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Re: Bernard Maris, Antimanuel d'économie
Provient du message de mobidique
L'économie et une science molle comme la sociologie, ni plus ni moins mais avec quelques tares en plus. Elle a voulu bêtement se calquer sur le modèle de la physique mais sans évoluer comme l'a fait la physique (indépendemment du fait que l'objet de son étude et beaucoup plus problématique). En conséquence de quoi la sociologie est une science molle, mais le sociologue le sait, l'économie est flasque, mais l'économiste ne le veut pas. L'économie passe son temps à mettre des évidences en équation pour les démontrer dans un mouvement circulaire admirable. Dans le même temps elle s'appuie sur des hypothèses indémontrables et irréalistes.
Depuis Durkheim, ca va commencer à faire plus d'un siècle quand même, la sociologie est une science positive, au même titre que la physique.
Avec Les Règles de la Méthode sociologique, il a lancé la sociologie sur les bases d'une science empirique, basée sur la réalité, alors que l'économie est une science déductive. Il critiquait alors ses pairs, sociologues subjectifs, puisque la sociologie se devait de passer par une phase "idéologique".
Ainsi la sociologie n'a pas encore dépassé ce stade. C'est en vain que Comte et Spencer ont proclamé que les faits sociaux sont des faits de nature, que les sciences sociales sont des sciences naturelles. Quand, sortant des généralités, ils ont appliqué leurs principes, ils sont revenus à la conception et à la méthode anciennes. Pour Comte, l'évolution sociale consiste en la réalisation de l'idée d'humanité, pour Spencer, la société n'est que la réalisation de l'idée de coopération : pour les économistes, toutes les lois économiques ne sont que des corollaires bien déduits de l'idée d'utilité ; pour les moralistes, la vie morale n'est que le développement d'une même idée fondamentale que les utilitaristes et leurs adversaires ne comprennent pas de la même manière, mais qui, pour eux comme pour les autres, constitue toute l'éthique, alors que le système des préceptes particuliers, des règles juridico-morales ne serait que cette idée appliquée différement selon les cas
E. Durkheim, L'état actuel des études sociologiques en France, Textes 1, Minuit.
Durkheim mets ici le doigt (jusqu'au coude), sur le décalage des pré-notions, non basées sur des constations empiriques, par rapport à la réalité. Sans méthodologie rigoureuse, on ne peut aboutir à des résultats valables scientifiquement. Il propose donc que le fait social soit considéré comme une chose, et que l'objectivité soit la première règle de méthode.
Les économistes furent les premiers à proclamer que les lois sociales sont aussi nécessaires que les lois physiques, et à faire de cet axiome la base d'une science. Suivant eux, il est tout aussi impossible à la concurrence de ne pas niveler peu à peu les prix, à la valeur des marchandises de ne pas augmenter quand la population s'accroît, qu'aux corps de ne pas tomber suivant la verticale, ou aux rayons lumineux de ne pas se réfracter quand ils traversent des milieux d'inégale densité. Quant aux lois civiles que font les princes ou que votent les assemblées, elles ne doivent qu'exprimer, sous une forme sensible et claire, ces lois naturelles, mais elles ne peuvent ni les créer, ni les changer. [...] Leur intervention ne peut guère être que nuisible; la nature n'a pas besoin d'eux. Elle suit toute seule son cours. [...]
Etendez ce principe à tous les faits sociaux et la sociologie est fondée. En effet, tout ordre spécial de phénomènes naturels, soumis à des lois régulières, peut être l'objet d'une étude méthodique, c'est-à-dire d'une science positive.
E. Durkheim, Cours de Science Sociale, Bordeaux, 1885
Il reconnaît donc aux économistes le mérite d'avoir montré qu'il existe des lois naturelles, qui peuvent être étudiées. Cependant, il leur adresse de sévères critiques, dont voici un petit extrait.
Toutefois il ne fait pas s'exagérer le mérite des économistes. Tout en disant que les lois économiques sont naturelles, ils prenaient le mot dans un sens qui en diminuait la portée. En effet suivant eux, il n'y a de réel dans la société que l'individu ; c'est de lui que tout émane et c'est vers lui que tout reviens. Une nation n'est qu'un être nominal ; c'est un mot qui sert à désigner un agrégat mécanique d'individus juxtaposés. Mais elle n'a rien de spécifique qui la distingue du reste des choses ; ses propriétés sont celles des éléments qui la composent grossies et amplifiées. L'individu est donc la seule réalité tangible que puisse atteindre l'observateur, et le seul problème que puisse se poser la science est de chercher comment l'individu doit se conduire dans les principales circonstances de la vie économique, étant donnée sa nature. Les lois économiques et plus généralement les lois sociales ne seraient donc pas des faits très généraux que le savant induit de l'observation des sociétés, mais des conséquences logiques qu'il déduit de la définition de l'individu.
L'économiste ne dit pas : les choses se passent ainsi parce que l'expérience l'a établi ; mais : elles doivent se passer ainsi car il serait absurde qu'il en fut autrement. Le mot naturel devrait donc être remplacé par rationnel ; ce qui n'est pas la même chose. - Si encore ce concept de l'individu qui est censé contenir en lui toute la science était adéquat à la réalité! Mais pour simplifier les choses les économistes l'ont artificiellement appauvri.
Non seulement ils ont fait abstraction de toutes les circonstances de temps, de lieu, de pays, pour imaginer le type abstrait de l'homme en général; mais dans ce type idéal lui-même ils ont négligé tout ce qui ne se rapportait pas à la vie strictement individuelle, si bien que d'abstractions en abstractions il ne leur est plus resté en main que le triste portrait de l'égoïste en soi.
E. Durkheim, Cours de Science Sociale, Bordeaux, 1885
Voilà pour la mise au point, j'ai préféré tout retaper plutôt que paraphraser pour dire la même chose. Maintenant, je vais m'acheter le bouquin de Bernard pour savoir de quoi ca cause, mais en tout cas, c'est pas tout neuf
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