre des arbres qui s’étendaient , au milieu de cette place de village , offrant grâce à leurs larges feuilles une fraîcheur confortable et douillette . Ils regardaient tous dans la même direction , un peu en hauteur , vers les hautes montagnes que dévorait le ciel bleu . Tellement bleu et immaculé que les mots ne peuvent pas le décrire . Bleu comme une robe de princesse qui tourne et virevolte et brûle dans l’éclat du bal . Une explosion azurée de ciel . Certains se tenaient par la main , d’autres par la taille ou par les épaules , j’ai souvenance de cette bande de quarantenaires bon vivants , humbles mais arborant un beau sourire , en short et en tongs , si si (qui a dit qu’il fallait , pour la quête du bonheur , porter une armure) , se tenant par les épaules , semblant se soutenir , lançant des regards au ciel , mêlés d’amour et de défi , couvant parfois du regard , pendant quelques instants , leurs familles assises non loin de là . Où encore de ce petit garçon d’une dizaine d’années qui demandait à une vieille dame toute vêtue de blanc , visiblement sa grand mère , ce qu’ils faisaient tous ici à regarde en l’air . Elle lui répondit avec un sourire entendu , lançant son regard vieilli vers le ciel qui lui répondit en fortifiant sa voix qu’ils « contemplaient » , puis , ébouriffant les cheveux du marmot , elle lui conseilla d’aller jouer avec une bande d’enfant qui arrivait juste et venait se joindre au rassemblement .
Assez rapidement , je compris que mes deux diables devaient y être pour quelque chose . J’abordai le premier membre de cette étrange procession , et lui demanda en hâte :
«-Que faîtes vous ?
-Nous regardons le ciel
-J’avais remarqué .. mais , pourquoi ?
-Il y a quelque chose de beau dans l’air .. Nous le touchons , le sentons , l’entendons , c’est ce petit craquement de l’herbe lorsque l’on marche dessus , c’est aussi le sourire de nos fils ou les sourires qu’échangent tous les amants , qu’ils aient dix-huit ou quatre-vingt dix ans . Tous les jours nous nous retrouvons . Nous écoutons , regardons , sentons , puis nous allons choisir une direction . Puis nous marcherons . C’est , nous pensons , la meilleure chose à faire .
-Et depuis combien de temps êtes-vous là ?
-Bientôt un mois . Notre ferveur tient et ne faiblit pas . Même si elle devait flancher , ça serait un signe supplémentaire . Nous sommes partis pour nous arrêter partout et nulle part . Sans idée de l’arrivée mais avec la ferme intention de frapper le sol . Vous vous demandez sans doute ce qu’il s’est passé et je vois en vos yeux briller la curiosité et un curieux pressentiment . Voyez-vous , un mois plus tôt , justement , est arrivée en ville une fille bien étrange que nous avons tout d’abord traité comme une vagabonde , sans violence car nous sommes des gens plutôt hospitaliers , mais , je dois bien l’avouer , avec un certain dédain . Néanmoins , nous ne pouvions pas la laisser dehors , car son corps était secoué par un choc étrange et tout en elle semblé désordonné et livré au chaos . Sur ses bras d’ailleurs on pouvait voir d’étranges et affreuses cicatrices . Elle fut donc logée dans une de nos familles . Et ce furent les Lilea , d’honnêtes marchants qui prirent en charge pour quelques temps la jeune femme . Malheureusement , ces gens à la réputation pourtant dorée ont le malheur d’avoir une vie familiale mouvementée et remplie de cahots , de non-dits et de mensonges . Tout le monde le savait , mais il était très difficile de se prononcer sur ce sujet . Aussi , même si Tolstran est une ville qui , comme toutes les villes de campagnes , marchent sur le principe des petits racontars entre voisins et voisines , nous préférions ne pas aborder le sujet . »
Je remarquai que l’homme parlait en des mots qui n’étaient pas pour le flatter . Pourtant , sa confiance ne faiblissait pas . Tout en lui irradiait une sorte d’aura presque tangible , et je restai frappé quelques instants en constant qu’il en allait de même pour chacune des personnes ainsi réunies sur cette place douce et ombragée . Il poursuivit .
« Ainsi , le fils Lilea n’adresse plus un mot à ses parents depuis des mois , ils vivent dans un demi-silence oppressant ponctué seulement par les crises de nerfs et de violence du fils , Taro , qui part alors dans la campagne environnante , arracher à la terre tout ce qu’il peut trouver , frapper les murs et parfois hurler au ciel des phrases dans une langue impossible à identifier . Son père est un homme fier mais qui s’enlise chaque jour dans une attitude inamovible et anachronique tandis que sa mère , une femme très pieuse, se confond en pleurs et en prières , sans pouvoir toujours retenir le flux de colère qui parcourt cette maison maudite et devient parfois assez puissant pour briser les barrières qu’elle érige . Alors elle se mure et n’adresse plus que des reproches , les rares fois où elle parle . Dans cette famille , vivait également une jeune fille du nom de Kairo , qui fuyait chaque jour un peu plus ces sombres et mornes journées de silence . Elle passait ses journées dans les ruelles de la ville en côtoyant des gens assez étrange qui peuplent les arrières-rues de Tolstran , magiciens , paraît-il .. Sorciers , peut-être . Ils se font appeler les Silencieux , pourtant leur attitude débauchée était bien connue de tous (d’ailleurs , ils semblent plus ouverts en ce moment , certains d’entre eux viennent et se joignent à notre quête , tout en gardant leurs différences , si vous patientez un peu , vous les verrez arriver dès que le soleil aura quelque peu décliné .. ils ne sont pas encore assez habitués à la lumière ..) , et , petit à petit , Kairo avait fini par devenir une vraie furie . En ceci , elle ressemblait de manière amusante à la jeune fille qui allait élire domicile dans cette maison de fous . Kairo s’habillait toujours en noir , avec une longue robe sombre comme l’ébène , même au cours des étés les plus chauds et pouvait passer en quelques secondes du recueillement le plus mystique à des rages folles et incontrôlables qui se terminaient implacablement en larmes , les siennes et celles de ceux qu’elle aime malgré son tempérament enflammé .
La jeune Khirâ était donc tombée à l’endroit le moins adapté à son instabilité notoire . Au bout de quelques jours , elle éclata . Je m’en rappelle . Ce jour là , Kairo , qu’elle avait fini par aimer malgré son mauvais caractère n’était pas rentrée la veille et avait dormi dans les rues de Tolstran . Après les prises de bec rituelles , emportée par cette affection qu’elle même refusait de voir , Khirâ gifla la jeune fille qui le lui rendit avec force crachats et haine . Par la suite , croisant Taro , sans même lui adresser une parole , elle l’empoigna et le plaqua contre le mur de sa chambre . Puis , fermant la porte , elle s’élança vers lui et le saisit à la gorge lui criant de prendre soin de sa sœur et de toute sa famille . En retour , elle ne reçut que les larmes du jeune garçon , qui avoua ainsi son incapacité à donner ce qu’il gardait en lui . Elle comprit alors que la violence était facile , mais que la parole sage demandait autrement plus d’efforts et de courage . Elle le réconforta avec tendresse , prit les deux enfants par la main avec une vigueur incroyable , puis sortit de la pièce et de la maison des Lilea avec la vivacité du démon , passant à sa ceinture , au passage , le bâton de marche qui l’avait tant de fois soutenue , alors qu’elle parcourait les chemins du doute .
Rendue dans la rue , toujours traînant derrière elle les deux enfants à présent bien silencieux , elle courut ici , où nous tenons en ce moment . Puis , enflammant son bâton , elle mit le feu à une des vieilles carrioles qui stationnait sur la place . Au bout de quelques minutes , les flammes étaient devenues immense et dévoraient le bois avec une voracité effrayantes et , déjà , les habitants du village affluaient par dizaines , puis par centaines . Elle sema le feu à quelques autres endroits , puis toute l’assistance , à présent rassemblée retint son souffle lorsqu’elle sauta au milieu des flammes , sur les cendres de la carriole , entourée par des flammes qui semblaient vouloir attraper ses jambes et l’avaler toute entière . Puis , brandissant la longue branche noueuse qu’elle avait passé à sa ceinture , elle invita la population ainsi rassemblée à l’écouter . Au milieu des flammes , elle criait d’une voix tremblante . Taro et Kairo étaient à la lisière des flammes , silencieux .
« Vous ne voyez donc pas que nous nous condamnons chaque jours !
Il n’y a plus que l’amour qui puisse nous sauver !
Il n’y a plus que ça . Sans amour nous mourrons !
Regardez !
Il n’y a plus que l’amour qui puisse encore nous sauver !»
Elle répéta cette dernière phrase une dizaine de fois avant de s’arrêter , subjuguée . Au milieu de la foule , un des Silencieux avait retiré la longue capuche noire qui voile d’habitude le visage de ces singuliers personnages et les traits de ce visage , ou peut-être l’éclat de ces yeux , à la fois insoutenable et fragile , la plongea dans une profonde méditation , puis elle explosa à la lueur des flammes , descendit de son piédestal et courut à travers la foule . Le jeune homme en fit de même . Au milieu de cette place , ils se retrouvèrent et s’étreignirent comme de vieux amis qui se retrouvent , après des années d’absence . On apprit ensuite que ce jeune homme n’étais pas l’un des Silencieux , mais qu’il se prénommait Rainn et que , malgré leurs apparentes différences , ces deux personnages étranges se connaissaient bien .
L’épisode était clos . Mais pourtant , choqués , moins par la singularité de la scène que par l’orage qui soufflait à présent dans leurs têtes , l’orage de réflexions et de doutes , les habitants de ce beau village restèrent prostrés un moment et ce fut au tour de Khirâ de s’en étonner . Puis , Taro et Kairo s’écrièrent en chœur : « Il n’y a plus que l’amour pour nous sauver ! » et s’élancèrent vers les deux personnages qui avaient bouleversé l’histoire paisible de notre bourgade . Tout le monde en fit autant , célébrant le doute et l’espoir qui semblaient briser des chaînes confortables , dont , à présent , ils ne voulaient plus Khirâ et Rainn parlèrent alors du soleil , de la foi , du désespoir et de l’once de beauté que l’on trouve dans chaque émotion à condition de la teinter d’amour . Du libre-arbitre et de la différence . Rien ne changea vraiment dans la famille Lilea , mais les cœurs sont en ébullition , tout se bouscule depuis , dans l’esprit de chacun , et , élancés dans le même mouvement , la violence du réveil passée , nous nous retrouvons ici . Khirâ et Rainn sont partis depuis longtemps , et d’un côté c’est une bonne chose car nous n’avons pas besoin de guides mais de liberté et d’amour . Voulez-vous vous joindre à nous , ce soir ? »
J’acceptai avec enthousiasme . Le ciel me regardait . Mes deux diables avançaient vite et bien , il étaient content .
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