La sentinelle banda son arc et visa d'un oeil exercé l'ombre sylvane. Le tir s'effectua, rapide, sûr, précis. L'ombre sursauta en hurlant de douleur et se précipita en courant vers Chegwidden qui dégaina rapidement sa faucille.
Le combat qui s'en suivit dura quelques minutes. La sentinelle évitait soigneusement les coups, parait à l'aide de son bouclier, utilisait consciencieusement tous les styles de frappe que lui avait enseignés Labhras le maître qui lui avait tout appris. Lame de feu, lame revancharde. Larme d'horizon, lame dansante. L'ombre sylvane n'avait aucune chance. Après quelques minutes de combat, elle mourut dans un râle d'agonie.
Chegwidden sourit en rengainant sa faucille, ferma les yeux quelques secondes, le temps de retrouver son endurance puis se baissa pour dépouiller l'ombre des quelques trésors qu'elle possédait certainement. La chasse des ombres sylvanes pouvait parfois rapporter des récompenses intéressantes. Celle-ci hélas n'avait rien d'autre sur elle que quelques pièces d'argent que Chegwidden s'empressa de glisser dans ses poches.
Elle reprit à nouveau son arc et partit en courant à la recherche d'une autre victime. Elle était en chasse depuis le début de la matinée et elle avait bien l'intention de passer plusieurs jours sur Hy Brasil. Elle pensait demeurer encore quelques heures dans les environs d'Aalid Feie et ensuite elle irait passer la nuit dans la région du Roc Vigilant, non loin de Necht. L'endroit était certes dangereux mais lors de sa dernière visite sur la terre des Sylvains, la jeune femme avait repéré une petite clairière accueillante non de loin du village habité par les sentinelles sylvestres. Chegwidden s’était fait des amis de ces imposants Sylvains. Ils demeuraient étrangement silencieux lorsqu'elle essayait de leur parler mais ils toléraient sa présence lorsqu’elle installait son bivouac à quelques pas de leurs huttes. Leur présence rassurait la jeune femme.
Jusqu'au soir, Chegwidden combattit les ombres sylvanes. Puis, lorsque la fatigue eut raison d'elle, elle se rendit dans la clairière et alluma un feu. Elle sortit ensuite quelques victuailles de son sac et mangea de bon appétit en regardant les flammes pétiller devant elle.
Le regard dans le vague, elle se détendit enfin. Toute la journée, elle avait été sur ses gardes, elle avait combattu avec détermination et concentration. Il semblait qu'elle avait toujours des choses à se prouver. Non, ce n'était pas une idée, elle avait toujours des choses à se prouver. De loin en loin, depuis qu'elle était jeune, elle avait eu besoin de ces instants de solitude, ces instants durant lesquels elle n'essayait de compter que sur elle-même. Pour savoir. Pour être certaine que… si un jour elle se retrouvait vraiment toute seule, elle saurait survivre…
Chegwidden secoua la tête, comme pour écarter ces pensées étranges. Pourquoi se retrouverait-elle toute seule ? Elle avait sa guilde, ses amis étaient là et elle savait qu'elle pourrait toujours compter sur eux. Mais alors pourquoi était-elle seule, perdue au milieu de la terre hostile d'Hy Brasil alors qu'elle aurait pu être près d'eux, à combattre ou à faire la fête ? Elle soupira. Elle savait bien que c'était elle qui recherchait ses instants d'isolement. Elle en avait besoin régulièrement, pour se retrouver, pour se souvenir de ce qui avait été, pour trouver ce qu'elle cherchait, pour tenter de savoir ce que lui amènerait l'avenir.
Depuis quelques mois, elle songea que toute sa vie ne tournait autour que d'une seule chose. La guilde. Elle avait mis toute son énergie, toute sa volonté au service de sa guilde. C'était la seule chose qui importait vraiment. Que les Anges Gardiens continuent à servir Hibernia, que les couleurs bleue et blanche de leur emblème soient reconnues dans toutes les régions d'Hibernia. C'était d'ailleurs en bonne voie, songea-t-elle. Elle ne comptait plus le nombre de fois où de grandes guildes avaient fait appel à certains Anges pour participer à de grandes batailles. La guilde se portait bien et Chegwidden savait que c'était un peu grâce à elle. Elle était fière de ça.
"Ne serait-il donc pas temps de penser un peu à toi?" lui souffla une petite voix dans sa tête. Penser à elle ? Chegwidden eut un petit rire ironique. Mais pour faire quoi ? Elle n'avait pas besoin de penser à elle, à ses envies, à ses besoins, elle n'en avait pas. Elle ne vivait que pour la guilde… La petite voix dans sa tête lui souffla encore : "tu sais que c'est faux… tu aspires à autre chose…"
La sentinelle ferma les yeux et se laissa envahir par la douce chaleur des flammes. Oui c'était vrai. Elle aspirait à autre chose. Mais ce qu'elle voulait, ce qu’elle désirait, au plus profond d’elle, elle savait pertinemment qu'elle ne l'aurait jamais… Quelque chose de si proche mais tellement inaccessible en même temps… C’était un rêve qu’elle avait et ça demeurerait à jamais un rêve qu’il valait mieux ranger au plus profond de son cœur…
Alors... Alors son destin serait à jamais lié à celui de SA guilde. Contre vents et marées, elle défendrait les couleurs des Anges… Et si un jour, les Anges Gardiens devaient disparaître d’Hibernia, alors… elle s’en irait.
C’était ainsi. C’était la vie qu’elle s’était choisie. C’était sa vie.
Sur cette pensée douce-amère, elle s'enroula dans sa cape et plongea rapidement dans un sommeil sans rêves.
***********
Le lendemain matin, Chegwidden se rendit en ville de Necht afin de vendre le butin qu'elle avait accumulé la veille en chassant les ombres sylvanes. Elle allait repartir en chasse, cette fois contre les botonides lorsqu'elle fut interpellée par un messager lurikeen qui venait juste d'arriver en ville.
- Dame Chegwidden, des Anges Gardiens ?
- Oui c'est moi.
- J'ai un message pour vous. Il vient de Tir Na Nog.
Le lurikeen lui tendit un rouleau de parchemin et Chegwidden lui remit quelques pièces d'argent pour la peine.
Elle décacheta le rouleau et le parcourut rapidement. C'était un message de Sylus, l'avertissant qu'Albion, encore une fois, allait tenter de s'emparer du reliquaire de Dun Lamfhota. Elle était attendue, comme tous les autres Anges pour aller combattre les ennemis du royaume. Chegwidden soupira. Cette maudite guerre n'aurait-elle donc jamais de fin ? Elle déchiffra le reste du message et fut surprise de constater que Mugathdem les attendait à Druim Cain… Pourquoi Druim Cain ? Le reliquaire de Dun Dagda était vide… le chaudron était en possession des ces maudits Trolls et si le second reliquaire était attaqué, il eut été plus judicieux de se retrouver à Druim Ligen… Bah après tout Mugathdem avait certainement de bonnes raisons de les attendre à Druim Cain.
Elle rangea le parchemin dans sa tunique et se dirigea vers le palefrenier. Le chemin de retour sur le continent allait être très très long… Elle n'était pas sûre de pouvoir arriver à temps, elle espérait que oui.
Après deux jours d'un voyage épuisant, Chegwidden arriva enfin à la forteresse de Druim Cain. En sautant à bas de sa monture, elle sentit tout de suite que quelque chose d'anormal se passait.
La forteresse était vide. Totalement. Chegwidden pénétra par la grande porte et fut forcée de constater qu'il n'y avait plus âme qui vive dans la citadelle. Les gardiens du fort, les maîtres guerriers, magiciens ou ovates qui y officiaient avaient disparu également. Il n'y avait non plus pas la moindre trace des maîtres Eldritch qui surveillaient habituellement le défilé des Mont Collory. L'endroit était totalement désert mais le plus étrange, c'est qu'il n'y avait aucune trace de bataille, ou de preuves d'une lutte quelconque. Les résidents de la citadelle semblaient avoir tout simplement disparu.
Elle grimpa rapidement les marches menant sur le chemin de ronde et alla jeter un œil sur le défilé menant aux Monts Collory. Tout semblait calme et normal. Mis à part l'absence des gardiens de la forteresse, elle ne voyait rien d'étrange. Elle allait redescendre lorsque son regard fut attiré par quelque chose se déplaçant dans l'immobilité du paysage.
En fait, ce n'était pas seulement une chose mais deux, puis dix créatures qui se dirigeaient en grimaçant et en hurlant vers la forteresse. Chegwidden demeura figée sur place en reconnaissant les monstres qui se dirigeaient de plus en plus nombreux vers elle. Elle voulut hurler mais aucun son ne réussit à sortir de ses lèvres. Tout ce qu'elle réussit à faire, ce fut de se retourner et de fuir. Fuir le plus loin possible…
A suivre...
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