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Voici donc la moisson des textes d'Ex Libar 11, dont le thème est l'autorité, choisi par la gagnante de l'édition précédente, Siamoize. Les votes sont ouverts pendant 10 jours.
Voici donc les textes en compétition, bonne lecture et bon vote :
Texte 1
M. White n’était pas si en retard que ça. Pourtant, il fallut passer par l’inévitable scène de ménage avec sa femme et justifier ce manquement terrible qui avait conduit le couple à manger dix minutes plus tard qu’à son habitude. Le cottage, blotti dans sa campagne anglaise verte et paisible, tremblait des échos de la voix stentorienne de Mrs. White. A ces coups de butoir sonores répondaient inlassablement, imperturbablement les longs soupirs de son mari. Il aurait pu rétorquer qu’il n’y était pour rien, que tout était de la faute du petit Beckett, à l’école.
Ce vaurien, encore une fois, avait épuisé la patience de l’instituteur, Mr. White en l’occurrence, et celui-ci avait du en passer une nouvelle fois par un discours moralisateur à l’attention de la classe entière. Rien ne serait plus terrible si le comportement de ce jeune impudent devait inspirer ses camarades. Comme si elles avaient besoin de cela, ces jeunes ouailles ! Les dissipations affluaient de toute part et l’ordre national ne s’en relèverait sûrement pas. Les soldats américains avaient été bien efficaces pour enrayer la vague allemande sur l’Europe, mais Dieu sait que Mr. White et les bons concitoyens anglais eussent préféré ne pas avoir eu recours à leurs services. Car maintenant, tout était en leur contrôle. Et avec ces yankies, tant d’idées perverses se déversaient dans les mêmes oreilles que celles qu’il tentait de maintenir dans le devoir et la discipline ! Oh non, rien n’allait s’améliorer avec le temps.
Mais ce petit Beckett, oh oui, lui, il était bien pire. Déjà, l’absence de son père, mort en héros (ha ! quel héros, celui qui meurt sous une bombe !), soufflait au visage de tous ces bons anglais l’image de leur « défaite ». Mais en plus, cet élève n’arrivait pas à intégrer cette discipline qui était avant tout la gloire de la nation, mais aussi l’œuvre pédagogique de Mr. White, le sens de sa vie.
Et voici donc notre bon Mr. White subir les reproches de sa femme, par la seule faute du petit Beckett. Se sermonnant lui-même, il se convainquit de subir cela en silence, conscient que la faute d’une personne ne disculpe jamais les autres des leurs.
Enfin, la fin du repas sonnait la fin des combats, et avec elle, le repos mérité de l’instituteur. Bien sûr, sa femme inspecta la minutie de sa toilette vespérale. De même qu’il avait pris soin d’utiliser les patins dans le salon et toutes les autres parties de la maison avec leur somptueux parquet. Arrivé au pied de leur lit conjugal, Mr. White se déshabilla, plia soigneusement ses vêtements et les rangea, puis enfila son pyjama. Se glissant dans les draps immaculés, il effleura vaguement la forme avachie qui figurait sa femme. A ce contact, il sentit frémir en lui le vague souvenir d’un plaisir lointain, impalpable.
Ce souvenir le laissa interdit et perplexe. Il n’était pourtant pas convenable pour un homme bien éduqué de ressentir pareilles ardeurs, comme en sa prime jeunesse, sous le simple prétexte d’un effleurement, fut-il avec sa femme ! Et pourtant, bientôt il laissa sa main errer de l’autre côté de la frontière, du côté du lit de sa femme. A peine eut-il déclenché une vague offensive, que l’artillerie verbale de sa vénérable femme le cloua sur place. Las, ses maigres bataillons se pourléchant encore leurs blessures, et le pavillon de son honneur en berne, l’injonction maritale de ne plus bouger et d’éteindre la lumière mit fin à toute autre velléité pour la nuit.
Le lendemain, et ce ne fut guère surprenant, Mr. White dut sévir contre le jeune Beckett. Comme se faisait-il qu’il puisse venir se présenter en classe, dégoûtant de la tête au pied, alors que ses camarades étaient rutilants dans leurs uniformes ? Et ce petit insolent prétextait encore qu’une voiture l’avait éclaboussé ? Baste ! Cette fois, il ne put y couper, et les coups cinglants de la verge sur ses fesses lui rappelleraient sans aucun doute quelle était la place qu’occupait la rigueur dans un tel établissement scolaire.
Texte 2
Octave
Un rugissement d’Octave fut suffisant pour le galvaniser. La pointe de la lance avait glissé entre deux côtes comme dans du beurre, arrosant d’un sang tiède la main crispée du légionnaire. Le corps, en s’écrasant lourdement sur le sol, souleva un épais nuage de poussière jaunâtre que Tullius traversa d’un bond pour se précipiter sur l’adversaire suivant, sa pique fermement dirigée vers l’avant. Autour de lui, les cris et les chocs des armes formaient un sourd brouhaha que le soleil de plomb rendait plus dense autour des combattants. Il lui semblait que la bataille elle-même formait un seul corps qu’animerait une volonté masochiste, jetant çà et là quelques morceaux de chairs et d’os pour lesquels elle aurait tout à coup un certain dégoût. Sang, sable et sueur. Les classiques du soldat.
Tullius avait toujours été surpris de la rapidité avec laquelle un affrontement furieux pouvait prendre fin. Il n’avait que rarement vu les défenses adverses baisser une à une. Elles avaient le don de s’affaisser toutes à la fois, comme une vieille outre que l’on percerait à force de la presser, se vidant brusquement de tout son contenu pour n’être plus qu’une peau vide et molle. Déjà, le centurion Octave faisait tonner sa voix de stentor pour rassembler ses hommes, et le légionnaire emboîta le pas de ses camarades. Tullius jeta un regard de regret sur les cadavres déchirés qui jonchaient la plaine. Certaines armes, certaines armures auraient pu être fondues pour en confectionner de nouvelles. Un casque barbare, au moins, aurait constitué un beau trophée en cadeau pour Flavia. Mais le ton d’Octave était sans appel. Il fallait rentrer sur Rome. AD URBEM. Et tant pis si les caligae avaient été trouées ou perdues durant la bataille.
On avait abandonné la marche forcée. Les émissaires chargés d’annoncer leur victoire avaient certainement déjà atteint les portes de la Cité. Les soldats pouvaient dès lors prendre progressivement conscience de leur corps. C’était un long éveil à la douleur qui pouvait prendre plusieurs heures avant que le légionnaire ressente pleinement toutes les avanies que sa chair avait subies. D’aucuns pansaient leur torse en grimaçant sous le regard inquisiteur du soigneur, d’autres massaient lentement leurs cuisses fatiguées. Octave seul paraissait avoir été épargné par la souffrance. Il avait laissé son armure à côté de lui et son regard clair scrutait l’immensité du ciel. Tullius eût un instant l’illusion que son centurion cherchait une route parmi les constellations. Les longues mains pâles du chef de guerre marquaient sur sa cuirasse le rythme lent d’une musique que lui seul semblait pouvoir entendre. Ses lèvres sèches s’entrouvraient à peine et soufflaient quelques mots silencieux, lente psalmodie en cette lourde nuit d’été. Le légionnaire en ressentit presque de la gêne, conscient d’avoir violé une certaine intimité qui ne lui avait pas été donné de pénétrer. Il laissa son regard glisser le long du buste solide d’Octave, jusqu’à ses cuisses épaisses sur lesquelles les lames avaient creusé de profonds sillons. Il songea aux siennes, épargnées jusqu’alors par les coups mais que le soleil avait tannées, comme le reste de sa peau jeune et vierge. Il se demanda si la sueur qu’il voyait perler sur ses clavicules aurait la même saveur que la sienne, âcre et prenante, ou si elle aurait un parfum plus capiteux, plus raffiné. Il ferma les yeux pour tenter d’en deviner la lointaine fragrance. Tullius réprima un cri lorsque la main d’Octave s’abattit sur son épaule. Sa bouche, qu’il posa brutalement sur la sienne, acheva d’étouffer son hurlement.
Tullius n’avait jamais pensé mourir ailleurs que sur un champ de bataille. Sa jeunesse et sa fougue auraient du le prévenir de toute autre issue. Mais l’ordre avait été limpide : « Tue-toi. Si cela se sait que je déguste les plaisirs des sens avec l’un de mes soldats, ma vie s’arrête là. Alors meurs. ». Oh, certainement, Octave ne dirait pas à Flavia qu’il s’agissait d’un suicide – quel déshonneur. Le courrier officiel parlerait sans doute d’une mort de héros, en combat singulier contre quelque brute sanguinaire. Peut-être aurait-il sauvé la vie d’un camarade. Une fin noble, somme toute. La pointe de la lance avait glissé entre deux côtes comme dans du beurre, arrosant d’un sang tiède la main crispée du légionnaire. Le corps s’abattit sur le sol, lourdement. La sueur d’Octave avait la saveur rassurante et dominante du fauve.
Texte 3
[Une vengeance imaginaire]
Il fait si sombre dans cette petite pièce…
Ca fait la cinquième fois aujourd’hui, je les détestes, je les haies ! …
Maman pourquoi cela ne se passe pas tu me l’a dit… pourquoi… je fais pourtant ce qu’il faut, ils ne devraient pas réagir comme ça… ils… maman pourquoi tu n’es plus avec moi, pourquoi il a fallu que tu parte… reviens… reviens ! … reviens j’ai dit !!!
Tout est leur faute…
Etrange sensation… je n’arrive pas à comprendre pourquoi. J’étais pourtant là, immobile, je ne me rappel pas… je n’ai pourtant rien fait, pourquoi me fait il ça à moi, et pourquoi réagissent-ils comme ça ? hein ? pourquoi ? vous ne voulez donc pas jouer avec moi ? méchant ! méchant !! MECHANT !!!!
…
…
méchant…
Quel dommage.
J’allais pourtant leur rendre, je ne suis pas une voleuse, non. Je ne veux pas qu’elles aient peur de moi, je veux juste qu’elles m’écoutent ! Je veux qu’elles me donnent d’autres poupées, j’en veux beaucoup, beaucoup plus ! Oh, maman, prend moi celle-ci ! et celle là ! elle aussi ! et !
…
…
maman ? hé, tu m’écoute ? hé dit ? mais ! REPOND MOI DONC !!!
Oh, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre… ou est ma maman ?! répondez moi !!
Oh, vous ne l’avez pas vu… très bien.
Qelle étrange sensation… je…
« Lucile ! »
Non ! pas lui, pas encore ! je ne veux plus !
…
…
J'ai mal… pourquoi personne ne vient à mon secours…
Satané poupées, prenez ça ! et encore ça !! vous n'avez pas à subir ça vous hein !! VOUS RESTEZ LA À ME REGARDER !!!
Maman, pourquoi le laisse tu faire… ou es tu…
J’ai peur toute seule, et ces poupées, impassible, toute la journée à me regarder, à m’obéir, ne ressentent-elle rien ?
Ah, maman, ce que j’aimerais être une poupée, ce que j’aimerais… pouvoir être une poupée.
Texte 4
Mario et Jérôme étaient dans la voiture qui les amenaient sur la nouvelle scène du crime, ils pensaient pouvoir rentrer chez eux de bonne heure lorsque le commissaire les a convoqués dans son bureau pour cette affaire, la criminelle sur un suicide suspect. La voiture arriva dans une zone industrielle et ils aperçurent l’entrepôt aux couleurs grises au milieu d’autres semblables, rien d’extraordinaire. Mario dit à Jérôme :
- Témoignages ? Scène de crime ?
- Je fais la scène monsieur le psychologue.
Ils pénétrèrent dans l’entrepôt où se trouvait déjà une équipe en place et les secours qui n’avaient pu que constater le décès du patron, les policiers avaient placé dans un coin les employés qui se trouvaient être au nombre d’une dizaine, Mario les scruta d’un œil inquisiteur, tous semblaient encore être sous le choc, c’est la première chose qui le surprit mais n’en dit pas un mot. Jérôme lui, alla sur la scène du crime.
- Castigne !
Un jeune homme en uniforme qui prenait des notes avec une des employés se retourna à son nom et s’approcha rapidement de Mario, après un rapide salut.
- Voilà, l’affaire est bizarre Mario, le type semble bien s’être suicidé avec son fusil, mais il y a quelque chose qui cloche ils sont tous affectés et pourtant aux vus des témoignages ils disent que leur patron était surmené depuis plusieurs mois.
- Profil du type ?
- Célibataire, 32 ans, Major de sa promotion d’école d’ingénieur, a ses heures perdues crée un nouveau procédé de fixation pour l’aviation, c’est breveté il y a 4 ans et crée sa boîte dans la foulée avec toutes ses économies. Affable mais timide, tous les employés semblent s’accorder pour dire qu’ils étaient heureux de travailler pour lui, il accordait aisément des congés supplémentaires pour leur permettre de s’occuper de leurs enfants ou autre avec un rythme « humain ».
- L’affaire marchait bien ?
- C’était le quatrième anniversaire aujourd’hui de la création de l’entreprise, pas de développement, 8 employés à l’ouverture, 8 aujourd’hui. Retard de commandes, annulation, dettes, bref tous les symptômes d’une entreprise qui ne marche pas.
- Des motivés pour prendre sa place ou la suite ?
- Aucun d’entre eux n’est en état de répondre à cette question, ils n’arrivent pas à se remettre du choc, si l’on excepte ce sentiment ils semblent plus s’inquiéter de leur avenir personnelle que de l’entreprise.
- Tu penses qu’il n’est pas logique qu’aucun d’entre eux ne manifestent de médisance à son égard ?
- Oui c’est pour çà que j’ai contacté le commissaire.
- Je te comprends j’ai ma petite idée … mais je vais voir Jérôme pour le cas où.
En arrivant dans le bureau, Jérôme retirait ses gants, la mise sous scellée ne s’avérait guère utile.
- Alors ? Quelque chose d’exploitable ?
- Négatif tout semble corroborer la thèse du suicide. J’ai trouvé en plus un courrier sur l’ordinateur datant d’une heure à peine avant l’acte, qu’il ne supportait plus la situation à crouler sous les dettes et la pression des commanditaires, qu’il n’en pouvait plus de l’incompréhensible échec de son projet qui devait pourtant être une révolution technologique et …
Mario l’interrompt d’un geste et lis la fameuse lettre, pour finalement afficher un sourire.
- Quoi ?
- J’avais une vague idée de la raison de son suicide, ce courrier ne fait qu’aller dans ce sens.
- Et pourquoi l’a-t-il fait alors ?
- Un projet révolutionnaire, un petit génie, des employés heureux et la boîte qui coule, tu ne vois pas ?
- Non.
- L’autorité ! Il était renfermé et vivait sur lui-même, incapable de diriger ses employés, et voilà le résultat.
Texte 5
Vivez en paix
Oubliant la petite salle aux murs d’un blanc crème sale et la mouche qui se heurtait à la vitre, Michel songeait. Il se demandait si dans 20 ou 30 ans, les peuples d’Afrique feraient de lui un Juste, comme les Juifs l’ont fait pour ceux qui les ont aidé à fuir les Nazis. Enfin, s’il reste des nations africaines dans 20 ou 30 ans…
La mouche fit un petit « toc », se cognant de nouveau à la vitre. Michel pensa qu’elle et lui, dans ce local de la police, étaient plus ou moins prisonniers, déjà. Il songea à sa vie. 40 ans, un job gouvernemental sans éclat, un rouage parmi d’autres… Pas d’enfant, pas de rêves… Le parfum de sa femme lui revint avec précision, comme si cela ne faisait pas déjà cinq ans depuis son départ, son parfum, ses longs cheveux noirs… Son regard se posa sur les murs aussi ternes que sa vie, sur la mouche… Il se leva, ouvrit un peu l’étroite fenêtre, la mouche s’envola vers la liberté. « Vis en paix », pensa-t-il. Une voix le surprit :
« Sentimental ? »
Michel se retourna et frémit. L’homme qui venait de parler avait l’uniforme noir de l’AP, capable de vous envoyer directement vers l’oubli, en camp de rééducation. Sa seule tâche de couleur était le cercle, sur la poitrine, avec la mention « Je lutte pour votre sécurité ». « Je me présente, agent Zalzy, de l’Autorité de Paix. Paix et Salut à vous. Inutile d’être si inquiet, Michel, votre délit ne mérite ni camp ni peine capitale. » dit l’agent, avec un sourire sympathique. Michel sentit prit conscience de son souffle de soulagement. Ils ne savaient pas, il allait s’en sortir avec une amende ou un peu de prison. « Paix et Salut. J’ignorais que l’AP intervenait pour un cas aussi mineur. » dit-il. Zalzy reprit « Oh, je suis dans ce commissariat pour une autre affaire. J’ai entendu parler de vous, j’ai jeté un œil à votre dossier, et j’avoue que la simple curiosité me pousse à vous rencontrer. Vous n’êtes pas un criminel, pas un sujet politique à déviance possible. Vous avez une vie normale, bien rangée, respectueuse des lois et concourant à la sécurité de tous. Votre seule infraction est un stationnement interdit il y a 8 ans. Je me demande ce qui vous a poussé à casser cette caméra. » L’agent le fixait d’un air à la fois bonhomme et intrigué.
« Je ne sais pas vraiment. J’aime me promener dans ce quartier de La Rochelle, même s’il est classé non sûr et à rénover. C’est un des rares endroits de France avec peu de caméras, mais je m’y sens assez en sécurité, à cause de la présence policière. Je crois que quand j’ai vu la caméra, j’ai eu une impression de… je ne sais pas… surprise, je ne pensais pas qu’il y en avait là ; j’ai eu une impulsion incompréhensible ». L’agent Zalzy hocha la tête, pensif et à l’écoute.
Michel pensa à la jeune fille noire, courant dans la rue, et la vedette rapide, au bout de la jetée. Il a tout de suite compris ; seuls les blancs étaient autorisés dans ce quartier, c’était une démigrante, une ex-française, qui, comme les arabes et juifs, essayait de fuir l’Europe, de retrouver le continent de ses ancêtres. Et elle allait passer devant la seule caméra du coin. Elle avait les cheveux noirs et longs, comme sa femme. Il prit une barre rouillée, et frappa la caméra. Elle passa, rapide, et bientôt fut dans l’embarcation, que son pilote fit aussitôt démarrer. Michel lâcha la barre, comme s’il tenait un serpent. Quelques minutes après, la police l’arrêtait pour dégradation de biens publics.
« Sentimental et rêveur ? » demanda l’agent Salzy.
« Je pensais à ma femme », répondit Michel.
« Ah oui, votre femme. Elle vous a quitté il y a 5 ans pour aller avec un cadre du Parti. Se pourrait-il que vous ayez transféré de la rancune vers le Parti ? » L’agent Salzy se fit songeur. « Ce serait irrationnel, mais c’est humain. Savez-vous pourquoi les caméras sont importantes, Michel ? Avant notre époque de sécurité, les choses n’étaient pas»
Michel se vit endurer une heure de propagande de base, comme les agents de l’AP aimaient les infliger. Il coupa court : « Oui, je sais. Les attentats du World Trade Center, ceux d’Espagne, d’Angleterre, d’Irlande… Le Patriot Act aux USA, les mesures sécuritaires en Europe, les manifestions populaires pour les libertés individuelles, les mouvement contre le terrorisme par la justice sociale pour tous sur la Terre, par une meilleure répartition des richesses, en asséchant le terreau des terroristes. Et la vague d’attentats nucléaires, les premiers. Des dizaines de milliers de morts à Paris, à Londres, à Rome, en Allemagne. Le choc. Le Référendum Européen Sécuritaire d’Urgence. Je sais, moi aussi, j’ai voté pour la sécurité. J’ai compris le prix à payer : plus de sécurité égale moins de liberté, plus de surveillance, et donc des caméras. J’ai vécu les années de la Grande Guerre contre l’Axe du Mal, la mise en camp des musulmans, puis des noirs, puis des franges déviantes, comme les rétro-syndicalistes et les homos. Oui, agent Salzy, je connais l’importance des caméras et le rôle qu’elles jouent pour notre sécurité à tous. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je suis vraiment désolé. »
Zalzy hocha la tête, s’apprêta à parler, mais fut interrompu par deux policiers et un technicien qui entrèrent dans la pièce. « Paix et Salut », dirent-ils. « Paix et Salut », répondirent Michel et l’agent Zalzy. Un des policiers murmura un long moment à l’oreille de l’agent. Celui-ci hochait la tête, d’un air satisfait. Le technicien quitta la salle, murmurant « Vivez en paix. » Michel répondit, comme les autres, « Vivez en paix », mais son ventre se noua. Il avait l’intuition que son sort était réglé. L’agent Salzy se tourna vers Michel, un sourire épanoui aux lèvres. « J’aime quand je comprends une situation. Vous savez, on a commencé à rénover ce quartier de La Rochelle. En plaçant de nouvelles caméras. Une a filmé une vedette avec une jeune fugitive. L’ordinateur a reconstitué son chemin, elle est passée par la rue… où vous avez cassé la caméra. » Michel blanchit. « Aider des démigrants à fuir, à rentrer dans des pays où le terrorisme se crée contre nous, c’est de la trahison. Vous passerez vos 20 prochaines années en camp de rééducation. » Les policiers encadrèrent Michel et l’emmenèrent. Juste avant de passer la porte, il se tourna vers l’agent et demanda :
- Qu’est devenue la jeune fille ?
L’agent le contempla une seconde, et répondit : « Les nouvelles caméras sont couplées à un système de missiles. La vedette et ses passagers sont morts. Vivez en paix, Michel. »
Edit : corrections d'auteurs :
Texte 1
eussent préférer -> eussent préféré
injonction martial -> injonction martiale
qu'elle -> quelle
Texte 5
ces ancêtres -> ses ancêtres
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