Nous continuâmes à nous promener en ville, elle tenta de me cacher son désarroi mais c’était vain. Je regretterais toujours mes paroles malheureuses. Ce ne sera qu’un regret de plus qui pèsera sur mes épaules. Nous reprîmes une discussion plus amusante tout en marchant le long de la forêt. Le soleil caressait doucement nos peaux de son auguste lumière, la rosée matinale faisait miroiter les feuilles des arbres. Elle retrouva le sourire, comme toujours. Le temps est la clé de tout dans ce monde. Mon cœur se ravit de ne s’être allégé de cette petite culpabilité.
Un peu plus tard, un messager m’apporta une missive du Conseil. Le devoir, encore le devoir. Pour une fois qu’une journée si splendide pointa son nez, j’avais pour ordre d’exterminer un nid du Mal. Mais le devoir passe avant le plaisir.
- A la vue de vos yeux, ces nouvelles ne doivent être bonnes, n’est ce pas ?
- En effet Rem, je suis investi d’une nouvelle mission.
- Où allons nous cette fois ?
- Nous ? Tu ne vas nulle part Rem. Il n’est pas question que tu te mettes en danger. On m’apprend que la manifestation profane d’hier n’était rien d’autre qu’une habile diversion pour nous faire détourner le regard de quelque chose de bien plus grave.
- Justement ! Vous avez failli mourir hier, je ne vais pas vous laisser y aller seul.
- Je ne te laisse pas le choix Rem, tu m’en vois désolé.
Je posais alors ma main sur sa joue. Mon regard lui fit comprendre que ce n’était pas la peine d’insister.
- Bien, je vois…
- Tu sais que je n’aime pas te laisser derrière moi mais là, ce serait prendre des risques inutiles. Te perdre me serait insupportable.
- Vous partez demain matin, comme à l’accoutumée ?
- Oui, je viendrai te voir ce soir au Temple, j’ai des informations à collecter.
Elle me tourna le dos et reprit la route du Temple. Je la regardais s’éloigner, toujours aussi mal à l’aise. J’aimerai tant qu’elle m’accompagne mais ce serait bien trop risqué. Je ne suis déjà pas sûr de revenir, je ne peux me permettre de lui faire courir de tels dangers.
Je passais le reste de la journée à compléter mes rations, mon nécessaire de survie et à collecter quelques informations auprès du Conseil, et de personnes peu fréquentables.
Le soir arriva rapidement. Je devais honorer ma promesse et aller dire au revoir à Rem.
Je la retrouvai assise dans la salle de prières, les yeux fermés, psalmodiant diverses paroles incompréhensibles pour un néophyte comme moi. Elle rouvrit les yeux, tourna la tête et m’aperçut. Elle se leva mais ses jambes semblaient si faibles. Elle vint vers moi d’une démarche difficile, hésitante. Je courrais vers elle et la fis se rasseoir.
- Ca ne va pas ? Qu’y a-t-il Rem ?
- Rien… Rien de bien grave, ça va passer.
Ses yeux semblaient ternes, vides. Elle était en sueur. J’ôtai ma pèlerine et lui la passa sur les épaules tout en la frictionnant. Je l’emmenai dans sa chambre et la fit aliter. J’allai alors voir un prêtre supérieur.
- Rem est au plus mal et je n’ai d’autre choix que de partir. Je la laisse entre vos mains.
- Bien sûr mon fils. Nous veillons sur elle et sur tous nos fidèles. La bénédiction de Lathandre et sa Lumière est sur nous.
- Oui oui… Concrètement, je compte sur vous pour la soigner. Je vous conseille de bien faire attention à elle.
- Vous ne faites pas confiance au Seigneur du Matin, le grand Lathandre ?
- Je ne fais confiance à personne que je ne puisse voir ou toucher. Prenez soin d’elle, c’est tout ce que je demande.
- Il en sera fait ainsi. Que Lathandre guide votre bras.
Je lui tournai le dos et retournai dans la chambre de Rem. Elle se reposait paisiblement. Je m’agenouillai à côté de son lit et lui pris la main.
- Je vais partir remplir mon devoir Rem. J’ai demandé que le Temple fasse son possible pour que tu ailles mieux.
- Ce… Ce n’était pas nécessaire, je vais bien.
- Tu dis toujours ça quand tout va au plus mal. Je ne m’absenterai que quelques jours. Je serais vite de retour.
- Promettez moi de revenir sain et sauf.
- Je te le promets Rem, comme toujours.
- Je prierai Lathandre pour que cette promesse soit honorée.
- Elle le sera.
Elle me sourit puis ferma les yeux. Elle s’endormit quelques minutes après notre discussion. Elle semblait si paisible dans son sommeil.
Je ne sais combien de temps je restais là à l’observer, à l’admirer dans son sommeil. Une minute ? Une heure ? Quelle importance…
Je relâchai alors délicatement sa main et sortit de la chambre. Je traversais alors le temple, passais la grande porte d’entrée et partis en direction de la forêt des bois Acérés, là où devait se trouver le repaire de cet infâme tourmenteur d’âmes.
La lumière du jour perça rapidement le dense feuillage des arbres de la forêt. J’étais bel et bien resté toute la nuit à son chevet. Je ne cessais de penser à son état de santé. Cela m’obsédait. Je tentais de me rassurer en me disant que les soins au Temple étaient efficaces puisque j’en avais moi-même fait les frais.
Je tentais de me concentrer sur ma mission. Les informations que j’avais quant à la position de cette crypte étaient plutôt floues, je devais être concentré afin de repérer la moindre trace anormale dans la forêt.
Je passais la journée à m’enfoncer encore plus profondément dans la végétation, à chercher encore et encore. Lorsque la nuit tomba, je dus stopper mes recherches, manquant de luminosité. Allumer une torche n’était pas une bonne idée. Je plantai ma tente dans un bosquet en m’assoupit.
Le sommeil est mon ennemi. Il me rappelle toujours ces atroces souvenirs. Mais cette fois, la nuit fut bien plus cruelle que d’habitude. Je vis Rem, le corps livide, inanimé sur son lit dans mes songes. Son visage raidi, son sourire absent, sa chair froide. Au moment où j’allai la toucher, je me réveillai en sursaut, en sueur et le cœur oppressé.
Je restais plusieurs minutes, immobile, tentant de retrouver mes esprits et surtout mon calme. Cette vision ne me quittait plus. Un rêve ? Une prémonition ?
Le doute m’assaillit. Et si c’était vrai ? Et si je ne la reverrai jamais ?
Une douleur atroce compressa mon cœur. Je dois m’arrêter de penser à cela, occuper mon esprit.
L’esprit humain fit bien son travail, comme il l’a fait durant toutes ces années. La peur devint colère. La colère devint rage. Exterminer ce nécromancien est ma mission, je le tuerai lui et toutes ses créatures. Ma mission est mon verbe.
Ma recherche acharnée finit par me conduire dans une zone étrange. Une odeur infecte de putréfaction envahissait la forêt. Cette atmosphère oppressante, je la reconnais. Le Mal, le Mal est ici. Quelques minutes à arpenter la région suffirent. Une masure de pierre effondrée était plantée au milieu d’un bosquet. Une vieille connaissance en gardait l’entrée.
Une abomination squelettique plus grande qu’un homme armée d’une lance se tenait immobile devant les escaliers qui menaient aux profondeurs de la demeure de son maître. Des flammes léchaient ses vertèbres, son coup et semblaient provenir d’un foyer situé à son bassin.
Je posai alors mon sac à dos, saisis ma hallebarde et contractai mes muscles. J’attendais ce moment depuis l’avant-veille. Une revanche. Un combat. Ne plus penser qu’à sa survie, se concentrer dans ses gestes. Seul cela me permettait d’oublier.
Mon sang est en ébullition, mon esprit frétille, mes sens sont aux aguets. L’excitation du combat est toujours la même.
Je fis alors quelques pas et sortis des buissons. Le squelette tourna la tête et commença à me charger.
Un sourire mauvais se dessina sur ma face. Je marchais dans sa direction, hallebarde en main. Il passa sa main entre ses côtes comme la dernière fois. Sa main ressortit, une boule de feu luisant entre les doigts. D’un grand mouvement, il me lança celle-ci. Le projectile se dirigea à toute vitesse dans ma direction, émettant comme un crépitement dans l’air.
Je me jetai sur le côté, fis une roulade, pris le meilleur appui sur mes jambes et courut à toute vitesse vers lui, rasant le sol. La boule de feu s’écrasa quelques mètres derrière moi. Je sentis le souffle chaud de l’explosion sur ma peau, j’entendis le craquement des arbres et le feu qui se propageait.
Ayant atteint ma vitesse de course maximale, je plaçai ma hallebarde le long de mon bras droit pour profiter à la fois de la vitesse et de la force giratoire. Il était à portée. Je plantai alors mon pied droit dans le sol et lançait mon bras dans un mouvement diagonal, de bas en haut. Sa lance dévia mon coup mais la puissance du choc le désarma. Pris dans mon mouvement, je fis un tour complet sur moi-même, suivant la hallebarde et portai un second coup, celui-ci de bas en haut. La lame trancha ses vertèbres. Sa tête tomba.
Quelle satisfaction, quelle jubilation !
Mais je n’étais pas dupe, je savais bien que ce n’était pas fini, les créatures magiques ne se laissent pas abattre si facilement.
Il plongea a nouveau sa main entre ses côtes. Il y avait danger, j’étais à moins d’un mètre de lui, l’esquive était donc impossible. Que faire ? Fuir ? Tenter tout de même une esquive ? Non. Attaquer, attaquer, attaquer et tuer !
Je balançai ma hallebarde avec l’énergie du désespoir en hauteur. Son bras vola dans les airs, la boule de feu toujours en sa paume. En tirant profit du poids de mon arme, je rabattis celle-ci au sol et coupai ainsi l’abomination en deux. Ma lame n’eut aucune difficulté à accomplir cette tâche. Je sentis ses côtes se briser une à une à son passage. Le bassin céda à son tour. Ma hallebarde vint se planter dans le sol tandis que le monstre commençait à tomber.
Je jetai un regard rapide vers le ciel pour savoir combien de temps il me restait avant que son bras ne retombe au sol. Peu de temps, trop peu de temps. Courir, le plus loin possible. Je bondis le plus loin possible. Sa main toucha le sol et lâcha la boule de feu. L’explosion me propulsa plusieurs mètres en avant. Au moment où j’atterris sur le sol, la douleur se fit ressentir. Mon cou était dans un sale état, mon armure avait fort heureusement protégé mon dos.
L’euphorie et l’adrénaline anesthésiaient la douleur. Je me relevai et contemplais les restes du squelette, gisant au sol au milieu d’une zone calcinée, ma hallebarde toujours plantée en son centre. Je sortis celle-ci du sol et m’enfonçai dans les profondeurs du repaire du nécromancien.
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