« - Ton armure est prête, cousin ! » Elle brillait, là, près de la forge. Le jour pointait à travers les épaisses branches des Grands Arbres d’Hy Brasil, donnant un éclat particulier à l’armure, une aura douce de féerie. Earaidh sentait son cousin Comghan, pas peu fier de son œuvre. Et il avait raison de l’être. Les fines ciselures n’altéraient en rien la forme d’austérité du haubert d’écailles. Elle lui irait comme un gant. Ses armes étaient prêtes aussi. Son bouclier, confectionné par Levaillant, luisait doucement, faisant ressortir la Harpe. Il leur manquait pourtant une étincelle, une flamme magique qui renforcerait leur puissance. Earaidh se leva, posa sa main sur l’épaule de Comghan, le regardant avec un air qui se voulait reconnaissant. Il savait qu’ils offraient un curieux contraste. Le petit champion, trapu, aux jambes torses, mais aux bras épais, le visage laid, barré définitivement d’un tatouage bleu, la bouche fine, presque invisible encadrée par un bouc roux commençant à tirer sur le gris, les yeux bleus marqués de férocité et d’énergie brutale. Et en face, le grand protecteur, athlétique et haute stature, tout en finesse et bonnes proportions, le visage imberbe dont la beauté était renforcé par les boucles rousses tombant sur le front et le menton volontaire. Le Sanglier et le Cerf.
Earaidh se saisit de l’armure, chargeant un cheval, puis s’en alla après avoir donné une dernière accolade à Comghan. La route allait être longue jusqu’à Tir Na Nog, la Ville aux dômes d’or, aux pavés de marbre blanc et ses toits d’obsidienne en croupe.
Elle avait déjà été longue la route. Arriver là n’avait déjà pas été aisé. Earaidh afficha une impression vaguement étonnée alors qu’il se souvenait. Une foule de souvenirs remontaient à la surface de ses pensées. Souvenirs de forteresse de pierre, d’un homme en armure, visage sévère penché sur lui. Souvenir de flammes fascinantes montant d’un foyer crépitant. Caechan, son père, discutant avec le Seigneur Muire. Impression de calme et de volupté. Puis le déferlement, une vague de violence brusque, vague qui le porte encore sur les Sentes… Flèches qui sifflent, odeur de souffre, cris de guerre, coups sourds des béliers, craquement du bois, cliquetis des armes, yeux fous de terreur, le feu. Caechan qui disparaît. Fiodh, du clan Muire, tombant des remparts, poussé par l’ennemi… L’étendard vert et or qui flotte encore sur la plus imposante des tours… Puis le Silence, le désert… Juste l’odeur de putréfaction, de brûlé…A partir de là, les souvenirs affluent plus rapidement… Ce beau visage de femme entre deux âges, aux yeux si doux. Malgven l’Ancienne, de l’Agus Neart Fiain, qui l’emmène à Connla…Heureuses années passés avec le Clan, premières beuveries et rixes en compagnie de Comghan. Puis l’âge de la maturité. Il se souvient que Malgven l’avait doucement appelé, de sa voix devenue éraillée par les ans :
« - Fils, tu changes de jour en jour. Tu forcis et ton esprit a grandi. Maintenant, il faut lui donner une forme…
- Une forme ? Que voulez-vous dire, mère ?
- Plusieurs voies se présentent à toi. Elles sont comme un immense arbre, des branches, puis des ramilles. Tu es l’écureuil, tu dois grimper sur cet arbre et en récolter les fruits. Que deviendras-tu ?
- Je ne sais pas, Mère… A vrai dire, je n’y ai jamais songé…
- Hum, tu as passé trop de temps à boire, rêvasser, faire des bêtises. Il est temps d’avoir un esprit pour réfléchir ! » Earaidh se souvint du rire redevenu subitement cristallin de Malgven.
« - Aide-moi, Mère !
- Le Sentier des Arcanes ? Il est bien trop étroit et tu n’as jamais montré un don bien précis et talentueux de magie… Devenir empathe ne te conviendra sûrement pas… Le Sentier de la Nature ? Oublions, tu es incapable de faire la différence entre des groseilles et de vulgaires baies rouges empoisonnées… » Earaidh rougit, se souvenant d’avoir été malade comme un chien…
« - D’autant que je ne ressens pas en toi un don d’empathie, une capacité à comprendre la Nature. Tu n’es pas patient, et les Énigmes ne te sont jamais favorables. Tu ne connaîtrais aucun Secret. Le Sentier de la Nuit ? On t’entend arriver à dix liogs, et tu n’as jamais cherché à te cacher. Seul le Sentier des Armes te conviendrait. Tu es petit, trapu, tout en puissance et bagarreur. Quelle Voie suivras-tu ? »
Earaidh tenta de se remémorer des enseignements, mais il avait oublié. Et il voyait sur le visage de Malgven qu’elle savait. Il baissa les yeux.
« - Trois Voies te sont ouvertes. La Voie des Anciens qui fera de toi un Protecteur. Mais seul l’Esprit de Kernunnos les choisit. Et sur ton jeune front, je vois qu’il ne t’a pas choisi. La Voie de l’Harmonie ? Deviendrais-tu un finelame ? Tu es petit, trapu, tout en roc, aurais-tu leur souplesse et leur réactivité ? J’en doute. Il te reste la Voie de l’Essence. Si ton don de magie n’est pas précis, je le sens au fond de toi, flammèche qui ne demande qu’à se réveiller et à être canalisée. L’Essence est source de toute chose. De la Nature comme la Magie. Tu deviendras Champion. »
Ainsi, s’engagea-t-il sur la dure Voie de l’Essence, apprendre à manipuler la force de la Terre, et les effluves de mana…
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