~*~ Partir ~*~
Flic. Floc. Des gouttes tombent du plafond mal isolé et résonnent comme autant de coups de marteau dans la tête de Willmer. Ou plutôt comme le le tic-tac déréglé d'une horloge de salon, incessant, envahissant. Dehors, la pluie tombe de façon éparse mais suffisante pour provoquer cette fuite irritante. L'homme jette un vague coup d'oeil au plafond, pour chercher une éventuelle brèche d'où coulerait cette eau importune. Mais ce geste est plus mécanique que volontaire, et l'ombre changeante dans la pièce le ramène à l'importance du moment.
Gaelann, elle aussi, revient à la réalité. Elle sait apprécier le silence parfois. Le soulagement quand le tintamarre des armes se tait, quand les cris de bataille meurent finalement, que les ordres cessent d'arriver pelle-mêle à ses oreilles. Le calme, éclaircie après la tempête, comme le soleil qui à l'instant revient après cette petite averse. Mais, en l'occurrence, Camelot n'est pas un fort assiégé, et elle n'est pas venue ici pour ne sortir mot. Non, elle s'est glissée dans ce bâtiment discret et perdu de la capitale pour annoncer sa décision.
Son regard quitte la fenêtre et revient vers Willmer. Observant sa stature puis son visage, elle cherche à savoir ce qui se passe dans la tête de son ami. Après son petit discours qu'elle avait travaillé toute la soirée d'hier, elle s'attendait à une réaction différente. Certes Willmer n'est pas un grand bavard, mais quand il désapprouve quelque chose il n'hésite pas à le faire savoir. Alors pourquoi ces lèvres closes ? Difficile de lire quoi que ce soit sur cette figure fermée. Ses yeux toutefois montrent que son attention est de nouveau sur elle. Doit elle tenter de le faire réagir ou bien attendre qu'il se décide à parler ? Dernièrement tout lui paraît si lent, si dépourvu de sens. Elle souhaitait que cette séparation soit un moment privilégié quoique douloureux, pas une épreuve sans goût, sans échange.
Willmer se relève faisant grincer son armure de cuir. Pour un homme d'action il se trouve soudain bien passif. L'annonce de Gaelann, il s'y attendait, quelque part. Mais cela faisait si longtemps qu'elle vivait ainsi, il la croyait sevrée de ces idées. Elle n'a donc jamais acceptée, et la voici qui lui déclame sa décision il y a quelques minutes. Abasourdi par cette annonce, il a du s'asseoir pour ne pas tomber. Et maintenant il essaie de revenir, de faire face à ce fait, et à son amie. Et, découvrant de la déception plus que de la détresse chez elle, il se décide à ouvrir le bal.
- Pourquoi ? Je sais bien que c'est une question creuse, mais, là, je n'arrive pas à penser clairement.
- Je n'ai plus envie. Ca fait plusieurs semaines que je traine cette absence, comme un poids qui me ralentit. Je n'en peux plus, tu comprends ? Ca ne peut plus durer, il faut que je parte.
Maintenant que la vanne est ouverte, un flot de réponse se déverse dans la tête de Willmer, le noyant sous des pensées confuses.
- Mais... Mais on s'est bien amusé tous les deux, depuis quelque temps, non ? La Ballade dans les montagnes ! Le délire avec les copains à Pennine ! Ou, euh, la défense victorieuse du Caer. Tu rayonnais alors. Qu'est ce qui t'arrives exactement ?
- Je ne dis pas que tout est noir. Mais le coeur n'est plus là. Les montagnes sont toujours les mêmes. Les copains, je connais leurs blagues par coeur. Et repousser ces barbares, je l'ai fait bien trop de fois, à quoi bon puisqu'ils reviennent sans arrêt ? Et tu sais bien ce qui me pèse le plus, ce qui m'est une épreuve à chaque fois. Je ne veux plus ... "vivre" ... ça. Plus jamais.
- Alors tu nous lâches, hein ? Tu fuis tous tes problèmes, mais aussi tous tes amis, juste pour cette fatigue passagère ? Je ne crois pas que cette idée te soit venue comme ça, apportée par la Lumière ou je ne sais quoi. Qui t'a mis ce truc en tête ? Qui t'a parlé de ce moyen ?
Gaelann se passe les mains sur son visage. Elle savait bien qu'il finirait par demander. Willmer n'est pas la moitié d'un imbécile. Un éclaireur se doit d'avoir un minimum de jugeote pour survivre au front. Maintenant il faut choisir. Doit elle lui avouer sa source ou bien partir avec ce secret ? Après tout, que lui importe maintenant ? Mais elle avait promis...
- Réponds moi, Gaelann ! Quoi ? Tu veux protéger quelqu'un ? Tu sais bien que je ne suis pas rancunier, et pas délateur non plus. Par contre, je veux savoir la vérité !
Tout en parlant, il s'est rapproché d'elle. Il ne voit maintenant plus que son visage, et l'indécision qu'on peut y lire. Mais ce voile de doute tombe vite, et elle lui répond.
- C'est ...
Des pas pressés, une porte qui claque, des braillements ! Pas le temps de finir sa phrase. Ils sont là, il frappent.
- Ouvrez ! Au nom de la Lumière, Ouvrez !
Encore des coups, et des mouvements devinés derrière les solides planches de chêne.
- Ouvrez ou je défonce cette porte !
Les deux amis se regardent, et acquiescent silencieusement. Ils savent agir de concert, et dans l'urgence. Willmer prend une flèche dans son carquois d'une main, de l'autre il fait sauter son arc de son dos et le positionne devant lui. Il présente la flèche à Gaelann. Elle allume un briquet qu'elle a immédiatement sorti de sa poche, et le feu se transmet à l'embout huilé situé derrière la pointe. L'archer bande son arme d'un geste vif et tire. Il range son arc et offre sa main à son alliée. Elle la prend, toujours sans un mot, et jette un dernier regard au bois de la porte qui s'enflamme avant de suivre Willmer et de courir vers le fond d'une pièce adjacente.
Alors qu'elle grimpe à l'échelle de corde qui tombe du plafond, elle entend la surprise des assaillants et le chaos produit par le feu. Il semblerait qu'elle doive encore parcourir un peu de chemin, finalement. Prise dans l'action, elle se force à arrêter de tergiverser, et se lance dans cette fuite redoutée mais peut-être inévitable.