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Voilà un petit texte.. ce que je voudrais vous demander, c'est, à sa lecture, si vous avez déjà éprouvé cette profonde tristesse à la vue d'une misère résignée de ce genre ?
Cela fait mal au coeur ..
Seele.
"Il est dans assis, et en a l'habitude. Dans sa chambre, peu de choses ne lui sont pas complètement familières, voir usées. Pourtant, il est très loin de pouvoir prétendre être blasé, du haut de ses deux premières dizaines d'années quasiment révolues. Sur son bureau, un ordinateur trône, majestueux et étranger à lui, mécanique, lumineux, froid. Il aime bien le considérer comme un être, avec tantôt ses caprices et tantôt ses étonnantes embellies d'humeur, mais la plus simple prise de recul le fait se rendre compte de la gravité de la situation .. Même tout seul et intérieurement, parler de sa relation avec une machine.."
Il ne sait pas que vous le voyez .. restez tapi avec moi, dans l'ombre, là où nous sommes, ce pauvre garçon ne peut pas nous voir, restez dans l'ombre, d'ici jusqu'à là, il ne pourra pas vous voir. Et regardez donc ..
"Sur son bureau s'entassent quelques affaires parmi lesquels des cours, quelques livres, un ventilateur, des cables, quelques feutres. En réalité, il avait parfois envie de dessiner .. briser les murs, sans doute .. il ne dessinait que des fenêtres ouvertes, ce n'était pas tant l'espace cloisonné de la chambre qui le rendait malade, mais ces murs qu'il regardait à longueur de journée lui devenait intolérables.. ici, c'était toute sa vie et son avenir, rien de nouveau ne viendrait de l'extérieur, du ciel inhumain et lointain, si lointain, qui ne le regardait pas ou qui ne pouvait pas le voir. Et effectivement, quelques feuilles blanches qu'il tirait avec amour de l'imprimante, comme pour les arracher à un destin trop sûr: finir extra-plates, plus fine encore que sa tranche de vie, avec de l'encre sur le dos et le bout avant-gauche corné par le bac de réception cassé. Une dernière glissade sur le toboggan électronique, comme toutes celles d'avant, et comme toutes celles qui suivront. Du coup, lorsqu'il arrachait une feuille à ce destin, il se sentait comme heureux de vouloir créer. Mais il prenait ses gros feutres qui souvent bavaient, et que les quelques pommes de hauteur de sa petite soeur maniaient, à une époque où pour tous l'avenir paraissait un mot vide de sens, il était tout entier dans le présent. Dieu qu'ils s'amusaient. Dieu qu'elle était jolie.
Cette pièce est si mal éclairée ! Un personnage de roman, là, s'écrierait "A quoi bon ouvrir cette fenêtre ! Il pleuvra de la lumière, il tombera les cascades dorées du jour dans ma chambre endormie, mais l'espoir est mort et rien ne le ravivera. Les rais du soleil me seront la plus acide brûlure." Mais il sait juste qu'il a très vite chaud et qu'après tout, il se sentirait sans doute nul de voir un temps magnifique dehors et de ne pas sortir. Et pourquoi sortir ? Dès qu'il met un pied dehors, il transpire comme jamais la mer n'a transpiré au point d'imaginer qu'il a la paternité de la plupart des gros et beaux nuages qui sillonnent le ciel. Et pourtant il imagine bien que ce ciel est divinement bleu .. l'eau dans laquelle il aurait voulu se baigner en souriant, plongeant comme une bombe ou un avion dans une piscine, se laissant dévorer par la mer, avec gens, soleil, farniente ou courage, qu'importe.. Il aurait sans doute pu, à bien y réfléchir... il n'a pas du manquer le coche de beaucoup."
Le voilà qui se rassoit à son bureau .. je ne sais pas encore si vous pressentez bien la destination vers laquelle il nous mène, mais nous arriverons bientôt. Nous allons découvrir... Voyez, il vient de refréner une velléité de dessin, une fois encore.
"Cette fois-ci, il parait plus décidé, il lâche ses feutres aux couleurs d'arc-en-ciel grimaçant et va saisir dans la pièce d'à côté, vide (car elle est toujours vide, ses parents habitent au rez-de-chaussée), un stylo noir avec lequel il commence à griffonner quelques mots sur une feuille rechapée du toboggan diabolique. Au centre de celle-ci, on peut lire "Life ! Life ! Life ! Underneath the sky so blue". Il y a dessiné des plumes, des visages, il y a écrit qu'il voulait enfin grandir, il y a écrit qu'il s'excusait pour tout et qu'il était plus raisonnable de reprendre confiance en lui. Le voilà qui respire et soupire, mal assuré, à présent. Quelque soit la position qu'il adopte, il sera mal assis et sa respiration ne sera jamais assez ample pour ce qu'exigerait la situation.
Mais il a l'habitude.
Pourtant il n'est pas blasé, en témoigne ce pincement au coeur qu'il ressent.. une expression de sa propre misère dont il a conscience. Se dire qu'au dehors, les fenêtres grasses qu'il dessine dans sa chambre obscure (la lumière lui fait de la peine pour sa beauté ..) lui donne chaud et le met mal à l'aise. Il allume le ventilateur en le regardant tendrement, comme s'il attendait une marque d'affection de la part du rotor fou.
Ca tourne, c'est frais. Ca ferait presque du bien .
Là, il a une idée, c'est excitant, ou du moins c'est mignon.
Il arrache une nouvelle feuille au sort réglementaire, il la plie, la découpe, y attache un ou deux rubans, les plus beaux, et va même jusqu'à les décorer . Il y met tout son coeur, et finalement y dépose quelques paillettes qu'il a trouvé sur sa table de nuit. Un cerf volant ! La voilà sa fenêtre ! il a toujours aimé voir voler des objets/des gens/des animaux. Le ciel ... le magnifique ciel qui lui fait peur mais qui doit l'aimer quelque part ! Il regarde sa création toute en papier, colorée, belle et simple, le résultat de l'ingénuité de son âme et la fixe au ventilateur d'un geste solennel. Là il ne pense plus à ses tentatives de dessiner des fenêtres vers la liberté.
Il met en marche l'appareil et contemple, oui, son cerf-volant s'élever comme par magie et flotter doucement en dansant, en se balançant sous le souffle presque amusé du ventilateur.
Quelques minutes passent.. un malaise se fait sentir.
Pourtant la magie opère encore et sa création est belle et agréable..
Mais il a de plus en plus, alors pour compenser il s'appuie sur son coude et tente de s'immerger dans la magie de l'objet-volant tendrement identifié.
Mais la mélancolie, apparue dès qu'il a contemplé l'objet, cette mélancolie qu'il a d'abord voulu apprivoiser lui ronge les côtes.
Et puis soudain .. il réalise qu'il a vieilli, qu'il a 20 ans, qu'il est dans sa chambre sans plus d'autre vie que celle qui le garde entre ces murs, qu'il a peur de la liberté, et qu'il vient de rêver en accrochant à son ventilateur un cerf-volant en papier.
Dehors le ciel doit être bleu ..
Il regarde quelques instants encore ce si joli cerf-volant décrire des cercles miniatures.
Il l'a fait de ses mains .. voilà où sa misère de vivre l'a poussé.
Dans un monde minuscule d'où il ne peut sortir à présent. Toute son âme aurait voulu s'envoler avec le bout de papier.
Il dessine des fenêtre, recrée des bourrasques et réalise le plus vieux rêve de l'homme dans sa solitude.
Et il pleure et tremble.
Il court se réfugier dans un coin de sa chambre.
Il tremble parce qu'il sait que pendant un moment, il y a cru ..."
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