C'est le titre d'un bouquin de Régis Bigot et Claire Piau que j'ai sous le coude (Cahier de Recherche n° 181, Crédoc 2003), et qui essaye de répondre à cette question. Un extrait de l'introduction :
"La jeunesse n'est qu'un mot". Rebondissant sur la formule définitive et stimulante de Pierre Bourdieu, notre travail s'attache à montrer au contraire que l'opinion des jeunes est suffisamment homogène pour que ceux-ci constituent une catégorie à part entière, presque au même titre qu'une classe sociale. Un des principaux résultats de ce rapport est en effet d'établir que les représentations et les aspirations de la jeunesse présentent une réelle singularité par rapport aux autres âges de la vie. Et l'on doit ajouter que cette spécificité dépasse les clivages sociaux ou les disparités de capital économique et culturel. En un mot, les jeunes ont une façon particulière de penser, de se représenter le monde et la société, de juger leur environnement et les modes de vie de leurs contemporains.
Je ne vais évidemment pas m'amuser à recopier des pages entières de ce bouquin, mais simplement donner quelques chiffres assez signifiants. Car, détail piquant, cette étude corrobore ce que j'ai pu remarquer sur Jol et qui m'avait stupéfié les deux premiers mois : foin du mythe post-soixante-huitard, le jeune est aujourd'hui en moyenne bien plus conformiste (presque réactionnaire, pourrait-on dire) que l'adulte. Evidemment, l'étude porte sur l'attitude et les opinions vis-à-vis des grands thèmes de société, pas sur le fait d'écouter du métal ou d'aimer Lynch.
C'est un bouquin d'un peu plus de 100 pages, ce post sera donc un charcutage ignoble, et il va de soi que mes commentaires n'engagent que moi, et pas les auteurs. La première partie du bouquin explique le choix de la tranche d'âge retenue : 18-29 ans. Je passe directement à la suite en extrayant une phrase par ci par là :
Les jeunes et la politique
73% des jeunes déclarent ne pas s’intéresser à la politique (63% chez les 30 ans et +)
Seule une petite moitié des jeunes en âge de voter se rend aux urnes.
Rares sont ceux qui adhèrent à des partis ou des associations politiques (2%) ou à des syndicats (2%).
Ils savent par contre se positionner par rapport aux grands thèmes tels que le racisme, la mondialisation, le libéralisme, le socialisme ou le capitalisme. On connaît leur rejet sans appel de toute forme de discrimination raciale. (note FV : hum…). On sait moins, en revanche, que les trois quarts des jeunes ont une image positive du mot « libéralisme » (contre 60% de leurs aînés) ou que les deux tiers ont une opinion favorable de la « mondialisation » (contre 56% des 30 ans et +).
(…) la spécificité des jeunes, c’est leur forte – et ponctuelle – capacité de mobilisation dans la rue. Les manifestations faisant suite au premier tour des présidentielles illustrent une prise de position à la fois contre le racisme et pour la défense de la démocratie. (…) En tout état de cause, ces événements montrent que, chez les jeunes, la mobilisation est avant tout ponctuelle et peu contraignante, à l’opposé de ce qu’implique l’engagement dans un parti politique ou une association syndicale, par exemple.
Ce refus de la contrainte explique certainement qu’au quotidien, les jeunes ne figurent pas parmi les plus engagés pour protéger l’environnement ou défendre certaines valeurs éthiques. (…) Ainsi 68% des 18-29 ans déclarent ne pas tenir compte des engagements citoyens des entreprises lorsqu’ils achètent un produit industriel (58% chez les 30 ans et +). (…) Enfin, en matière d’environnement, ils contribuent moins que leurs aînés à la protection quotidienne de la planète (moindre tri des déchets, plus grande insouciance à l’égard de la consommation d’énergie, etc.)
Un regard peu contestataire sur les institutions
(…) même si les jeunes sont très critiques à l’égard de la justice (82% des moins de 30 ans jugent qu’elle « fonctionne mal » en France), ils le sont moins que les « adultes » (88% d’opinions négatives chez les 30 ans et plus). Même remarque à propos de l’école : « seulement » 55% des 18-29 ans affirment que celle-ci n’est plus capable d’assurer sa mission de formation et d’encadrement des enfants, contre 62% des plus de 30 ans. Il est encore frappant de constater que, depuis une vingtaine d’années, la Police et l’Armée ont considérablement redoré leur blason auprès de la jeunesse.
En fait, trois jeunes sur quatre estiment que la société, dans son ensemble, a besoin de se transformer profondément ; même si cette proportion est élevée, elle est inférieure à celle observée chez les plus de 30 ans (83 %). Le désir de réformes n’est donc pas le propre de la jeunesse, bien au contraire : les juniors souhaitent bien plus souvent que leurs aînés que la société « ne bouge pas ».
Enfin, on s’en étonnera peut-être (note FV : pas les joliens
), mais la plupart des jeunes déclarent avoir aujourd’hui une image positive de l’autorité (79%) et de l’ordre (85 %). Ces valeurs sont donc largement réhabilitées au sein de la jeunesse, qui regrette d’ailleurs que, dans notre société, le rôle des parents ne soit pas assez valorisé (59%). En définitive, s’ils sont majoritairement critiques vis-à-vis de la société et des institutions, les jeunes sont loin de refuser, par principe, toute référence aux normes sociales et aux règles de vie communautaire. Ils se montrent même plus conformistes que leurs aînés à bien des égards.
Opinions en matière de mœurs
On dit parfois que la jeunesse s’ennuie en famille. Cette dernière semble au contraire tout à fait dans l’air du temps. La plupart des 18-29 ans déclarent ainsi que pour eux, la famille occupe une place plus importante que celle qui revient au travail. Mieux : plus d’un jeune sur deux estime que la famille est le seul endroit où l’on se sent bien et détendu (Note FV : « j’veux ma môman » ?).
Citations à ma sauce (suite des opinions en matière de mœurs) :
Pour le mariage, par contre, l’effritement continue : les jeunes croient moins souvent que les 30 ans et + que le mariage est une union indissoluble. Un tiers estime même que c’est une institution dépassée.
En baisse également le nombre d’enfants désirés. Majoritairement 2 chez les jeunes, tandis que les 30 ans et + sont plus nombreux à citer le nombre de 3.
Pour la répartition des rôles sexués, les jeunes hommes estiment à 73% que les femmes devraient travailler à chaque fois qu’elles le désirent (55% pour les 30 ans et +). Plus progressistes, donc, même si 10% pensent qu’elles ne devraient jamais travailler lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, et 5% que si la famille ne peut vivre avec un seul salaire (courage mesdemoiselles, un jeune mec sur sept est un beauf sexiste).
Une forte sociabilité, de nombreuses sorties
88% déclarent rencontrer de façon régulière des membres de leur famille proche (kif-kif chez les 30 ans et +)
Evidemment, les amis tiennent une place plus grande chez les jeunes que les adultes. Presque les 2/3 des jeunes reçoivent au moins une fois par semaine des amis chez eux.
Par contre, ils ne sont pas beaucoup plus investis qu’en moyenne dans le tissu associatif : leur taux de participation est de 43%. Ils apprécient surtout les associations sportives (26% des jeunes appartiennent à une asso sportive, contre 16% au-delà), mais désertent purement et simplement les associations « engagées » (parti politique, syndicat, association de défense de l’environnement, association confessionnelle).
J’abrège là. On voit donc se dessiner le portrait d’une jeunesse finalement très éloignée des clichés véhiculés par les marchandises (pseudo) contre-culturelles, plutôt plus conformiste et hédoniste que ses aînés. Ca n’étonnera pas grand monde, mais il est toujours amusant de voir une impression confortée par des chiffres.
P.S. : Cette étude repose principalement sur l’exploitation de l’enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », menée, je crois, depuis une vingtaine d’années. C’est un travail de recherche, pas une commande d’une boîte privée.
P.P.S. : Je connais IRL les auteurs de ce bouquin et leur demanderai peut-être de passer faire un tour ici, voire de poster si ce sujet débouche sur un débat. Merci d’avance, donc, de ne pas les insulter dès les premiers posts, ils risquent de vous lire.