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En me levant j'ai vu dans ma peau le souvenir de toutes les feuilles tombées , de toutes les saisons mortes dans un coin de la plaine , des souvenirs innombrables de la feuille , j'y ai aussi vu la paleur triste de la pierre , ou peut-être sa joie immobile , la frénésie des rivières , les erreurs de l'homme , le regard un peu hagard de celui qui les a crée , et qui les regarde aller dans tous les sens et qui se demande , secrètement , s'il doit trouver ça beau ou s'il doit décréter qu'ils sont dans l'erreur .
Je me regarde m'aveugler de visions , je perçois le rouge de mes yeux , la colère de mes mains , de mes bras qui cherchent à s'abattre dans un quelconque châtiment destiné en fait à mon incapacité à créer quelque chose de parfait ou peut-être aussi à l'indépendance de cette Création qui grandit , et peine à peu . Dieu est un peu en colère , mais il vit à travers ces âmes et vois dans ces yeux , il ne sait pas vraiment pourquoi , mais il continue son oeuvre , sans douter un instant .
Je suis là , perdu dans les fôrets , sur les places des villes , je suis partout , et une partie de moi vit dans le marchand qui passe tous les jours dans sa vieille voiture devant chez moi , lorsque se reveille mon infinie bonté qui fait m'élancer vers lui , lui taper amicalement dans le dos puis , lui dire , d'un air grave , qu'un jour ses freins finiront par le lâcher , qu'il n'est plus très jeune et qu'il a du économiser beaucoup dans sa vie , alors pourquoi ne reunirait-il pas un peu d'argent pour s'acheter une nouvelle voiture , ou même pour changer ses freins .
Eh oui , il ne faut pas croire que le seul travail Dieu a crée le ciel , la terre , les étoiles et tout le reste et qu'ensuite il s'est perdu dans sa contemplation . Je travaille , comme tout le monde ! Et pas de retraite pour moi ..
Et puis je regarde les Eglises , du haut d'un nuage quand je choisis de me concentrer sur la forme d'un nuage , de l'intérieur quand je murmure quelques mots à un prête , à un enfant ou à sa mère , pour capter son attention et ainsi voir par ses yeux . Je me suis souvent demandé si j'ai vraiment crée les hommes ou si je suis né d'un de leur rêves . Pourtant , dans ma mémoire , la Création est ancrée solidement , bien que faisant partie de ma plus tendre enfance , mais de qui suis-je né , alors ? C'est à ce genre de questions que devraient répondre les hommes , trouver d'où ils viennent , trouver où ils vont , pour finalement se rendre compte qu'en attendant ils sont ici , dans un cycle incroyable , dans un parcours qui m'étonne moi-même , de transformation , d'amélioration , de chutes , de décadences où la vie cherche par eux , comme elle cherche par moi . Au lieu de ça ils me dessinent m'invoquent , soliloquent avec moi , partent , se retire au fin fond des montagnes , déchirent leur peau et regardent s'amaigrir leur corps avec orgeueil , rechignent à rependre l'amour qui est l'énergie même de la vie , refusent de toucher un corps , bannissent le désir et toute préoccupation en dehors de la vie . Ils disent "Meurs mainentenant et plus rien ne pourra te toucher". Effectivement , le mal existe , mais il est dans les motivations du désir et non dans le désir lui-même ! Même moi j'ai besoin d'être rassuré , de me sentir compris par mes propres créatures .
Je suis Tout car j'ai Tout crée , mais cela implique aussi que tout est moi et , à cause de ça , il m'arrive souvent d'avoir de sérieux problèmes de personnalité .
Tout le monde souffre , et moi aussi .. Mais c'est une partie de la vie , et s'il est possible de s'en défaire , pourquoi pas ? Tous les chemins spirituels m'intéressent car ils me révèlent une partie de moi , mais quitter la vie pour un lent exode est trop dommage et c'est souvent une peur sans nom que je vois gravée , depuis longtemps mais qui enfin se révèle , sur le front des plus grands prêtres , des plus grands précheurs ou ascètes . La peur de s'être trompés , la peur d'avoir passé une vie sous silence alors qu'elle était juste là .
Savoir que la souffrance fait partie de la création et contribue à elle peut être , en outre , un réconfort . Comme le grain de froment qui doit "saigner" : s'ouvrir , pour que sa semance aille en terre et que naissent d'autres de ses semblables qui feront ainsi perdurer sa vie .
En réalité , j'ai l'impression qu'il vaudrait mieux arriver à être heureux de tout plutôt que d'avoir à quitter cette vie pour Mon Palais Celeste dont j'apprends chaque jour l'existence avec un peu d'inquiétude car je ne l'ai jamais vu .
J'ai cru être découvert , percé , mis à jour , par un écrivain français qui se nommait André Gide , et maintenant que je me rappelle clairement , que j'ai la solide certitude d'être Dieu , je me souviens que j'aimais beaucoup le voir écrire , dans la demi-pénombre de son bureau de travail , reclus d'un monde qui vivait et brûlait pourtant à quelques couloirs de lieu d'isolement . Il écoutait les sanglots des nouveaux-nés , l'amour des mères , les hésitations gauches des maris , la force , la trempe qu'ils s'inventaient et écrivait , ensuite , comme inspiré , comme s'il s'était nourri des battements de ces coeurs , ou , plus précisément , des battements des âmes de ces gens . Il écrivait , avec un sourire creusé , sa peau déjà vieillie , dans un mélange de Félicité et d'angoisse devant ce qu'on ne pouvait nommer . Mais il avait la fâcheuse habitude , comme Kant , et une myriade de philosophes grecs dont j'ai du mal à me rappeler le nom une division du monde entre "le vulgaire" et "le savant" , l'un étant , du point de vue de la connaissance et de la vérité , bien au dessu de l'autre , ce qui est peut-être vrai , mais , plus grave , ceci faisait de lui qu'il possédait , du coup plus de "valeur !" ainsi Gide parlait de colonies , parlait de la mort de gens de peu de savoir comme d'une broutille pendant qu'il s'émouvait devant les tristesses de savants , devant tant de "beau et docte" désespoir .
Pour Kant , et j'ai bien connu cet homme un peu fragile , il y avait ceux qui étaient nés pour travailler et ceux qui étaient nés pour comprendre .
Le monde s'organise peut-être comme ça , mais jamais je ne l'ai crée dans ce but , et , même s'il évolue comme ça , jamais en tout cas la valeur ne peut être enlevée à certains pour être donnée à d'autres car tous sont une part de Dieu . Je me perds un peu dans mon raisonnement car je suis réveille depuis peu , mais je crois tenir mon fil et je vais continuer à m'y tenir .
Il a mis à jour le fait que les hommes qui me cherchent me trouvent , mais ceux qui cherchent à me nommer et à me saisir , à ceux-là j'échappe le plus . De combien de visages étranges , hideux ou inquiétant je me suis vu affublé pendant ces derniers millénaires ! Moi qui ne sais pas vraiment à quoi je ressemble en dehors de l'étincelle que je peux allumer dans les consciences des humains !
Je me demande pourquoi ils ont tant besoin de me saisir . Peut-être parce qu'eux aussi cherchent leurs origines , cherchent leurs réponses , au même titre que moi je cherche mes origines et mes réponses .
Ils ont inventé le diable , les anges , le Pardon divin , et ce Banquet qui devrait avoir lieu quelque part dans l'éternité et auquel je suis sensé convier toutes les âmes vertueuses . Eh bien .. heureusement que l'éternité n'est pas pour demain , parce que je sens que je vais encore avoir beaucoup de travail , pour préparer tout ça .
Et encore , je ne le ferais que si je veux leur faire plaisir , pour ne pas qu'ils aient le sentiment de se tromper , d'avoir suivi toute leur vie une mauvaise voie . Mais que dire de la tristesse et de la déception qui m'envahit lorsque je vois un ascète au bord de la mort tant il se prive de joies et de nourriture et qui parle avec Moi par l'intermédiaire de je ne sais quelle prière , alors que moi je suis assis dans un coin de sa cellule et j'attends simplement qu'il me regarde .
Pourquoi vouloir me saisir ? J'ai simplement besoin d'aide pour faire avancer un monde qui me dépasse un peu , de quelqu'un qui me voie sans me fixer , qui me parle sans me nommer , qui ne cherche pas à savoir qui je suis mais qui se rende compte que je suis lui même lorsque je vagabonde de l'Europe aux contrées les plus reculées d'Afrique , jusqu'à la pointe orientale de l'Asie .
Les hommes sont devenus très intelligents mais sombrent dans une mélancolie très ombrageuse , tant ils semblent ne plus écouter leur coeur , qui , lui , pourrait leur dire , peut-être même mieux que moi quand un désir est bon et doit être suivi ou quand il est produit par les frustrations qu'engendre une vie terrestre et qu'il s'inscrit dans ce même chemin frustration-désir-violence .
Avoir envie de faire perdurer son espèce est un désir impossible à condamner , avoir envie de se mourir lorsqu'on a fin en est un autre , avoir envie d'échapper à la tristesse en est encore un autre . J'ai une profonde tendresse même envers le mendiant qui se saoule pour oublier sa misère . Le tout étant de ne pas oublier que quelque part , aussi , moi , vous et nous car nous sommes un peu les mêmes , sommes quelque part Dieu et que nous participons à quelque chose qui dépend de nous . Ainsi l'ivrogne peut-il se détacher de l'alcool et trouver la beauté dans autre chose qui ne le détruira pas . Car la vie est capricieuse et n'aime pas qu'on joue avec elle . Elle nous félicite quand nous l'exaltons , la rendons belle , mais nous fait sentir son mécontentement lorsqu'on la fait mentir ou lorsque , désabusés , nous la transformons en horrible monstre difforme qu'il faudrait quitter pour enfin accéder au Père et à son banquet bizarre qui me pose toujours problème . Du reste , je n'ai pas vraiment envie de créer une apocalypse , c'est beaucoup de travail et j'ai plutôt la tête à faire jaillir , de ci de là dans le monde des étincelles de savoir détaché , d'espoir , des "Guerriers de la lumière" comme dit si bien un auteur que j'ai lu avec beaucoup de plaisir , et qui s'appelle Paolo Coelho .
Gide avait dit "On le cherche , et puis on ne le trouve pas alors on décrète qu'il est partout , l'Introuvable , et on s'agenouille au hasard" .
Je suis un peu partout , par ma grande mémoire présente dans tous les objets et tous les hommes , par mon souffle qui passe à travers eux et en eux et celui qui veut me parler me trouve , mais par pitié , arrêtez de vouloir me dessiner puisque , même avec la plus grande sincérité du monde , je ne pourrais jamais vous dire à quoi je ressemble puisque moi-même je ne le sais pas !
Alors autant aider la vie dans sa quête d'elle même , de beauté , de compréhension , puisqu'elle est ce qui nous relie .
Je me demande comment j'ai pu oublier aussi longtemps que j'étais Dieu ..
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