3- La Déroute
Tarek, agenouillé sur le lit de feuilles mortes qui jonchait le bord du chemin inspectait les traces à peine visibles qui se devinaient dans l’humus du sous-bois. La meute n’était vraisemblablement pas très nombreuse, trois, peut-être quatre animaux. Le mâle dominant par contre devait être proprement monstrueux à en juger par la taille de ses empreintes. Ce loup devait être aussi gros qu’un poney !
A cette pensée, l’humain frissonna et, repoussant une mèche rebelle, tourna la tête vers son compagnon en lui lançant un regard noir, puis il grommela pour lui-même :
- Maudit nabot, toujours à mettre son gros nez là où il ne devrait pas !
L’aventurier n’aurait pas prêté attention aux traces si son grognon de camarade de voyage n’avait insisté pour les lui montrer. Torn Fumerol, dit « Fume Torgniole » était un nain. Petit, carré, musclé, barbu, grincheux et bagarreur, Torn était ce que l’on pouvait appeler « l’archétype du nain ». Tous les « on-dit » rapporté sur la race des mineurs se vérifiaient en lui.
Son appendis nasal surdéveloppé, à peine dissimulé par une abondante barbe rousse avait flairé l’odeur des loups depuis déjà plusieurs lieues, mais Tarek avait refusé d’arrêter le chariot, affirmant qu’ils étaient bientôt arrivés et qu’ils risquaient de se faire surprendre par la nuit s’ils s’arrêtaient ici. Prétextant un besoin pressant, Torn avait finalement convaincu son compagnon de stopper dans un sous-bois afin qu’il aille « fertiliser Mère Nature », et c’est en sortant d’un buisson d’aubépine, jurant et pestant contre la multitude d’épines qui s’étaient plantées dans son auguste postérieur que le nain avait, « comme par hasard», vu les traces.
Tarek, se releva, plissa les yeux et se gratta un menton recouvert d’une barbe naissante brune qui lui donnait l’allure d’un brigand ; puis il rejeta en arrière sa longue chevelure noire et darda vers les fourrés un regard intense où brillait deux grands saphirs nimbés d’une puissante aura d’intelligence. De taille moyenne, l’humain n’avait rien de prime abord qui puisse impressionner un adversaire, néanmoins, à trente deux ans, il était un guerrier accompli. Son menton et ses épaules carrés laissaient entrevoir une forte détermination que ne démentait pas sa puissante musculature. Sans être surdéveloppée, cette dernière était néanmoins sèche et déliée, preuve s’il en était que l’homme s’était durement entraîné. Malgré cela, la puissance n’était pas son arme favorite. Il compensait son léger manque de force physique par une adresse et une vitesse surpassant de loin celle des habituels combattants. Ne supportant pas les lourdes armures, il avait échoué à devenir paladin de Tyr quelques années auparavant, et s’était lancé à corps perdu dans l’aventure pour oublier sa désillusion. C’est au cour d’une bagarre d’ivrogne dans une taverne de Marsembre qu’il avait fait la connaissance de Torn Fumerol, et après avoir échangé quelques coups, les deux compères étaient devenus inséparables.
Réajustant un accroc dans sa cotte de maille, souvenir d’un mauvais coup récent dans une rue mal famée d’Arabel, Tarek fit signe à Torn de le suivre. La fourrure d’un loup comme ça ferait une merveilleuse cape pour l’hiver, il ne fallait pas rater l’occasion. L’humain dégaina son épée, puis se ravisa. Une lame n’était pas la meilleure arme pour la chasse au loup. Il s’empara de son arc et encocha une flèche. Plié en deux il avançait dans le sous-bois en suivant les traces, essayant d’être le plus discret possible. Peine perdue. Le nain qui était sur ses talons faisait tant de bruits qu’aucun animal n’aurait eu l’idée de rester sur leur chemin. Aucun animal, sauf la meute de loup qu’ils poursuivaient…
Débouchant sur une petite clairière éclairée par les rayons déclinants du soleil, les deux compagnons tombèrent face à face avec deux louves de belle taille qui protégeaient une portée de louveteaux à peine nés. L’un des animaux semblait blessé et se léchait une patte, tandis que l’autre, babines retroussées, fixait les importuns en grondant bruyamment.
Torn, la hache au poing poussa son cri de guerre favori et fonça vers les bêtes pour en découdre.
- Par les génitoires de Clanggedin, à l’ass…
Tarek l’agrippa par sa cape, ce qui eu pour effet de faire s’envoler le nain les pieds devant, avant de le faire s’écraser bruyamment sur le sol. Allongé sur le dos, il regarda son compagnon de sous ses épais sourcils roux et gronda :
- Par la malpeste Tarek, mais qu’est-ce qui te prends ? aurais-tu peur pleutre d’humain ?
- Espèce de nain sans cœur, ce spectacle ne t’émeut-il donc pas ? Serais-tu vraiment prêt à massacrer cette famille de loup pour le plaisir ? Relève-toi, il n’y a pas là de quoi se faire une couverture pour l’hiver, je me suis trompé.
Torn se gratta la tête, jeta un regard sur les louves qui n’avaient pas bougé d’un pouce, se releva, s’épousseta en grommelant quelque injure à l’encontre de ces femmelettes d’humains, puis se retourna pour regagner le chariot.
Il n’avait pas fait deux pas qu’il s’arrêta. Un mâle gigantesque, deux fois plus haut que lui se tenait à quelques pas d’eux, prêt à bondir. Ses muscles puissants saillaient de sous son épaisse fourrure grise et un long filet de bave dégoulinait de sa gueule entrouverte d’où dépassaient des crocs aussi grands que des poignards.
- Euh, Tarek, tu veux bien expliquer au gentil papa loup que tu trouves ses petits très mignons et que jamais tu ne leur feras le moindre mal ?
Tarek venait de ranger sa flèche dans son carquois et de passer son arc en bandoulière. Désarmé face au monstre il n’avait pas d’autre choix que de fuir. Détalant sans crier gare sur sa droite, il cria au nain :
- Au chariot ! et disparu dans les fourrés pendant que le nain partait en Courant sur la gauche. Dans l’intervalle, l’énorme bête avait bondit. Elle atterri à l’endroit précis où les deux compagnons se trouvaient une seconde plus tôt. Lançant un hurlement à glacer les sangs, il se jeta à la poursuite de Tarek pendant que la louve valide partait aux trousses de Fumerol.
Arrivé le premier au chariot, Tarek, blanc comme un linge et suant à grosses gouttes grimpa et s’empara des rênes. Courrant comme un dératé, Torn arriva quelques secondes après lui et sauta in extremis à l’arrière alors que son compagnon lançait le cheval au galop.
Les loups avaient cessé la poursuite depuis bien longtemps, mais les vaillants aventuriers continuèrent à pousser leur cheval pendant plusieurs lieues encore.
- Fuir devant un loup ! que la honte soit sur moi ! fulminait le nain, pendant que son ami s’esclaffait et se tordait de rire à l’avant.
- Maître nain, votre hache aurait pu servir de cure-dent à cet animal !
- Elle pourrait aussi servir à effacer ce sourire narquois que je vois sur ton visage ! Toi aussi tu as fuit je te le rappelle !
- C’était par charité, pas par couardise voyons !
Et le nain continua de grogner comme se devait de le faire tout nain qui se respecte jusqu’à ce que le chemin sorte de la forêt et qu’ils débouchent au crépuscule sur une vaste plaine verdoyante, avec, planté au sommet d’une grande colline escarpée, un château fort aux nombreuses tours crénelées, toutes surmontées d’un unique étendard représentant un bouclier pourpre transpercé de deux lances. Les hautes murailles semblaient bien gardées, et l’unique chemin d’accès serpentait autour de la colline, passant à de multiples reprises sous les murs bardés de défenses. Le pont-levis était relevé ce qui était naturel à la tombée de la nuit, et beaucoup de fenêtres étaient déjà illuminées.
- Le Castel de HautMont ! nous y voilà enfin ! dit Tarek dans un souffle.
- HautMont, c’est le seigneur dont tu m’as parlé, celui dont tu fus l’écuyer pendant un temps ?
- C’est bien lui. J’espère qu’il se souviendra de moi…
Et pendant que la lune faisait son apparition dans le ciel encore teinté de rose et que les premières étoiles commençaient à scintiller sous la voûte, les deux compagnons entamèrent la montée vers la demeure du seigneur Hultar de HautMont.
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