[Lycan]

"L'oubli et la mémoire sont également inventifs."
J.L. Borges





Je suis toutes les histoires du monde.

Et pourtant ? Pourtant je ne suis rien. Je suis comme tu me vois, cet homme entre deux âges, aux cheveux blancs qui jouent avec le vent, habillé d'une chemise à lacets élimée et de chausses défraîchies. Un simple traîne-cailloux avec un couteau pour couper le pain, dégager les mousses et se protéger des mauvais coups.

Mais hâte-toi de ne pas me juger et je te dirai les rêves des amants Io et Eme de Cairnkegg. Ferme les yeux et je te chanterai les crépuscules inondés des chutes d'Harrowdeep, quand la Focale éclaire d'un feu rougeoyant Kelpmound et les dai-gants. Oui, j'étais avec Sekk-Sotyll quand le divin scribe décrivait les robustes Speyrfolks ou les horreurs qui rampent dans la nuit de Slywood. J'ai vécu et pleuré avec les pionniers, j'ai tremblé dans la nuit, trimé sur les rafiots-roches et vu ce que certains appellent les mythes des Eclats Fabuleux.

Oui, je te raconterai aussi Kaelmiannon Maul et Mhuiritsa Silver, dos à dos contre les bêtes, devant la Citadelle Ecorchée. J'étais le regard déjà ambigu de Kunxon Lenga contemplant la langue en mouvement de la pure magie. J'étais femme, la légendaire Evhiel Muaun, drapée de pourpre face au Beffroi et à son destin et j'étais Tykaru Reywing quand, terrible dans la nuit, il faiblit, sombra et se rompit comme du bois sec.

Crains-moi ! Je suis la folie des mages de Carnyx et le soldat mortifère de Bolfort ! Au Deadspell la milice et ses molosses ! Je te volerai et abuserai de tes filles, moi l'enfant du Glaive et la lie des Expulsés. Ris avec moi et danse ! Les verts chemins de Parlement sont mon hâvre et les récits ma terre. Je ne possède rien, que la Levée maternelle et douce de la baie d'Hawksmouth et l'humus accueillant des grottes de Tarnflow et des forêts d'Hoggsridge.

Je te le dis, toutes les histoires sont miennes. Elles sont ma peau, j'en connais plus qu'Arthek Amsell car je sais les racontars des paysans et des explorateurs, je mêle le vrai au rêvé, et les autres histoires je les invente. Je n'aime pas les livres ni les lieux clos, parle-moi plutôt d'un creux d'arbre qui niche devant une abondante prairie, parle-moi des vieux et des colporteurs, des gens qui chantent, font des tours et vivent pour un jour. Les gens de peu. Les gens de rien. Je suis de ceux-là.

Laisse-moi sécher mes bottes au feu de ton âtre. Offre-moi un poulet ou un gîte pour la nuit et je te paierai en rêve ! Moi, l'errant, le messager et parfois la main invisible de Shroud, celle qui aide sur les quais et qui sait prêter l'épaule et l'oreille à tes peines, entre deux pintes à la Feuille d'Or. Reste droit, ne joue pas à mes dépends ou il t'en cuira.

Plus tard dans la nuit, à l'heure qui me plaît le plus, entouré de volutes et les yeux mi-clos, les mains errant nonchalamment en arabesques furtives, je penserai le passé, les formes et les choses qui existaient avant, ou qui n'existent que dans mon caprice d'enfant devenu homme. Je regarde mes brumes, mes sorts de campagne et d'amateur, et je m'endors d'oublier.

J'ai tant d'histoires comme amantes que je ne sais plus qui je suis. Une feuille qui vole au vent, que rien n'attache et qui mourra sur l'herbier. Alors je suis Prynn Inondhan pour les férus d'énigmes, ou je choisis de me nommer Lycan pour d'autres, du nom de cette créature des mythes faite de pelage sombre.

Je n'obéis qu'aux bruyères. Je ne suis rien.


Appelle-moi Vagabond.