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Certains croient encore au caractère inéluctable du progrès humain. Certain croient encore que ce que l'on nomme "progrès" va toujours dans le sens du bien, du mieux.
Mais l'évolution n'a pas de morale, pas plus que l'histoire. L'histoire est amorale. Elles sont neutres. Par le passé, des mouvements historiques ont pu être observé, correspondant à des forces, des phénomènes sous-jacents. Ainsi, l'antiquité grecque a vu se succéder en quelques siècles, dans le cadre des cités états, des monarchies, des aristocraties, des démocraties, puis des tyrannies (au sens ancien du terme). Ainsi, depuis le moyen age, avons nous vu se succéder des états féodaux, des monarchies à la volonté centralisatrice, et enfin des démocraties parlementaires (avec des épisodes autoritaires et totalitaires), qui aujourd'hui dominent le monde. La vision myope de l'histoire que nous donne notre faible espérance de vie nous fait croire que cette démocratisation est un aboutissement, une fatalité, la destination ultime en quelques sorte de la fin (dans les deux sens du terme) de l'histoire.
C'est une erreur. Au delà des évolutions politiques, militaires ou religieuses, la force qui modèle la société humaine, depuis ses premiers balbutiements dans la savane africaine, c'est son évolution technique.
Ce sont nos progrès technologiques qui plus que tout autre façonnent nos sociétés. C'est de notre évolution technique que dépend tout le reste. A chacun des stades technologiques que nous avons atteint depuis l'apparition de l'humanité, à chacun de ces paradigmes techniques, correspond un petit nombre possible d'organisation de la société humaine. Dans ce petit nombre, émerge généralement un ou deux modèles seulement, qui sont ceux fonctionnant de manière optimum dans ce paradigme.
La révolution industrielle a favorisé les démocraties parlementaires, la liberté de l'individu et l'esprit de tolérance, qui se sont avérés supérieurs aux alternatives dans la quête de l'efficacité.
Mais cette période est finie, et à atteint son apogée au tournant des fameuses "trente glorieuses". Nous entrons depuis quelques décennies déjà dans un nouveau paradigme technologique, celui qu'on associe au phénomènes regroupés en général sous le terme de mondialisation. Et la principale caractéristiques de ce nouveau paradigme, c'est son extraordinaire fragilité, conséquence de l'intrusion massive en toute chose de la technologie, conséquence de notre dépendance désormais absolue, quotidienne, de notre appareil technologique. Chaque instant de notre vie est conditionné, suspendu à un fil. Un train qui déraille ? Deux cent morts. Un virus informatique ? Des millions d'heures de travail perdu. Un bateau qui percute un container ? Des centaines de kilomètres de côtes souillés d'hydrocarbure cancérigène. Une fuite dans votre micro-onde ? Votre peace-maker tombe en panne, et vous avec. Une panne dans une centrale nucléaire ? Tchernobyl. Une bande de fou avec des cutters dans un avion ? le 11/09/01.
Nos sociétés sont devenus complexes, massives, fragiles et dépendantes. Et dans ce cadre, la liberté des individus devient un danger de plus en plus pesant pour le système. N'importe qui peut causer un désastre immense, avec peu de moyen, grâce à la fragilité technique de nos société. Celles ci, pour leur propre survies, sont donc contraintes de se protéger. C'est ce à quoi nous assistons en ce moment. Vidéo surveillance, fichage informatique, radar routier, écoute téléphonique, bureaucratie envahissante, attaques préventives, polices, satellites espions, contrôles en tout genre, tout cela participe du même mouvement, de la même faiblesse. La liberté est devenu dangereuse. Les espace de liberté sont devenus semblables à ces forêts du moyen age, des endroits objets de peur où se terrent les bandits.
La liberté ne sera bientôt qu'un souvenir pour les humains du 3e millénaire. Mais qu'en est il de l'autre pilier de la démocratie, à savoir l'exercice du pouvoir par le peuple ?
Là encore, le nouveau paradigme technologique y est hostile : les problèmes que doivent gérer les pouvoirs sont planétaires, du fait du rétrécissement de l'espace du au progrès technique. Les pouvoirs seront donc eux aussi planétaires. Compagnies globalisés, organisations mondiales de tout et de rien, réseaux internationaux. La démocratie parlementaire avait pu s'épanouir dans le cadre des états-nations, elle se vide de sa substance à l'échelle mondiale, car ces même états-nations perdent, lambeaux après lambeaux leur souveraineté, ils sont devenus caducs.
Ne serait il pas possible d'imaginer une démocratie planétaire, ou bien tout au moins, des démocraties continentales, aptes à relever les défis qui se posent à elles ? Non. Je ne pense pas. Les échelles de pouvoir en jeu sont trop grande, englobent trop de gens. La démocratie parlementaire était une adaptation de la démocratie directe à des ensembles de plusieurs dizaines de millions d'individus. Elle ne peut s'étendre indéfiniment, pas à des centaines de millions d'individus, surtout lorsque ceux ci forment des groupes hétérogènes, désunis. Dans une telle configuration, les médias (au sens de médiateurs, je ne parle pas de la presse, même si elle fait parti de ces médiateurs) entre le citoyen et le sommet du pouvoir vont s'accumuler, en couches successives de plus en plus éloignés de la base. Ces intermédiaires auront une telle taille, une telle masse qu'ils donneront, qu'ils ont déjà donné, naissance à leur propre logique interne, leur propre structure de pouvoir, indépendante de la base. Celle ci se retrouvera coupée de toute influence réelle sur le sommet du pouvoir.
Dans la pratique, cela veut dire que le monde comptera de plus en plus de Murdoch, de Berlusconi et de Bush. Dans la pratique c'est l'instauration progressive d'un totalitarisme soft, dans lequel les vrai détenteurs du pouvoirs seront des réseaux occultes, isolés, tandis que des pantins s'agiteront devant la galerie, et que la masse des ex-citoyens, encadrés, contrôlés, influencés à chaque instant de leur vie, castrés de leur libre arbitre n'auront d'autre choix que de se soumettre à la machine, d'absorber la propagande abrutissante déversée par des médias tentaculaires, ou alors de devenir des ennemis du système qui assure leur subsistance et donc de la société dans son ensemble, des ennemis de la race humaine.
A moins que...
A moins qu'un autre modèle n'émerge, qu'une autre forme d'organisation du pouvoir, plus efficace, ne fasse son apparition. Mais comment s'imposerait elle, alors que le système actuel étend déjà son emprise sur l'ensemble du globe, et que, accomplissant la volonté de ses maîtres, il déploiera sans hésiter toute sa force pour écraser ou assoupir toute contestation ? Pour qu'un modèle concurrent se développe, il lui faut un espace où se développer, un espace vierge. Il n'y en a plus sur terre, et nous n'avons pas de planètes de rechange accessible. Reste le fameux cyberespace, internet, où les expérimentations de tout genre peuvent se multiplier à volonté. Mais peut on passer du virtuel au réel ?
Je ne sais pas.
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