Avant de chuter, Rome a été un empire. Les USA jamais. C'est une nation qui entretient un vaste réseau d'alliés et de clients, ça n'en fait pas un empire.
Ceci dit, la discussion pour savoir si A ou B sont des empires n'est constructive que si on est d'accord sur la définition de cette dernière notion.
Qu'est-ce qu'un empire donc ?
Empire vient du latin
imperium qui désigne le pouvoir souverain. C'est un terme extrêmement vague, puisqu'en latin le mot sert à désigner le pouvoir du père sur ses enfants, du maître sur ses esclaves ou du roi sur ses sujets. Et dans cette acception, des empires il y en aurait partout.
Si le mot a pris un sens plus restreint quoique flou, c'est indissociable de l'histoire romaine.
A l'origine, Rome était une royauté. Puis une République. C'est au temps de la République que débute la formidable expansion romaine : la conquête et la puissance militaire ne sont pas le critère de l'Empire, au contraire même. Le Latium est conquis, puis le sud de l'Italie, le sud de la Gaule, l'Espagne, l'Afrique nord occidentale et Carthage. Puis ce fut l'expansion vers l'est : la Grèce et la Macédoine vaincues deviennent provinces romaines, et la conquête se poursuit vers l'Asie mineure.
Mais ces conquêtes, brillantes, furent trop rapides, l'ensemble est difficile à contrôler ; et Rome, dont la population est ruinée par tant de guerres connaît de nombreux troubles. S'ensuit une longue période de troubles, qui sont autant la cause que le moyen qui permettent à des hommes providentiels d'émerger : c'est l'époque des Sylla, Pompée, César et cie (le type qui a soumis toute la Gaule à l'exception d'un village d'irréductibles ayant la potion magique).
César soupçonné de vouloir la royauté pour lui est assassiné en -44 en plein Sénat. S'ensuit une guerre de succession entre Antoine (alors consul) et Octave (fils adoptif de César), pleines de rebondissements (guerres, alliances puis trahisons) et de sexe (Antoine étant l'amant de Cléopatre). Tout cela pour aboutir à la victoire d'Octave à Actium en -31. Antoine et Cléopâtre se suicident.
Octave a alors les mains libres, et surtout à la tête d'une colossale et formidable armée qui lui permet d'obtenir ce qu'il veut du Sénat romain. En -27, la consécration pour Octave qui reçoit le pouvoir du Sénat pour toutes les provinces administrées par ces armées (le Sénat se conservant celles en paix) en lui conférant deux titres : Auguste (qu'il va porter comme surnom) et Imperator (Empereur en français). Ce dernier mot (cf étymologie plus haut) ne faisant que désigner le fait qu'il a désormais le pouvoir souverain. Mais pour revenir au sujet : Paf, c'est à cette date et avec cette consécration que débute et apparaît le si fameux Empire romain. L'empereur précède l'Empire.
Seulement, le lecteur qui est parvenu jusqu'à cette ligne va demander : oui, mais en quoi, un empire est différent d'une puissante monarchie ? Justement, en rien,
Pourtant, ce régime qu'on va désigner du nom d'Empire, en référence à celui qui en est à la tête, va devenir une référence pour toutes les civilisations européennes et du bassin méditerranéen.
Parce qu'Auguste et ses successeurs vont réussir un tour de force proprement incroyable. Ce sera moins un homme de la guerre, qu'un homme de la paix. Au début de l'Empire, le gros des conquêtes est déjà fait (cf carte, Rome en 12 après JC). Et c'était presque le plus facile : des conquérants à la tête d'une armée invincible et conquérant de vastes territoires, l'histoire en avait connu et allait en connaître beaucoup d'autres. Le tour de force est d'avoir réussi à gouverner et administrer un territoire de cette étendue, alors que les modes de vie et les populations étaient très hétérogènes. L'Empire romain c'est tout le contraire d'un Etat-nation.
Mais au-delà de l'exploit, il y a un changement d'état d'esprit. Plutôt que se comporter uniquement en conquérant qui pillent les richesses, fait des esclaves et se retire (ce qui est le mode de conquête des peuples nomades), eux décident de s'installer et de gouverner ces territoires conquis.
Seulement, une telle mentalité et appliquée à une telle échelle, avec une telle constance n'avait rien d'évident. Et c'est à mon avis à mettre en rapport avec la philosophie stoïcienne, que les romains vont importer de Grèce en même temps qu'ils la conquièrent (comme un paquet d'autres choses dans le domaine des arts et des lettres), et qui va devenir la philosophie dominante à Rome. Une de ses idées centrales est que le Sage n'est pas d'une nation ou d'une patrie mais est "Citoyen du monde" (c'est l'origine de l'expression). Au-delà de tous les particularismes, il y a un universel de l'homme. Alors que les anciens grecs s'opposaient au contraire aux barbares (d'un mot grec, onomatopée censée imiter ce que les grecs entendaient des langues étrangères).
Le sommet symbolique de cette prétention à l'universalité de l'Empire romain est l'édit de Caracalla en 212 après JC qui accorde la citoyenneté romaine à tous les citoyens libres de l'Empire (et ça fait un paquet de types) avec toutes les conséquences que cela impliquait (notamment pouvoir venir de sa lointaine Egypte pour venir s'installer vivre à Rome par exemple). L'Empire n'est pas un territoire colonisé et soumis, c'est un espace politique homogène. Mais les populations ne sont pas uniformisées, au contraire : les différences de langue se maitiennent (un grec petit nègre servant de langue de communication à l'est, la koinè), les différences de culture ou de religion.
Si je devais conclure par une phrase simple (j'aimerais illistrer avec des textes latins, mais on est sur JOL quand même et je trouve mon texte déjà trop long, donc on s'en passera), mais ce qui caractérise un Empire ce n'est ni plus ni moins que la volonté de gouverner le monde.
Bien sûr, leur monde n'était pas la planète. Les romains se sont arrêtés au monde gouvernable (c'est différent du monde connu), c'est-à-dire aux peuples sédentaires autour de la Méditerranée, et n'allaient jamais loin dans les mondes nomades, que ce soit au Nord, à l'Est, ou au Sud.
Et j'insiste sur gouverner. Qui est bien différent de coloniser. Ca allait au-delà de la simple recherche de nouvelles ressources. Le conquis était agrégé au centre pour en devenir une partie dans le tout : les romains ont pavé et construit des aqueducs là où ils s'arrêtaient et même finit par reconnaître comme citoyen, donc leur égal, ces populations si lointaines et différentes.
L'empire romain d'occident se casse la gueule. Celui d'Orient va subsister (nominalement du moins) jusqu'en 1453 et la chute de Constantinople. N'empêche que l'idée d'Empire va subsister dans le monde européen et méditerranéen au point de voir de nombreuses tentatives de résurrection, soit s'en réclamant directement (l'Empire de Charlemagne et le Saint Empire romain germanique), soit par références (le titre de Kaiser ou de Tsar, qui signifient César/l'Empire de Bonaparte), soit indirectement (comme l'empire arabe ou ottoman).
Mais retour rapide sur Charlemagne. En 800 il se fait proclamer Empereur et prétend être le nouvel empereur romain, ce qui provoque la fureur de Byzance, qui se considérait aussi comme tel.
Seulement, ça n'en reste pas moins un gros bouseux dans le fond, et on n'arrive pas à concevoir cet Empire comme étant autre chose que le patrimoine du souverain. Et la structure familliale franque étant égalitaire, cela implique un partage entre descendants. Ce qui nous amène au traité de Verdun de 843 qui partage l'Empire en 3 : France, Lotharingie, Germanie. Le souverain des germains est considéré comme étant l'empereur et va évoluer pour devenir le Saint Empire romain germanique. La Lotharingie centrale va se faire manger par les deux autres.
Et là débute la vocation des français comme emmerdeurs en tant que puissance secondaire, car le Roi de France se considère comme souverain et refuse de se considérer comme vassal de l'Empereur. Dans ce refus, qui ne ca cesser de creuser, va s'affirmer une évolution vers le contraire de ce qu'est un Empire, une croissance vers l'unité. Progressivement, et des siècles durant, le Ro va s'affirmer comme souverain face à l'extérieur (l'Empereur au temporel, le Pape au spirituel) et rechercher l'unité à l'intérieur. Unification politique à l'intérieur, en mettant au pas tous ses vassaux, ce qui est grosso modo fait à la fin du Moyen-Age (même si ces derniers se permettent quelques révoltes symboliques comme durant la Fronde ensuite). La centralisation politique permettant l'unification culturelle ensuite, essentiellement grâce à l'école qui va permettre d'étendre le français sur les patois. Avec une évolution vers l'Etat-nation achevée grosso-modo vers la fin du 19ème.
C'est-à-dire que là où l'Empire se caractérise par la prétention à l'universel, l'Etat-nation tend à l'uniformisation et l'affirmation d'un particularisme qui la différencie des autres. Les deux étant évidemment ennemis l'un de l'autre, les deux ne pouvant coexister.
Le Reich allemand, malgré son nom, n'était qu'une puissant Etat-nation, réunifiant à lui toutes les populations s'estimant allemandes. De même pour la naissance de l'Italie au 19ème. Evidemment, ces naissances de nation ne vont pas sans problèmes quand elles émergent sur les décombres d'anciens Empires qui avaient fait se coexister des populations hétérogènes sur un même territoire.
Mais revenons aux USA. Depuis l'origine, ils se considèrent comme un Etat-nation. Les anciennes colonies anglaises devenues indépendantes vont avoir une formidable expansion vers l'Ouest jusqu'au Pacifique. Mais c'est la volonté de s'approprier un espace considéré désert et à eux : on massacre les indigènes qu'on trouve, on ne cherche pas à les intégrer. Au-delà, le pays sera très peu expansionniste, se limitant surtout à des îles du Pacifique.
Durant la Première guerre, l'entrée en guerre, décisive, sera pourtant tardive. Et de même, ce sera contraints que les USA entreront dans la seconde. La volonté impérialiste n'apparaît vraiment qu'à la fin de la Seconde guerre mondiale. A partir de là, on a des tendances impériales très fortes (mais tendances seulement) : sphères d'influence importantes, présences de troupes à l'étranger (surtout Allemagne et Japon), intervention pour la reconstruction de pays européens (Plan Marshall par exemple), etc.
Car même à ce stade, cela ne faisait pas des USA un empire. Les états-clients n'ayant pas vocation à être agrégés au centre et devenir partie d'un plus grand tout. Même si certains grands enfants l'ont pensé, comme JM Mesier par exemple qui croyait pouvoir affirmer son identité américaine, et n'a réussi qu'à attirer les sarcasmes des américains et la colère des français.
Et visiblement, ce stade ne sera jamais dépassé. Au contraire même, les moyens de peser sur le monde diminuant pour les USA (cf autre message dans un fil un peu en dessous sur la perte de la paix par les US), cela devrait refluer. L'affirmation patriotique américaine, qui exagère ses différences avec les autres nations (notamment européennes) est à l'opposé de l'universalisme à base d'un empire. De même que la faible volonté belliqueuse de l'américain moyen. Si quelques fanatiques souhaitent faire le coup de sang un peu partout, le citoyen lambda a surtout supporté la guerre en Irak car il se sentait atteint dans sa sécurité chez lui. Et même si Saddam n'était pas une menace réelle, il était au moins une cible symbolique accessible après le cauchemar des attentats du 11 septembre. Mais je doute que l'américain moyen ait une quelconque envie de fonder un Empire. D'ailleurs, le fond du gouvernement américain pour avoir le soutien de sa population n'était pas "nous sommes appelés à régner sur le monde" mais "nous sommes la première puissance, nous sommes riches, nous faisons des jaloux et envieux, il faudra se défendre contre toute menace à notre sécurité".
(message en vrac, caricatural, tapé à la va-vite et un peu long à mon goût. je ne sais pas si ça se lit
)