Le Jai et l'Azur

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L'Espérance poursuivait sa route, au gré des courants marins. Le pilote avait depuis longtemps rangé ses instruments, ses cartes et ses livres de navigation. Le barreur tenait un cap plein Ouest. Chaque soir, le soleil nous rattrapait dans sa course imaginaire et disparaissait devant la proue de notre navire, comme pour nous narguer de sa vitesse supérieure.

Cela faisait bientôt six mois que nous dérivions ainsi, nous, rescapés du Monde Connu. Deux compagnons d'infortune accompagnait l'Espérance : l'Obstinée et la Persévérante.

Leurs peintures avaient été délavées. On devinait à peine les écussons des huit nations qui ornaient les châteaux des navires. C'était là les seuls signes, survivances d'un passé à jamais révolu, des mondes engloutis dans le néant.

Bien des émigrants forcés étaient las de guetter chaque matin une terre promise. Les yeux brûlés par l'horizon se détournaient maintenant et ne contemplaient plus que les étoiles de la nuit. Chaque nuit apportait de nouvelles étoiles qui étaient autant d'âmes délivrées. Ceux qui croyaient encore à la prophétie n'osaient regarder les astres, par peur de la tentation des images de mondes féeriques qu'ils colportaient.

Les derniers fidèles rejetaient ces icônes, impies à leur Foi. Seule la terre protégée par la Lune d'Or avait grâce en leur coeur.

Vint un jour où la vigie cria : Terre !

Les vents troublés, la mer agitée, la brume grise empêchaient une vision claire de cette providentielle annonce. Quelques vols d'oiseaux lointains semblaient de bons augures. Il n'en fallait pas plus pour que les plus courageux décident d'y risquer une expédition. Qu'avaient-ils à perdre ?

C'est alors que le Vénérable, qui n'avait plus pris la parole depuis plus d'un mois, prévint les voyageurs. Ce n'était point là terre promise mais illusion traîtresse.

Les chants des sirènes parvenaient maintenant jusqu'aux oreilles des marins, amadouant leur coeur et leur raison.

Il fut décidé, par prudence, de n'envoyer que l'Obstinée en reconnaissance. Les deux autres navires restant au large, prêts à toute éventualité. Les candidats au débarquement étaient nombreux et ce fut une Obstinée à la ligne de flottaison profonde qui vogua vers cette terre inconnue.

A peine disparue dans la brume grise, l'Obstinée fut prise dans une terrible tempête. Les nuages noirs, épais, avaient surgit mystérieusement des terres, obscurcissant le ciel et la vision des marins. l'Obstinée s'échoua sur la côte sauvage.

C'est alors que les naufragés découvrirent que cette terre n'était point vierge mais habitée. Malgré les problèmes de communications, un contact fut vite établi et des amitiés se nouèrent bientôt. Cependant, il est dans tout groupe humain des êtres rigides et étroits. Les nouveaux venus furent bientôt les victimes de la Coutume Troublée. Malgré la bonne volonté de part et d'autre, tant des autochtones que des nouveaux venus, une minorité, aveuglée par quelque fanatisme surgit du fond des âges s'efforça de prendre le contrôle du Pouvoir.

S'en était trop pour cette terre meurtrie qui n'avait connue que le calme d'une éternité routinière. Elle devait se défendre et assurer sa survie. Sa décision fut rapidement prise : elle rejeta les nouveaux arrivants sur la grève.

Les serviteurs de la Coutume furent satisfaits. Seuls quelques rares naufragés furent épargnés. Les autres eurent à peine le temps de construire quelques radeaux avant de rejoindre les deux navires restés au large.

Leur retour fut pénible. La déception avait finie par avoir raison de la ténacité de beaucoup. Ceux là se laissèrent aller vers les chemins obscurs. Les survivants furent recueillis par l'Espérance et la Persévérante dans un silence parfait. Aucun mot n'était nécessaire pour faire comprendre à chacun qu'il fallait reprendre la route.

Le Vénérable indiqua la direction à prendre: l'Ouest, toujours. Docilement, le barreur s'exécuta.

Le moral était bien bas. Une nouvelle journée s'achevait.

Nous n'avions plus que deux bateaux et il nous semblait que la route était sans fin. Et si la Terre Promise n'était en fait qu'un autre mythe ?

La mer était calme et les étoiles scintillèrent de plus belle à la nuit tombée.
Le coeur lourd, en compagnie de quelques rescapés, il avait embarqué sur l'Espérance dans un fracas de fin du monde.
Le voyage devait être court avait annoncé le capitaine. Le terre promise était là, toute proche. La douleur de la disparition de nombreux amis était compensée par l'espoir de rebâtir, sous de nouveaux auspices, un monde meilleur.
Le voyage avait débuté dans la gaieté mais rapidement, les espoirs s'amenuisèrent. La terre tant attendue se dérobait aux regards de la vigie. Comme les navires se vidaient peu à peu de leurs occupants, attirés par ces étoiles toujours plus brillantes, le voyageur restait obstinément confiné dans sa cabine pendant la nuit. Un soir, pourtant, une petite étoile parvint à attirer son attention par un hublot crasseux. Il refusait de se laisser attirer mais périodiquement, l'astre se rappelait à lui.
Lorque la vigie cria "Terre", malgré le chant insistant des sirènes, il choisit d'écouter le Vénérable et de ne pas embarquer sur l'Obstinée. Le retour des colons, les yeux hagards et la déception marquée sur le visage, ne lui apporta aucune satisfaction.
Il décida donc de continuer vers l'ouest jusqu'à ce que le voyage vienne à bout de sa patience et que la petite étoile parvienne à imposer sa présence et sa lumière.
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