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Les Chroniques de Balkis
D'une ombre sauvage
"La beauté est un jardin sauvage..."
Anne Rice.
... Acte premier ...
Ce soir là fut semblable aux autres. La lumière agonisait sur les onduleuses dunes, ouvrant le chemin à la nuit solitaire. Les insectes chantaient une litanie redondante, marquant un rythme mécanique mais apaisant. La chaleur retombait sur le désert. Le marchand était là, dans sa belle tenue de soie luisante, accompagné d'un chameau au dos lourdement chargé. Les parents embrassèrent Hathor, sa sœur aînée, sur le front, chacun leur tour. Elle ne semblait pas avoir peur, mais que pouvait-elle craindre ? Elle qui était si insolente. Balkis, était restée en arrière, le regard vide de toute émotion, dans sa petite tunique de lin blanc, éthérée. Hathor vint l'embrasser sur la joue, fermement, sans une larme. Balkis avait les yeux humides, mais aucun sanglot ne franchit le seuil de ses lèvres, elle ne répondit pas au baiser, immobile, comme une impassible statue.
Vendue. Sa soeur allait devenir esclave à Khémi, dans une taverne, courtisane. Un bon travail avait promis le marchand. Sa sœur était d'accord, elle rêvait de luxe et de richesse, choses essentielles que la vie au caravansérail ne pouvait lui offrir... De plus, ils allaient pouvoir vivre aisément, avec l'argent de la vente de cette soeur.
Ce soir là, Hathor était partie, avec le chameau et le marchand, se perdre dans les ombres du désert, au-delà du caravansérail. Personne n'avait pleuré dans la famille, lorsqu'ils la virent s'éloigner, ondoyante dans sa robe blanche et limpide. La vie était dure dans le désert. Ils rentrèrent dans la petite demeure, pour prendre le repas du soir,. Balkis était incroyablement silencieuse. Elle et Hathor étaient des enfants adoptées, retrouvées abandonnées, au caravansérail. Hathor était sa sœur aînée, deux ans de plus. Elles se ressemblaient terriblement, mais leurs cœurs étaient différents. Balkis en voulait au monde entier, parce qu'elle perdait sa soeur, à jamais certainement. Hathor avait promis de revenir un jour, riche, pour veiller sur eux. Balkis n'y croyait pas : l'espoir était vain, le bonheur n'était pas pour elle. Son regard d'or éclatant se perdait dans la contemplation du bois vermoulu de la petite table sur laquelle ils dînaient.
Ce soir là, Balkis était déjà sauvage, ce qu'elle serait plus tard, par nature, forgée par la souffrance. Il y a des plaies que même le temps ne saurait guérir. Elle s'était assise, avait mangé et bu le thé à la menthe, de façon mécanique, sans un mot, sous le regard troublé de ceux qui veillaient sur elle. Puis elle était sortie sur la petite terrasse de sable, surplombée d'une étoffe de bure étendue, pour faire de l'ombre, quand il y avait trop de soleil... Elle s'était assise, repliant ses genoux contre son ventre, puis elle avait attendu que la lune fasse son apparition, dans le ciel obscur brodé d'étoiles, que le silence soit absolu. Puis elle avait pleuré, tout son saoul, ses sanglots troublant la paix du désert.
Déjà, la solitude l'appelait, déjà, le monde l'effrayait, déjà le mépris fut son plus précieux ornement.
Puis, lentement, le sommeil s'affaissa sur son front, refermant l'écrin de ses paupières sur la prunelle de ses yeux étincelants, étouffant les sanglots, et, la joue sur le sable, le corps livré au désert, vulnérable comme jamais, elle s'endormit.
"Tu reviendras, hein, tu reviendras ? Je me sens si seule sans toi... Seule dans ce monde terrifiant..."
Elle avait sourit, puis elle l'avait serré dans ses bras, une dernière fois.
"Je reviendrai. Riche et lumineuse, pour toi, ma petite sœur, et tu seras heureuse..."
... A suivre ...
(Illustration de Luis royo)
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