Prélude
Conseil des 12.
Pourquoi les 12, alors que deux des nôtres se sont sacrifiés et que l’autre partie est passée à l’ennemi ?
Hier, oui, nous étions 12.
Aujourd’hui il n’en reste que 5. Aujourd’hui, nous sommes les Shédims. Aujourd’hui, nous sauverons Asmodea !
Conseil des 12. Conseil des 5. Conseil des Shédims. Qu’importe le nom, en fait.
Asphel se renverse dans sa chaise et observe entre ses cils les Seigneurs Protecteurs des Daevas qui l’entourent.
Certains, s’impatientent.
- Et que Diable fait donc cet imbécile de Markutan ? entend-il marmonner sur sa gauche
Jikel tambourine des griffes sur la table, le visage crispé, le corps tendu. Triniel toujours imperturbable, regarde autour d’elle sans dire un mot. Lumiel, curiosité oblige, ne cesse de fixer la porte du regard tout en s’agitant dans son fauteuil.
Jikel a raison. Markutan est attendu pour son rapport … et il est en retard …
Rien ne va plus, ici aussi...
Un bruit de pas. Un courant d’air. Et l’imposante silhouette de Markutan qui s’encadre dans la porte. Tous les yeux sont tournés vers lui.
Comme à son habitude il n’ose croiser le regard furibond de Jikel et se dandine d’un pied sur l’autre, hésitant.
- Pardonnez-moi, Seigneur … dit-il en s’excusant auprès d’Asphel.
Asphel hoche la tête, faisant un geste vers la table pour que son Protecteur prenne place. L’autre racle sa chaise, tombe plus qu’il ne s’assoit, et lève des yeux inexpressifs vers l’assemblée.
- Nous t'attendions ! déclare le Seigneur de l’Ombre
Markutan pâlit, mal à l'aise.
- Alors ? Que se passe t-il ? As-tu des nouvelles ? Qu'as-tu découvert de nouveau ? Est-ce que …
- Lumiel ! coupe Asphel. Laisse-le s’exprimer !
Elle se tait, boudeuse.
Markutan respire, redresse les épaules et, contraste étonnant avec son imposante stature, déclare d'une voix douce :
- Vous aviez raison, Seigneur ! J'ai trouvé la preuve de leur réveil !
- Et ?
- Et ... répète-t-il lentement devant le regard inquisiteur d'Asphel, et ... Ils sont encore dans le flou... mais avec le temps ...
Un silence s'installe. Asphel réfléchit, les yeux mi-clos, le menton au creux de sa main.
Markutan est le Seigneur de la Destinée. Il voit et sait des choses que parfois, même lui, Seigneur de l'Ombre aimerait mieux ignorer. Il n'est pas loin le millénaire où ils préparaient cet évènement. Elle n'est plus très loin cette attente interminable où ils vaincront leur propre sang.
Aujourd'hui, il suffit de franchir le pas.
Il suffit de
les faire sien.
Jikel grogne. Lumiel s’anime, se secoue, ouvre la bouche, la referme. Triniel croise les mains sur la table devant elle, dans un geste tranquille, comme si la situation était parfaitement sous contrôle.
- Que savent-
Ils ? reprend Asphel
- Pas grand chose … Des bribes … des vapeurs… des brumes de souvenirs … Impossible d’être sur... Pour savoir, il faudrait les avoir constamment sous la main ...
- La question serait plutôt : doit-on suivre le plan ? demande Lumiel se penchant vers Asphel, Si oui quand mettons nous en œuvre et si non que faisons nous ?
- Je serais d'avis de mettre le plan à exécution ! répond Triniel
- Ou les exécuter, eux ... rétorque Jikel
- C'est aberrant ! Ils nous sont utiles !
- Ils ne sont utiles que pour des limaces qui recherchent des coquilles vides !
- Justement ! Nous pourrions les façonner, les utiliser ...
- Et que feras-tu lorsqu'il se souviendront ? ... lorsqu'ils se souviendront de Tout ?
Les suppositions vont bon train. Mais tout le monde attend. Asphel se doit de décider. S'il ne tranche pas, la discussion peut durer des siècles durant...
Mais cette décision n'est pas si vaine de conséquences.
Ils avaient la Connaissance. Ils détenaient des secrets. Tous les secrets.
Ils disposaient d'un Savoir immense. D'un Pouvoir infini.
Ils étaient la Garde d'Honneur de Siel et d'Israphel. Ils formaient un Tout.
L'Espace et le Temps réuni.
Quitte ou double. Ils peuvent mener à la victoire... ou à la déchéance...
Comme en réponse à ses pensées, Markutan reprend la parole, d'un ton monotone, comme si le sujet ne l'intéressait aucunement :
- Ils ne sont plus ce qu'ils ont été. La Garde Empyréenne a été détruite lors de la destruction de la Tour en même temps que le sacrifice de Siel et d'Israphel. Chaque survivant peut se rappeler... quelque chose. Mais comme un puzzle, si des pièces manquent, on ne peut reconstituer l'image... Et des tas de Daevas Empyréens sont morts ce jour fatidique...
- A plus forte raison de les détruire ! grogne Jikel
- Je ne suis pas d'accord, contre Triniel. A plus forte raison de les guider !
- ... ou manipuler ... murmure Lumiel dans un sourire
- Le terme importe peu, dit Triniel en haussant les épaules. Le résultat est le même. Accordons-nous leur loyauté. Ils n'ont jamais rien révélés à l'époque, pourquoi le feraient-ils aujourd'hui ?
- Tu ne peux pas te baser sur une loyauté d'entant ! C'est ridicule ! riposte Jikel furieux. Nous pouvons très bien gagner cette guerre sans eux !
- Comme nous la gagnons depuis huit siècles ? minaude-t-elle pleine d'ironie
Jikel grogne, le rouge aux joues, les yeux flamboyants.
- Il faut prendre en considération le fait qu'à la Destruction de la Tour, la Garde d'Honneur fut détruite aussi, reprend lentement Markutan profitant de l'accalmie, et que si Atréia fut scindée en deux... la Garde elle-même le fut également...
- De mieux en mieux, crache Jikel hors de lui, Nouvelle raison pour les ignorer et les éliminer !
- Il fait état, déclare Lumiel avec emphase, que les Gardiens ont été choisis pour leur loyalisme et leur intégrité. Qu'ils soient Asmodiens ou Elyséens de nos jours ne devraient pas entrer en ligne de compte...
- Ben voyons ! ricane le Seigneur de la Destruction, et Ariel est la femme de ma vie !
A quatre, ils faisaient presque autant de bruit qu'un jour de marché à Pandémonium. Asphel décide de couper court. Levant la main pour réclamer le silence, il déclare :
- Je suis d'accord avec Triniel...
- Ah ! fit celle-ci d'un ton satisfait en lançant un regard de défi à Jikel
- ... nous ne pouvons les ignorer. Mais je suis aussi d'accord avec Jikel ...
- Ah ! fit celui-ci du même ton satisfait en foudroyant Triniel d'un regard meurtrier
- ... nous ne pouvons leur faire confiance. De ce fait, personne ici présent ne prendra contact avec eux. Nous évoluerons dans l'ombre afin de voir comment les choses tourneront. Pour cela, Triniel tu trouveras un moyen de les rassembler sous la même bannière. Histoire pour nous qu'il soit plus facile de les étudier, de les observer et de les manipuler. N'ayons pas peur des mots.
"Markutan, je veux un rapport sur chaque nouvelle recrue. Je veux connaitre leur passé leur présent et leur avenir. Je veux aussi que tu continues à chercher tout Daeva susceptible d'être un ancien Gardien.
"Lumiel, par ton ancienne amitié avec Ariel tu préviendras les Séraphims de l'éventualité de la résurgence de ces dits Gardiens. Il va de soi que tu pourras aussi jouer le rôle d'Espion chez eux.
"Jikel, comme à ton habitude je veux un rapport détaillé de tous les hauts faits des Abysses. De par leurs aptitudes uniques, même en temps que Daevas, ces Gardiens seront amenés à se distinguer parmi tous. Et il est hors de question, que la légende sur un quelconque treizième Seigneur Empyréen prenne encore plus d'ampleur...
Il s'interrompt un instant, son visage austère et glacial se tourne vers chacun des Protecteurs, sûr que tout le monde a bien compris sa mission. Sûr que tout le monde a bien saisi la menace.
Bouche fermée, les Seigneurs ne soufflent mot. Seul Jikel se permet un hochement de tête approbateur.
Pour qu'elle ne se perde pas dans le Temps et l'Espace, au moment du sacrifice de Siel et d'Israphel, la Connaissance leur fut donnée.
Parce qu'en tant que gardes des Gardiens, ils étaient leurs ombres.
Funeste destin pour eux en ce temps là.
Parce qu'en tant que gardes des Gardiens, ils ne sont plus qu'un reflet de leurs âmes.
Funeste destin pour eux en ce jour.
Des réminiscences d'un Savoir oublié.
Et pourtant... ils pourraient être la Victoire. La fin d'un déchirement. Le début d'un renouveau.
Ils seront le Sang pour le Sang.